Tshopo : Une société portugaise convertit frauduleusement  des concessions d'exploitation forestière en programme de crédits carbone (Enquête)

Samedi 19 mars 2022 - 11:54
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7SUR7

Une enquête menée par le média espagnol El País/Planeta Futuro dans la province de la Tshopo, révèle que la multinationale portugaise NorsudTimber, à travers ses filiales Sodefor et Forabola, a converti 15 concessions d'une superficie équivalente à celle de la Belgique en programme de crédits carbone. Ceci sans consulter préalablement les communautés locales qui subiront les conséquences de cette conversion.

Ce changement "discret" qui durera entre 30 à 44 ans avait été réalisé avec le concours de l'ancien ministre de l'environnement Claude Nyamugabo. Lesdites concessions qui étaient détenues par Sodefor et Forabola avaient été transférées à KFBS (Kongo Forest Based Solutions), une autre filiale créée par NorsudTimber pour gérer ses opérations d’échange de carbone en RDC.

"Les concessions ont été réattribuées sans contrôle public ni consultation des personnes qui en subiront les effets. Plusieurs de ces concessions chevauchent une zone protégée et les terres ancestrales des peuples Bambuti, Bacwa et Batwa, et près d’un tiers de la zone couvre des tourbières vitales pour le climat", lit-on dans cette enquête.

Et de poursuivre : "KFBS n’a pas discuté des plans financiers et techniques, ni expliqué les activités du projet, au-delà de mentionner de façon générale la conservation de la nature. Il n’y a eu aucune discussion sur les alternatives qu’ils fourniraient aux personnes qui dépendent de l’agriculture itinérante et de l’exploitation forestière artisanale".

Selon cette enquête, cette transformation va permettre à KFBS de commencer à vendre des  crédits carbone sur les marchés internationaux aux entreprises ou particuliers qui voudront compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Ceci malheureusement au détriment des populations qui vivent à l'intérieur ou à proximité de ces forêts car les ressources naturelles leur seront privées en violation du code forestier, notamment l'article 36.

Le marché de carbone en RDC, encore un far west ?

Jusqu'à présent, la RDC a aucun texte légal qui réglemente le marché de crédits carbone. Plusieurs concessionnaires forestiers profitent de ce vide juridique pour vendre leurs crédits carbone sur les marchés internationaux sans reverser le moindre sou au trésor public ou aux communautés autochtones.

Lors du conseil des ministres du 9 juillet 2021, la vice-premier ministre de l'environnement et de développement durable, Eve Bazaiba, avait fait adopter le projet d'institution de la taxe carbone et de l'autorité de régulation du marché de carbone.

Pour en savoir plus sur l'avancement de ce projet, 7SUR7.CD a posé la question au Dr Joseph Malassi, conseiller climat de la vice-premier ministre. Il nous a répondu que les textes sont en cours de rédaction.

"Les textes sont en constitution. C'est l'une des raisons pour lesquelles les choses traînent un peu. Mais le ministère y travaille", a-t-il brièvement répondu.

C'est suite à ce vide juridique et la non-maîtrise du secteur par les fonctionnaires de l'Etat chargés de contrôler les projets REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) que la famille américaine Blattner a vendu plus d’un million de crédits carbone de sa concession acquise en 2009 dans le territoire d'Isangi à des dizaines d’entités à travers le monde sans que le gouvernement ne le sache, à en croire cette enquête.

Selon El País/Planeta Futuro, parmi les entités auxquelles la famille Blattner a vendu les crédits carbone figurent la compagnie aérienne américaine Delta Airlines, la municipalité de Davos, en Suisse, la société de voyage britannique Exodus Travels, la société de logistique suédoise Scanlog et les  universités Marymount de Californie et l’université de Tasmanie en Australie.

Notons que les sociétés Sodefor et Forabola sont visées par des manifestations populaires depuis quelques jours à Basoko. La société civile de ce territoire les accuse, entre autres, de détruire les terres de peuples autochtones, d'empêcher la population d'accéder aux ressources naturelles de la forêt et de violation des droits de l'homme.

Bienfait Luganywa