Union Européenne : Surprenante levée des sanctions contre Kalev et Shadary (Tribune)

Vendredi 7 juillet 2023 - 11:18
Image
Droits tiers

Depuis fin mai 2017, l’Union Européenne (UE) avait spectaculairement pris des sanctions contre neuf personnalités congolaises en raison, pour plusieurs d’entre elles, de leur responsabilité dans les violences et l’impasse politique connues en RDC dans la perspective des élections générales de 2018. Parmi ces personnalités, deux figures de premier plan du pouvoir sous le régime Kabila, Ramazani Shadary et Kalev Mutondo, viennent, six ans après, d’être subtilement extraites de la liste noire par les ministres des Affaires étrangères de la Communauté. Somme toute, c’est là, une pêche miraculeuse qui surprend. Elle se justifierait au motif que les éléments présentés pour sanctionner lesdites personnalités ne constituaient pas «un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants» pour établir la réalité des faits.
 
Interrogations multiples
A travers le prisme déformant de lointaines réalités congolaises vécues par le peuple congolais, on ne peut que difficilement comprendre la décision de l’UE. La présente approche est une somme d’interrogations multiples dont les réponses permettraient de saisir les motivations réelles de ce qui se passerait exactement au niveau de cette institution.

Nul n’est besoin de remonter jusqu’au déluge pour refixer dans le temps et retracer les raisons ayant déclenché jadis les violences en RDC, sur fond des graves violations des droits de l’homme entreprises par le gouvernement central de l’époque, notamment lors des manifestations de l’opposition, en prélude des élections et du troisième mandat de l’ancien président de la République. Une impasse politique s’en était suivie pour conduire au Dialogue politique sanctionné, fin décembre 2016, par un accord consacrant officiellement le glissement de deux ans du mandat présidentiel.

Dans la foulée, les provinces du centre du pays, l’espace Kasai, avaient expérimenté le phénomène «Kamuina Nsapu», dont le territoire de Dibaya était l’épicentre au Kasai Central. Lié à des miliciens répondant aux directives du chef du même nom de Kamuina Nsapu, ce fut une opposition ouverte qui rejetait systématiquement le pouvoir de Kinshasa et utilisait autrement les pouvoirs des chefs coutumiers avec ses méthodes décriées. A l’instar des métastases, ces violences se répandirent dans toute la région de l’espace Kasaï, embrasant de ce fait les cinq provinces qui la constituent à travers des mouvements hétéroclites.

Selon l’ONU, ces violences auraient fait 1,2 million de déplacés et 400 morts. Deux de ses experts, en l’occurrence Zaïda Catalan et Michael Charp, engagés dans une enquête sur ce phénomène au Kasaï Central, point focal et centre de rayonnement des violences, avaient été sauvagement assassinés, selon des pratiques nullement de mise dans la région.  
 
Sélection naturelle et condamnation sans sursis
 
Comme pour endiguer cette dérive, l’UE résolut d’abattre son courroux sur des personnalités de tout premier plan du pouvoir. Sans aucune enquête préalable, des sanctions furent prises à la pelle sur base des déclarations épidermiques de certaines sources non crédibles. Ainsi, Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Evariste Boshab, vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et Sécurité jusqu’en décembre 2016, son successeur Emmanuel Ramazani Shadary, et Kalev Mutond, l’administrateur général de l'ANR, ont été épinglés. Dans cette pêche miraculeuse, l'UE avait également porté ses sanctions sur cinq autres responsables : les gouverneurs Jean-Claude Kazembe Musonda (Haut-Katanga) et Alex Kande Mupompa (Kasaï Central), le commandant de la 31ème Brigade FARDC, le général Muhindo Akili Mundos, commandant second de la 21ème Région militaire, le général Éric Ruhorimbere, ainsi que Gédéon Kyungu Mutanga, ancien chef de milices Bakata Katanga de sinistre réputation, réhabilité par Kinshasa.

Les noms de ces neuf personnalités venaient donc rallonger une liste dans laquelle figuraient déjà d'autres personnalités du pouvoir congolais, précédemment visées par l'UE et les États-Unis en juin, septembre et décembre 2016. Parmi celles-ci, les généraux Ilunga Kampete, commandant de la Garde présidentielle, Gabriel Amisi, commandant de la Région militaire incluant Kinshasa, Célestin Kanyama, commissaire provincial de la Police Nationale Congolaise pour la Ville de Kinshasa, John Numbi, commissaire général de la Police Nationale, Delphin Kahimbi, chef de la Demiap, Fernand Ilunga Luyoyo, commandant de la Légion d'intervention de la Police nationale, et Roger Kibelisa, chef de la Sécurité intérieure à l'ANR.

De la sorte, une vingtaine de personnalités congolaises, parmi lesquelles des très proches collaborateurs du président Kabila, s’étaient vues interdites de voyage, certains dans l’UE, et d’autres aux Etats-Unis. En plus du gel de leurs avoirs, l’interdiction leur avait été faite également de percevoir des fonds de la part de tiers en Europe. C’est le cas aussi pour ceux sanctionnés par le pays de l’oncle Sam.

Après plusieurs recours en contestation de la procédure, seules cinq personnes ont vu leurs sanctions levées à ce jour par l’UE. Après Lambert Mende et Roger Kibelisa en décembre 2019, de même que le général Luyoyo en 2022, Ramazani Shadary, secrétaire permanent du PPRD, ancien ministre de l’Intérieur et dauphin de Joseph Kabila à la présidentielle de 2018, et Kalev Mutond, l’ancien patron redouté de l’ANR, viennent d’être extraits subtilement de la liste noire de l’UE. La décision est tombée le 19 juin 2023.

Une décision qui surprend
Le Tribunal de l’UE ayant estimé, en mars dernier, que les éléments présentés pour sanctionner Shadary et Kalev ne constituaient pas « un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants » pour établir la réalité des faits, les ministres des Affaires Etrangères de l’UE n’avaient donc d’autre choix que celui de lever les sanctions prises par le Conseil contre ces derniers. Mais, ce qui est surprenant, ils maintiennent ces décisions pour les autres dont, parmi les civils, Evariste Boshab, ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et Sécurité, ainsi qu’Alex Kande, ancien gouverneur du Kasaï Central. Cela ne pourrait-il pas, pour le moins, tout simplement relever de l’arbitraire et de l’injustice ? Les observateurs les plus avertis évoquent ici une iniquité flagrante qui saute aux yeux.

En effet, Kalev Mutond a été épinglé dans la deuxième salve des sanctions de l’UE pour son rôle central dans la répression qui avait autrefois frappé les provinces du centre du pays. Ensuite, l’ex-vice-premier ministre Évariste Boshab l’a été parce que, considéré par l’UE comme étant la cheville ouvrière de cette répression. Il en est de même pour son successeur, Emmanuel Ramazani Shadary, qui avait poursuivi, jusqu’au bout, la même politique.

Si Ramazani Shadary est blanchi, pourquoi alors Evariste Boshab continue-t-il à subir ces sanctions ? Pourquoi ces deux poids, deux mesures ?
Une autre question fondamentale se pose ici : quelle avait donc été la responsabilité tout à fait individuelle de l’ancien gouverneur Alex Kande dans ce drame qui a endeuillé sa province, ainsi que les autres provinces faisant partie de l’espace Kasaï ?

D’une part, point n’est besoin de rappeler qu’un gouverneur de province en RDC n’a autorité ni sur l’Armée, ni sur les Services de sécurité, mais seulement sur la Police locale, chargée uniquement du maintien de l’ordre public. D’autre part, jusqu’à ce jour, l’opinion relève qu’aucune action judiciaire n’a jamais été intentée à son encontre et il n’a jamais été non plus cité dans aucun procès, voire même celui en cours, en rapport avec le meurtre des deux experts des Nations Unies.
Dès lors, à l’instar d’Evariste Boshab, le maintien des sanctions à l’endroit d’Alex Kande, ancien gouverneur du Kasai Central, sans autorité sur l’Armée et les Services de sécurité, sans aucune action judiciaire intentée à son encontre et non cité dans le procès en cours du meurtre des deux experts des Nations unies, reste donc arbitraire. Il ne serait pas moins l’otage de quelques fonctionnaires européens vraisemblablement manipulés par certains adversaires et hommes politiques congolais pour des causes inavouées.

En conclusion, il va ainsi sans dire, au vu de sa parcelle quasi nulle du pouvoir au moment des faits, que le maintien des sanctions contre Alex Kande par l’Union Européenne relève de l’injustice. On peut en dire autant pour Evariste Boshab.
 
Tribune du sociologue Rubens Moteni