Combattre les épidémies hydriques liées à la consommation des eaux souterraines non traitées : Le Centre de recherche en sciences humaines s’engage auprès de la population vulnérable de Kinshasa (Tribune de John Pote et Bobo B. Kabungu)

Vendredi 22 mars 2024 - 12:43
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A l’occasion de la journée mondiale de l’eau de cette année 2024 qui est célébrée sous le thème de « l’eau pour la paix », le Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH) a initié plusieurs réflexions menées dans ses différents départements. Ce texte résume une contribution de deux chercheurs de ce centre sur cette question, à savoir : le Professeur Ordinaire John Poté et le Chargé de Recherche Bobo B. Kabungu qui, au-delà des inquiétudes nées de la consommation des eaux souterraines non traitées, proposent une piste de solution innovante.

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1. Un problème de qualité de l’eau

La République Démocratique du Congo (RDC) possède un potentiel incomparable en ressources en eau. Elle en est le pays le plus riche, avec 52 % de réserves en eau de surface en Afrique. Le problème de ce pays situé à cheval de l’équateur n’est donc pas lié à la quantité, mais plutôt à la qualité de l’eau. Les eaux souterraines (nappes phréatiques) représentent 47 % des ressources en eau renouvelable du pays. Les nappes souterraines qui sont essentiellement alimentées par les pluies et certaines sources ne sont pas visibles ou quantifiables, et sont souvent négligées et très mal gérées. 

La situation est beaucoup plus préoccupante dans la ville de Kinshasa qui compte actuellement plus 16 millions d’habitants, dont environ 70 % vivent dans les communes périphériques. Plus de 75 % de cette population n’a pas accès à l’eau potable fournie par la société nationale chargée de l’approvisionnement de la population en eau (REGIDESO). Les eaux souterraines à travers les sources, les puits et les fontaines constituent les principales sources d’approvisionnement en eau pour l’usage domestique et les cultures maraichères. Ces sources sont très vulnérables et environ 90 % des points d’approvisionnement sont fortement contaminées par les bactéries pathogènes, les métaux toxiques et les polluants organiques persistants et les résidus des pesticides provenant des engrais chimiques.
Il va sans dire que la valorisation et la bonne gestion des eaux souterraines dans la ville de Kinshasa devraient contribuer non seulement à la protection de la santé de la population face aux maladies hydriques (fièvre typhoïde, hépatite A, diarrhée gastro-intestinale, amibiases, cholera) récurrentes et persistantes, mais aussi à l’augmentation de la production saine des fruits et légumes issus des cultures maraichères de la ville. 

Tenant compte de ce fait, en collaboration avec l’Université de Genève (UNIGE), l’Université de Kinshasa (UNIKIN) ainsi que la Fondation Antenna de Suisse et grâce au dynamisme du Professeur Ivon Mingashang, Directeur Général du CRESH, cette dernière institution développe une approche multidisciplinaire pour le traitement et la protection de ces ressources en eau dans les communes périphériques de la ville de Kinshasa.

2. Une pollution qui tue

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Durant les deux dernières décennies, Kinshasa la mégalopole est restée confrontée à des problèmes majeurs d’assainissement, de gestion des déchets, d’approvisionnement en eau potable, d’accès à l’électricité, de mobilité urbaine, et à une demande croissante en produits alimentaires, dont les conséquences ne sont plus à compter. La présence des ordures constitue un important facteur d’inondation, de pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques, les communes périurbaines étant les plus affectées. 

A ce jour, la consommation des eaux non traitées est à l’origine de nombreuses maladies hydriques récurrentes et persistantes comme la fièvre typhoïde, la diarrhée bacillaire, le choléra, le paludisme et l’hépatite A, qui affectent régulièrement la population avec des pertes importantes en vies humaines. Des enquêtes épidémiologiques menées entre 2018 et 2023 à Kimbanseke, Mont Ngafula et Bumbu révèlent que plus de 60 % des patients admis dans les centres de santé de ces communes étaient affectés par les maladies hydriques. D’autre part, les analyses réalisées sur les légumes et fruits cultivés dans huit sites maraichers et vendus dans plusieurs marchés de Kinshasa révèlent que les fruits et légumes présentent des concentrations importantes des bactéries pathogènes et multirésistantes aux antibiotiques et des polluants chimiques tels que des métaux toxiques et les POPs, avec des risques majeurs pour la santé des consommateurs. Cette pollution à l’origine de multiples maladies conduisant à la mort est expliquée essentiellement par l’utilisation des eaux souterraines et des rivières urbaines pour l’arrosage des cultures maraichères. 

3. Une solution qui fait espérer

Afin de pallier cette situation très préoccupante, plusieurs mesures et scénarios ont été conçus par les chercheuses et chercheurs du CRESH en collaboration avec l’UNIGE, l’UNIKIN et la Fondation Antenna. Ils sont parvenus à mettre en place une approche multidisciplinaire de traitement et de prévention de la contamination des ressources en eau dans les communes de Mont Ngafula et de Bumbu (considérées comme sites pilotes de l’étude). Du côté scientifique, deux techniques appropriées de traitement des eaux souterraines sont suggérées : (i) l’usage de la plante Moringa traditionnelle (Moringa oleifera) qui possède des propriétés bactéricides et (ii) la purification de l’eau par la solution d’hypochlorite de sodium produite localement par les usagers, en utilisant la technologie WATA développée par Fondation Antenna de Genève. 

Le but est de fournir à la population de ces communes une eau potable répondant aux normes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pour le moment, au moins 200.000 habitants de ces deux communes bénéficient de l’eau potable pour l’usage domestique. 

Il est à signaler que l’enracinement et la durabilité de cette approche originale dépendront, en partie, des actions efficaces de communication-sensibilisation et d’éducation-vulgarisation. 

En outre, un modèle économique pour consolider la pérennisation de ce projet demeure en phase d’étude au CRESH. De cette manière, ce centre reste engagé, auprès des populations vulnérables, en contribuant à la lutte contre les épidémies et maladies hydriques transmises via la consommation d’eau non potable ainsi qu’à la promotion de l’hygiène et d’un environnement salubre. 
C’est forcément par ce modèle de recherche-action prônée par la tutelle, en l’occurrence le Ministère de la Recherche Scientifique et Innovation Technologique piloté par Son Excellence Monsieur Gilbert KABANDA que le CRESH renoue avec son ambition de faire progresser la connaissance, avec un focus sur l’étude des sociétés humaines, pour trouver des solutions aux problèmes de l’humanité en général, et de la RDC en particulier, dans le respect des règles éthiques.