La Halle de la Gombe abrite, depuis le vendredi 23 janvier dernier, l’exposition ’’D’une rive à l’autre’’ qui met en vedette les œuvres des artistes plasticiens des deux Congo. Prévue jusqu’au 14 mars prochain, cette exposition révèle au grand jour les talents de six peintres congolais. Une des rares femmes à l’affiche, Ange Swana, cristallise l’attention du public par ses portraits qui décrient les violences.
A la Halle de la Gombe, vingt tableaux des Congolais de deux rives parsèment les murs de la salle d’exposition depuis deux semaines. Dès l’entrée, quatre grands portraits rivés sur la façade droite de la salle vous accueillent. Difficile de se détourner de quatre personnages à l’affiche qui trônent, chacun, dans une des toiles d’Ange Swana.
De prime abord, les regards des curieux tombent sur trois personnages nus, peints crûment par cette peintre originaire de la République démocratique du Congo. Décrits dans les moindres détails sur un fond coloré, les trois personnages du triptyque - deux femmes et un homme - donnent l’impression d’être en mouvement, tout en ne s’appuyant sur aucun support. A leur côté, se dresse une jeune femme au regard abstrait, moulée dans une robe légère, qui feint de brandir un bâton de bergère.
AU REGARD DES APPARENCES
Face à ces images muettes, les visiteurs désorientés sont conviés à plonger dans la vie de l’auteur pour arriver à décrypter les messages codés. Un texte collé à la droite des tableaux permet à cet effet d’interpréter ces portraits réalistes qui interpellent au delà des images apparentes.
Plongeant dans ses souvenirs, Ange Swana décrit un scénario qui représente des personnes brûlées par le feu de la vie. Son triptyque met en scène trois situations, trois êtres, trois manières de voir les choses. Le spectateur se retrouve ainsi dans chacune de phases. L’artiste s’interroge sur la manière dont on perçoit les autres, selon qu’ils soient vus de face, de dos ou de profil.
Isolée, la deuxième toile met, elle, en évidence une femme belle et bien vêtue, mais dont la peau brûlée, moins perceptible à première vue, témoigne de son vrai moi… au delà de l’apparence. L’œuvre poétique, voire philosophique d’Ange Swana invite donc à la réflexion sur les apparences trompeuses et la complexité des rapports humains.
LA THERAPIE PAR LA PEINTURE
Rescapée de violences ethniques qui ont déchiré le Rwanda, Ange Swana et ses parents congolais ont dû quitter en catastrophe ce pays en 1994, après y avoir vécu pendant sept ans. Née à Gisenyi, à la lisière de la ville de Goma (Nord-Kivu), à l’est de la RDC, elle a regagné son pays d’origine au plus fort de la guerre, terrassée certes par le cycle de haine, indique un de ses proches.
Dès lors, ces images affreuses ne la quitteront plus. Elles vont devoir réapparaïtre dans ses tableaux quand, quelques années plus tard, Ange Swana va embrasser ses études en art plastique à l’académie des Beaux arts de Kinshasa, révèle un critique d’art.
Plus apte à réaliser des portraits de femmes, cette diplômée de l’Académie des beaux arts va devoir approfondir ses études en s’inscrivant dans la filière de la psychothérapie en peinture. Cette vocation, stimulée par son souci d’imprimer en tout temps sa marque du souvenir du passé sur les peaux de ses personnages, sera aiguisée lors des formations ultérieures au pays et à l’étranger. Notamment après sa participation au Off de la Biennale de Dakar et de l’atelier résidence organisé en 2014.
Façonnée par des peintres comme Dikisongele, qui a fait ses preuves dans l’école du trans-symbolisme africain initié par Roger Botembe, Ange Swana s’attèle désormais à guérir ses plaies et celles de son public par la peinture. Yves KALIKAT