Burundi : Comment Nkurunziza cherche à provoquer un affrontement Hutu-Tutsi

Lundi 8 juin 2015 - 09:53

Cinq semaines après le début des manifestations contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, le bilan de la répression est lourd : une cinquantaine de protestataires tués par balles, plus de cinq cents blessés. Les policiers et les jeunes miliciens Imbonerakure habillés d’uniformes de maintien de l’ordre patrouillent dorénavant jour et nuit dans les rues des quartiers révoltés. Dès qu’un petit attroupement se forme, ils n’hésitent pas à tirer dans le tas. Vendredi 5 juin 2015 au matin, un homme a encore été tué au hasard. Pour la seule journée du 4 juin, la Croix Rouge burundaise a secouru une cinquantaine de blessés : des Hutu comme des Tutsi, qui revendiquent à mains nues la sauvegarde de la démocratie et le respect des institutions fondées sur les Accords d’Arusha d’août 2000[i].

Diaboliser « l’adversaire hima »

Ces accords, négociés à grand peine par la communauté internationale, ont permis au chef rebelle Nkurunziza de se faire élire président de la République en 2005 puis réélire en 2010. Des accords qu’il récuse aujourd’hui pour imposer à son peuple au moins un mandat supplémentaire. Et ce, par le retour aux méthodes de la guerre civile qui avait causé environ 300 000 morts entre 1993 et 2003 et bien d’autres souffrances dont les Burundais ne veulent plus. Pierre Claver Mbonimpa, l’une des principales figures des droits de l’homme au Burundi, avait formulé une crainte générale : « Le Burundi va vers un danger. Une fois que le président de la République réclamera son troisième mandat, le jour où il va se déclarer, il aura ouvert le feu. » Cette crainte est devenue réalité. Pasteur évangéliste partageant sa vie entre prières et entraînements sur les stades de football, le président Nkurunziza dissimule sous son apparente bonhomie un entêtement mystique. Se disant investi par Dieu pour diriger le Burundi, il ne tolère aucune contradiction. Comme autrefois le président Habyarimana au Rwanda, le régime distille une propagande insidieuse contre une « menace tutsi » derrière des mots codés. Alors que les cortèges de manifestants sont composés de Hutu et de Tutsi, unis dans une revendication sociale de grande ampleur, le pouvoir prétend que les protestataires viennent de « quartiers hima » (Hima étant considéré comme synonyme de Tutsi). Les opposants sont également appelés « Iscatani » (« le Diable ») qu’il faut « kumesa » (« lessiver » ou « éliminer »). Au Rwanda, la propagande du génocide utilisait des termes équivalents pour diaboliser les Tutsi et les Hutu démocrates.

La CENI, marionnette du camp présidentiel

A l’évidence, le régime de Pierre Nkurunziza cherche à recréer un climat d’antagonisme ethnique en se prévalant d’une forme « d’intégrisme hutu ». Dans la campagne, les Imbonerakure marquent d’une croix blanche des maisons de Tutsi et de Hutu démocrates, multipliant les menaces de mort contre tous ceux soupçonnés de ne pas avaliser le troisième mandat. En deux mois, plus de 110 000 burundais (1% de la population, essentiellement des Tutsi) ont fui vers la Tanzanie, le Rwanda et la RDC. Le 13 mai, profitant d’une tentative de putsch qui a vite tourné à la journée des dupes, le régime s’est débarrassé des derniers ministres modérés et il a organisé la destruction des radios privées. L’opposition est harcelée, toute forme d’expression divergente muselée. A l’intérieur du pays, Pierre Nkurunziza et le CNDD-FDD mènent pratiquement seuls une campagne électorale ubuesque qui devrait conduire à une réélection facile du président, le 26 juin. Ou plus tard si en décide ainsi la Commission nationale électorale (CENI), devenue la marionnette du camp présidentiel après la fuite de deux de ses cinq membres.

Culte de la personnalité

La martingale du chef de l’Etat, c’est la relance de la haine ethnique, de la peur de son voisin, de l’histoire-ressentiment, la rumination d’un passé « tribaliste » que les accords d’Arusha avait soldé. Nkurunziza et son équipe s’inspirent peut-être du satrape héréditaire de Corée du Nord Kim Jong-un. Si le CNDD-FDD, le mouvement présidentiel burundais, profondément divisé, n’est pas – pas encore – un parti unique, sa tendance « Nkurunziza » fonctionne sur ce principe. Elle tente de faire prévaloir une logique totalitaire avec le culte effrené de la personnalité de son leader.

Des appels à la « culture hutu »

Comme Kim Jong-un, Pierre Nkurunziza travaille à faire redescendre le Burundi à l’un des plus bas niveau des droits de l’homme au monde. Ce despote mystique ne parvient pas à s’extirper d’une histoire familiale qui semble l’obséder : son père a été assassiné en 1972 lors de la terrible répression du génocide avorté des Tutsi par un groupuscule de Hutu exaltés[ii]. Son bras droit, le général Adolphe Nshimirimana, qui tire tous les fils de la tragédie burundaise de 2015 en coulisse, présente le même profil de vieil orphelin radicalisé. La principale ressemblance de ces deux hommes avec les potentats de Corée du Nord est leur effronterie à réécrire l’histoire immédiate. Le président du CNDD affirmait ainsi il y a quelques jours qu’il « observait » (sic) que les manifestants étaient « d’une seule ethnie » (NDLR : sous-entendu des Tutsi). Dans un langage à peine codé, le pouvoir multiplie les appels à la « catégorie hutu » pour l’inciter à l’autodéfense, et les Tutsi pour prendre peur.

Une armée de l’ombre

La destruction des médias libres fait prévaloir la diffusion de rumeurs accusant les Tutsi de vouloir de nouveau confisquer le pouvoir. Plutôt que de Tutsi, on parle généralement de « Hima » mais chacun – à l’exception des étrangers - a appris à comprendre la similitude des mots[iii]. Deux agents de haut niveau des services de renseignement burundais qui ont fait défection au mois d’avril 2015 révèlent le rôle que le régime voulait faire jouer aux miliciens Imbonerakure (la milice du parti présidentiel CNDD/FDD : « les voyants »). Cette armée de l’ombre placée sous la coupe directe du général Adolphe Nshimirimana et du président Nkurunziza est appelée à jouer à peu près le même rôle que les Interahamwe, la milice génocidaire rwandaise, qui opère aujourd’hui au sein des FDLR en RDC.

Révélations d’un agent de renseignement

Nous sommes aujourd’hui en mesure de révéler presque dans son intégralité le témoignage de « Bonito », agent de la Documentation nationale burundaise, qui décrit la mécanique d’ethnisation initiée par le régime Nkurunziza – lire ici la transcrption de son témoignage réalisée par Afrikarabia. Pour les habitants des Grands Lacs et aussi les étrangers qui connaissent l’histoire de la région, le témoignage de « Bonito » rappellera à quel point les démons du passé hantent Pierre Nkurunziza et ses amis : l’obsession tutsi, notamment le spectre du génocide de l’élite hutu du Burundi en 1972, exterminée collectivement pour sanctionner une tentative d’élimination des Tutsi vite réprimée par l’armée. A l’époque, les étudiants hutu avaient souvent été assassinés nuitamment dans leurs dortoirs, les militaires hutu également. Des images qui visiblement obsèdent Nkurunziza, le général Adolf Nshimirimana, et d’autres. Au point de leur faire espérer basculer de nouveau le Burundi vers les affres « ethniques ». Une perspective dont, faut-il le rappeler, les Burundais, massivement, ne veulent plus. Il n’y a pas de « race » et encore moins d’« ethnie » ou de « tribu » hutu ou tutsi au Burundi. Il n’y a que la course à l’abîme d’un homme gagné par une folie autodestructrice.

Jean-François DUPAQUIER

[i] En octobre 1993, l’assassinat du premier président burundais démocratiquement élu, le Hutu Melchior Ndadaye, par des militaires tutsi putschistes, avait ouvert le cycle d’une dizaine d’années de guerre civile. 300 000 morts plus tard – Hutu ici, Tutsi là – et un pays ravagé, l’heure avait enfin sonné d’une négociation de partage du pouvoir. Signés le 28 août 2000 sous l’égide du président sud africain Nelson Mandela, les Accords d’Arusha pour le Burundi prévoyaient un système de quotas garantissant l’équilibre des postes au sein de l’armée, de l’administration et de la représentation politique. L’Afrique du Sud envoyait 700 militaires pour veiller à la mise en place de l’accord et assurer la sécurité des membres de l’opposition de retour d’exil. Une assemblée nationale

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