Découvrez ce contenu : Internet, mobiles, SMS : quand nos États misent sur la censure

Vendredi 30 janvier 2015 - 10:38

En réponse aux dernières manifestations en RDC, le gouvernement congolais a censuré Internet et SMS. Un classique : avant lui, de nombreux gouvernements du continent avait utilisé le même procédé.

Mardi 20 janvier, nombreux sont les utilisateurs de téléphones mobiles et les internautes à avoir rapidement compris que quelque chose ne tournait pas rond sur les réseaux congolais. Alors que, la veille, des heurts avaient opposé les forces de l'ordre aux manifestants contre le projet gouvernemental de réforme de la loi électorale, l’accès à internet et les SMS ont été coupés sur décision des autorités, tout comme le réseau "What's app". À cette heure, le réseau 3G n’est toujours pas opérationnel en RDC.

Quelques jours plus tard, c'est au Niger que les pages Facebook, les comptes Twitter mais également les SMS devenaient inutilisables sur décision du ministère de l'Intérieur. "Nous avons décidé de bloquer les réseaux sociaux pour encadrer la journée de prière, vendredi", a justifié le ministre Massaoudou Hassoumi, évoquant les appels à la haine anti-chrétiens et les appels aux manifestations des 16 et 17 janvier dernier. "C'est pour éviter de nouveaux débordements que nous avons pris cette décision", a-t-il expliqué.

Ces méthodes de censure sont-elles efficaces ? Sont-elles facile à mettre en oeuvre ? Quelles en sont les conséquences ? Voici les réponses à cinq questions que vous pourriez vous poser sur les techniques des États visant à museler occasionnellement les communications.
Est-ce une pratique nouvelle en Afrique ?

Absolument pas. Depuis de nombreuses années, les SMS, puis internet et les réseaux sociaux sont considérés comme les outils d'organisation privilégiés des opposants et, au-delà, des manifestants en Afrique. Sans évoquer le cas de l'Éthiopie, dont le verrouillage numérique est internationalement reconnu, plusieurs États ont déjà joué de la censure.

En Égypte, lors la révolution ayant renversé Hosni Moubarak en 2011, l'internet avait été bloqué à 88% à partir du 28 janvier, les quatre principaux fournisseurs d’accès du pays (Link Egypt, Vodafone Egypt, Telecom Egypt, Etisalat Misr) ayant accepté de couper leurs réseaux. La Tunisie de Ben Ali est également illustrée par sa coupure de Facebook en août 2008, qui avait duré un peu plus d'une semaine suite à la fermeture de nombreux blogs de dissidents qui avaient trouvé refuge sur le réseau social de Mark Zuckerberg.

Avoir un internet ouvert, c'est une considération temporelle. Les États ont les moyens de le fermer du jour au lendemain.

La quasi-totalité des pays disposent en réalité depuis de nombreuses années d'un dispositif de surveillance d'internet dont la technologie, peu complexe, leur est vendue par des États tels que les États-Unis, la France ou Israël. L'entreprise française Amesys a notamment été contactée dès 2009 par la Libye de Mouammar Kadhafi pour mettre au point un dispositif d'inspection de paquets de données. Selon le descriptif fourni, la surveillance portait "sur les protocoles les plus couramment utilisés : mail (SMTP, POP3, IMAP), webmails (Hotmail, Yahoo Mail, Gmail...), discussions sur réseau IP (RTP, SIP, H.323...), logiciels de discussion instantanée (MSN, Yahoo!, AIM...), échanges de fichiers P2P (Peer to peer) et navigation web". La firme américaine Boeing, par le biais de sa filiale Narus, la société chinoise ZTE ainsi que l'entreprise sud-africaine VASTech auraient également eu des contrats avec le régime libyen dans le domaine de la surveillance du net et de l'écoute téléphonique.

>> Lire aussi : "Libye - Syrie : les entreprises occidentales, artisans de la censure dictatoriale ?"

"Le problème, ce n'est pas le système", estime Adiel Akplogan, directeur général d'Afrinic, registre d'adresses IP pour l'Afrique, "c'est l'utilisation qui peut en être faite". Et d'ajouter, en d'autres termes : "Avoir un Internet ouvert, c'est une considération temporelle car les États ont les moyens de le fermer du jour au lendemain".
Est-ce facile de couper internet et les SMS ?

Pas pour tout le monde. Techniquement, certains États ont la censure plus facile que d'autres. "Beaucoup de pays n'ont qu'un seul ou très peu d'opérateurs internet, notamment chez les francophones, et ils sont sous forte influence des gouvernements : il est donc très facile de leur faire couper les communications", explique Adiel Akplogan. En d'autres termes, moins le maillage du réseau internet est important, et plus la coupure est aisée.

Chez les anglophones, la pratique est en revanche souvent plus complexe, les opérateurs étant généralement plus nombreux. "Il y a une fracture profonde : chez les anglophones, on a favorisé la compétition et l'ouverture de marché", constate Adiel Akplogan.

Chez les francophones, les opérateurs sont sous forte influence des gouvernements : il est donc très facile de leur faire couper les communications.

Le constat est le même du côté des SMS. En RDC, les opérateurs de téléphonie mobile ont fait état d'une demande de coupure de la part de l'État, à laquelle ils ont répondu favorablement. En revanche, l'est du pays, qui dépend de sociétés de téléphonie basées à Kigali, au Rwanda, n'a pas eu à souffrir de cette mesure.

"Depuis ce week-end, l'ensemble des opérateurs mobiles n'arrête pas de demander l'autorisation" à l'État de fournir l'internet mobile et les SMS, confiait Jean-Michel Garrouteigt, directeur général d'Orange en RDC, lundi 26 janvier. La "situation [est] extrêmement dommageable", ajoute-il.
Est-ce une solution efficace ?

Pas vraiment. Les parades trouvées par les populations sont la preuve que le black-out total est aujourd'hui une hypothèse totalement théorique. Pour contourner la censure des réseaux mobiles, il est ainsi toujours possible d'échanger des informations en wifi ou d'utiliser la carte SIM d'un opérateur étranger.

En RDC, des opposants sont également parvenus à contacter des journalistes en utilisant le système de "roaming". Celui-ci permet à un abonné d'un réseau de téléphonie mobile de pouvoir appeler ou être appelé et de pouvoir échanger des données via le réseau d'un opérateur mobile autre que le sien.

En Égypte, lors de la révolution, les fournisseurs d'accès (dont le français FDN) et des activistes étrangers avaient quant à eux mis à disposition des réseaux bas débit qui utilisaient les lignes téléphoniques classiques. Concrètement, il suffisait de composer depuis l'Égypte un numéro de téléphone en France et d'entrer des codes d'accès pour surfer sur le web.
Est-ce dommageable ?

Indéniablement. Couper internet comporte le risque de provoquer la colère de la population, mais peut aussi avoir un impact économique très sensible. En Égypte, il n'est pas anodin de constater que le dernier réseau à avoir résisté aux demandes du gouvernement, Noor, avant de se soumettre, assurait notamment la connexion de quelques grandes entreprises, telles qu'Exxon Mobile ou Coca-Cola, et celle de la Bourse égyptienne.

Le port congolais de Matadi a vu son guichet de dédouanement de marchandise devenir complétement inopérant.

"Tous les secteurs sont touchés. Ça commence par les entreprises des télécommunications, mais celles-ci ne sont que les fournisseurs de service. Il y a aussi les secteurs bancaires, ceux de l’aviation, du tourisme...", explique ainsi l’analyste économique Al Kitenge à Radio Okapi, au sujet de la décision des autorités congolaises. Le port de Matadi a notamment vu son guichet de dédouanement de marchandise devenir complétement inopérant.

"Cela dépend du niveau de pénétration d'internet dans le pays", détaille Adiel Akplogan, qui estime qu'en Afrique subsaharienne, l'impact est plus social qu'économique. "Il y aura des conséquences assez marginales mais pas au niveau de ce qui peut se passer au Maroc et en Égypte", ajoute-t-il. L'isolement numérique de la Bourse du Caire avait en effet entraîné de graves pertes financières après la coupure de l'opérateur Noor.
Est-il possible de couper uniquement les réseaux sociaux ?

Oui, partiellement. Moins radicale, bien que toute aussi liberticide, la censure des réseaux sociaux est un classique comme en Turquie, plus récemment au Niger, ou encore en mai 2013, à l'approche des élections législatives en Guinée équatoriale. Elle permet de ne pas affecter l'ensemble du réseau en bloquant, sur simple demande aux opérateurs, les adresses IP provenant d'un serveur associé au site ciblé.

Les entreprises censurées peuvent bien entendu créer des "sites miroirs" s'ils veulent permettre aux internautes de continuer à accéder aux réseaux mais ceux-ci pourront être également coupés, tant et si bien que leur marge de manœuvre reste faible.

Toutefois, la censure des réseaux sociaux est relativement inefficace. Par exemple, en Tunisie, l'adresse URL http://www.facebook.com a ainsi été bloquée du 24 août au 2 septembre 2008. Le site restait toutefois accessible via d’autres URL telles que http://www.it.facebook.com, hébergé sur un autre serveur, ou via un proxy (logiciel de contournement de la censure en ligne).

Li

 

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