FPI : le scandale de la liste cachée

Vendredi 24 juin 2016 - 10:34

Les sénateurs Thekys Mulaila et André Boboliko, les députés Jean-Marie Mulatu, Louis Kasende, Guy Mikulu, Patrice Ezaty, l’épouse de Théophile Mbemba, l’opposant Eva Muakasa et Serge Amuri, conseiller du Premier ministre Matata Ponyo... Des documents détenus par des syndicalistes révèlent les noms des personnalités de la Majorité et de l’Opposition inventoriées dans les listings des promoteurs insolvables du Fonds pour la promotion de l’industrie mais tus dans le rapport d’enquête parlementaire débattu à l’Assemblée nationale.

 

La plénière de l’Assemblée nationale du 15 juin 2016 avait semblé clore le dossier de l’enquête parlementaire sur la gestion du Fonds de promotion de l’industrie -FPI-, une affaire qui restait pendant à la chambre basse depuis au moins une année. Au cours de cette plénière, en effet, les députés avaient adopté un train de recommandations à adresser au gouvernement. Ces dernières portent, entre autres, sur la suspension de l’actuel Administrateur directeur général du FPI ainsi que certains autres membres du Comité de gestion, le recouvrement forcé des impayés du portefeuille ou encore la poursuite en justice des promoteurs insolvables et des bénéficiaires de subventions non justifiées. Les élus ont également recommandé la dépolitisation, à l’avenir, des conditions d’octroi des crédits et des subventions et la transformation du FPI, actuellement établissement public à caractère financier, en banque d’investissement. Voici que des syndicalistes révèlent les noms d’autres promoteurs insolvables issus des milieux politiques jamais cités dans le rapport, probablement pour des raisons d’accointance avec des membres de la commission d’enquête. L’affaire fait grand bruit.

 

On avait donc cru que cette affaire, qui avait fait couler tant d’encre et de salive, serait désormais classée. C’était, cependant, sans compter avec le nouveau rebondissement qui va certainement relancer le dossier au regard de nouvelles révélations qui, si elles sont avérées et prises en compte, devraient conduire à la requalification pure et simple du rapport d’enquête parlementaire, avec tout ce que cela impliquerait quant à l’image même de la deuxième institution de la République. Il nous revient, en effet, que déjà à l’époque où le rapport d’enquête parlementaire sur la gestion du FPI avait fuité dans la presse alors qu’il venait à peine d’être déposé au bureau de l’Assemblée nationale en vue de sa programmation en plénière, plusieurs griefs avaient été portés contre son contenu que nos sources qualifient tantôt de tronqué, tantôt de falsifié. Comme pour dire qu’à plusieurs égards, ce rapport ne reflète pas la réalité des données que les services du FPI avaient fournies à la commission parlementaire.

 

Nerf de la guerre, la liste sélective des promoteurs insolvables

Au cœur de cette falsification ou de ces graves omissions, la liste des promoteurs insolvables. Dans le rapport d’enquête de l’Assemblée nationale, cette liste, jurent nos sources, serait curieusement sélective en ce qu’elle reprendrait une catégorie seulement des redevables du FPI et qui, dans leur grande majorité, appartiennent à une même famille politique -la Majorité présidentielle- soit directement, soit indirectement à travers leurs proches parents. «L‘agencement même dé cette liste dans le rapport», commente une source syndicale, «renseigne que tout avait été fait pour exposer les promoteurs des projets ayant, bénéficié des financements, alors que le FPI, en principe, traite avec les personnes morales et non des individus, quels que soient leurs rangs». Les autres redevables figurant sur cette liste et qui n’ont pas d’accointances politiques ne figureraient sur cette liste que pour lui conférer quelque crédit et éloigner les soupçons. «En réalité, assure-t-on, la liste serait longue et impliquerait bien ‘d’autres promoteurs politiciens aussi bien de la Majorité que de l’Opposition, ou encore des opposants ayant récemment quitté la majorité».

«Nous vous supplions, messieurs les journalistes, de demander à ce qu’on vous présente la vraie liste des redevables du FF1 et non cette liste sélective déclarée dans le rapport d’enquête», déclare le porte- parole de l’intersyndical du FPI, Mayama Mafuta, qui est appuyé par plusieurs autres collègues syndicalistes.

Un autre syndicaliste, plus indiscret que son camarade, cite quelques noms bien connus: «les sénateurs Tekis Mulahila et Boboliko; les députés Jean-Marie Mulatu, Louis Kasende, mari de la députée Louise Mayuma, Guy Mikulu, secrétaire exécutif de la Majorité présidentielle chargé des stratégies; Patrice Ezaty Mireko, l’épouse du ministre Théophile Mbemba, l’opposant Eva Muakasa et Serge Amuri, conseiller du Premier ministre Matata», énumère-t-il, «affirmant que ces personnalités écartées de la liste rendue publique, probablement pour des raisons d‘accointance avec des membres de la commission d’enquête, sont une trentaine». Le syndicaliste ajoute que le sénateur Thekys Mulaila et le député Guy Mikulu ont pu bénéficier des subventions non remboursables alors que des proches d’autres députés MP sont passés à la caisse pendant que le rapport était déjà déposé à la chambre basse. Comment en est-on arrivé là? Pourrait-on présumer, comme se présentait déjà l’affaire lors des débats et même de la guerre médiatique ayant fini par l’interpellation de l’ADG du FPI, que dans le fonds, la bataille autour du FPI est bien loin des soucis de gouvernance et comporterait des agendas cachés? Quel intérêt aurait eu les enquêteurs de la Chambre basse du Parlement à prendre un risque aussi grave de ternir l’image de cette institution par ce genre d’actes?

«Un double intérêt », répond tout de suite un autre syndicaliste qui explique : «d’abord, nous sommes dans une période politique très suspecte où tous les coups sont bons. C’e dossier de la liste des promoteurs insolvables du FPI passe pour du pain béni aux yeux de ceux qui l’ont manipulée pour mettre en délicat esse la plupart des ténors de la Majorité en vue de les affaiblir –NDLR : effectivement, les promoteurs les plus exposés sont, pour la plupart, des leaders majeurs de la majorité. Ce n ‘est pas pour rien que récemment, certains partenaires extérieurs ont évoqué la possibilité de sanctions ciblées contre certains acteurs politiques de la Majorité. Et sur la liste en circulation de ces personnalités ciblées figurent la plupart des promoteurs figurant sur les insolvables du FPI».

Quant au second objectif de cette opération de maquillage des données du rapport, nos interlocuteurs évoquent la volonté d’autres promoteurs insolvables du FPI qui tiennent à tout prix à éteindre leurs ardoises, au besoin en faisant disparaître cette institution financière. Et la nouvelle affaire de la liste des insolvable n’est qu’un nouveau stratagème qui s’ajoute à d’autres précédents. «Au départ, le FPI avait eu affaire avec une campagne de suppression de la taxe de promotion de l’industrie -TPI- qui est la première et principale ressource du Fonds. Sa suppression ôterait au FPI sa raison d’exister et conduirait purement et simplement à la fermeture de l’établissement qui n’aurait plus sa raison sociale.

 

La deuxième campagne, encore balbutiante mais qui attire l’attention des prédateurs du FPI, porte sur sa transformation en banque d‘investissement ou de développement. Dans ce cas aussi, le FPI cesserait d’exister sans aucune précision sur le sort de ses impayés que détiennent des promoteurs dont certains ont choisi délibérément d’échapper aux feux de l‘actualité». Et à propos de la problématique du recouvrement des impayés, un cadre révèle qu’à plusieurs reprises, le FPI a réclamé ce qu’il appelle le «privilège du trésor» pour lui permettre de renforcer son recouvrement. Cette mesure ne lui a, malheureusement, jamais été accordée.

 

Contraste entre fa santé du FPI et les conclusions du rapport d’enquête parlementaire

Autre matière à débat sur le rapport d’enquête parlementaire, la santé financière même du FPI par rapport aux conclusions sur les maux qui le rongent et qui, logiquement, devraient avoir fait mettre la clé sous le paillasson depuis belle lurette. Le rapport renseigne, en effet, que le FPI souffrirait, entre autres, du détournement des prêts d’investissement, l’insolvabilité des promoteurs, la non-réalisation des projets d’investissement, la gabegie financière, la dissolution de la commission de recouvrement ou encore des reports des échéances de remboursement, etc.

 

Au FPI, des cadres et agents interrogés reconnaissent que, comme bien d’autres secteurs de la vie nationale, cet établissement financier n’échappe pas aux contrecoups de la crise économique mondiale que la RDC ressent particulièrement depuis la fin de l’année 2015. Ils relèvent, néanmoins, la contradiction entre ces griefs et les réalisations du FPI à ce jour. «Depuis au moins sept années, reconnaît un cadre pesant plus de 20 ans de carrière, le FPI est engagé dans un plan d’investissement qui se caractérise par l‘acquisition, sur fonds propres, des bâtiments propres pour abriter ses directions et services. C’est le cas avec la direction provinciale de 1‘ex-Katanga, dans plusieurs territoires du Kongo Central, au Nord Kivu et Sud Kivu et, à présent, à Kinshasa où le bâtiment ultramoderne de la direction générale est complètement achevé et n‘attend plus qu‘à être occupé». Dans la même période, poursuit notre interlocuteur, «le FPI a investi dans le renforcement des capacités de ses cadres et agents à travers des formations, sur place au pays ou à l‘étranger pour les mettre au diapason des normes internationales de formation des institutions financières. Ces formations ont été couplées avec le renouvellement de 1‘outil de travail, plus particulièrement 1‘informatisation des différents services pour améliorer la qualité du service et maîtriser les données tout en les sécurisant». Ces investissements et bien d’autres ont eu le mérite d’optimiser le rendement du personnel d’améliorer la qualité du service pour ainsi renforcer la confiance des partenaires dans un contexte concurrentiel. Des performances qui ont aussi conféré au FPI une plus grande visibilité dans le monde des institutions financières en internationale pour ainsi lui permettre de contracter des partenariats profitables aux investisseurs désireux de s’engager dans l’industrie RD-congolaise.

 

A titre illustratif, le FPI avait signé, fin mars 2014, un protocole d’accord avec l’Industrial Development Corporation -IDC-, une banque sud-africaine de développement. Le protocole d’accord était un accord de cofinancement des projets à hauteur de 230 millions USD qui avait été signé par Constantin Mbengele, l’Administrateur Directeur général du FPI, et Eric Langalakhe, Cheif Office de IDC. Au regard de ce tableau, Roger Arthur Mayama Mafuta, porte-parole de l’intersyndical du FPI, a eu récemment ce commentaire face à la presse: «Depuis sept ans, nous avons constaté, lors de nos réunions syndicales, un développement sans commune mesure du FPI, une des rares entreprises dont le bilan est toujours positif d’année en année et dont les travailleurs sont à l’aise».

 

Preuve par le social

Ces performances du FPI, malgré une conjoncture économique progressivement difficile, ont également eu un impact positif sur le social des cadres et agents qui le reconnaissent. Mme Espérance Vita Musasa, 26 ans de carrière, reconnait que depuis plus de cinq ans, «les agents sont bien rémunérés et ne connaissent pas d’arriérés de salaire comme par le passé, où certains avantages sociaux comme les soins de santé étaient réservés aux seuls cadres de direction. Mais aujourd’hui, c’est tous les agents, 500 au total, qui y ont accès indistinctement». Et Thierry Mangala, autre membre de l’intersyndical, d’ajouter qu’«au regard de la situation que les travailleurs ressentent eux-mêmes dans leur vécu quotidien, il est de notre devoir de défendre toute entreprise, comme le FPI, qui participe au développement et à l’épanouissement du personnel».

 

Vers une requalification de l’enquête?

Ces révélations, comme dit plus haut, sont d’une telle gravité que, logiquement, l’on devrait assister à une première dans l’histoire parlementaire en RD-Congo et, peut-être, à travers le monde: une requalification d’une enquête parlementaire entachée d’irrégularités et en contradiction avec les vraies données de terrain. Le bureau de l’Assemblée nationale se trouve ainsi face à un dilemme cornélien qui ne peut que le renvoyer au règlement intérieur pour voir ce que celui-ci prévoie en pareille situation alors que, selon certaines sources, un des députés enquêteurs ne jure que par sa nomination à la tête du FPI. Le conflit d’intérêt est patent.

 

Par Natine K.

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