I. LES DROITS DE LA FEMME EN RDC, D'OU EN VENONS-NOUS ?
1. Avant la colonisation. Depuis des lustres, sous l’emprise des droits traditionnels non écrits, la femme congolaise a toujours occupé une place fort négligeable dans nos sociétés ancestrales. La femme, disait-on de diverses manières selon nos langues vernaculaires, est une éternelle mineure :soumise au diktat de son père ou de son oncle maternel, elle a pour vocation de s’en affranchir à l’âge de la maturitépour tomber sous l’autorité de son mari. D’ailleurs, dans certaines coutumes ou traditions locales, on assimilait la femme mariée à une chose dont on peut hériter au décès de son mari. Autres temps, autres mœurs.
2. Pendant la colonisation. Le phénomène colonial a certes été à l’origine de multiples bouleversements de l’ordre juridique au Congo, à travers l’importation progressive des normes juridiques belges pour réglementer les rapports sociaux sur le territoire de l’État Indépendant du Congo ou de la Colonie belge. Néanmoins, à l’arrivée des Colons belges, la situation juridique de la femme ne s’est pas améliorée sensiblement, en dépit des dispositions constitutionnelles de la Charte coloniale du 18 octobre 1908 qui conditionnaient l’application des coutumes locales à leur conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. En témoignent les dispositions du Décret du 4 mai 1895 portant Code civil congolais, livre 1er, caractérisées par nombre des discriminations faites à la femme dans ses relations tant conjugales que parentales. Il en est de même du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal qui, en guise d’illustration, n’incriminait l’adultère du mari que pour autant qu’il revêtait un caractère injurieux, alors que toute violation du devoir de fidélité par l’épouse était purement et simplement constitutive de l’infraction d’adultère.
3. Après l’indépendance. A l’accession du pays à l’indépendance, voire quelques années plus tard, l’ex Congo Belge n’a pas non plus connu des progrès notables en matière des droits de la femme. Au plan législatif, les exemples de marginalisation de la femme congolaise sont légion.
Dans le domaine de la vie professionnelle, on trouvait plusieurs traces de l’inégalité des sexes dans le Code du travail promulgué le 9 août 1967. Ainsi était-il reconnu au mari le pouvoir de faire opposition à l'engagement de son épouse, là où l’inverse n’était pas prévu par le législateur.
Dans le domaine de la vie familiale, on enregistrait dans la Loi n°87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille un nombre considérable des dispositions attentatoires aux droits reconnus à la femme par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, traité pourtant ratifié par le Zaïre en 1985. On peut ici mentionnerle régime institué de l’incapacité juridique de la femme mariée et l’existence de plusieurs articles consacrant l’inégalité des sexes dans les rapports mari-femme et parents-enfants.
Dans le domaine de la vie publique et politique, il s’est observé dans le passé un taux de représentativité extrêmement faible des femmes dans les Institutions de la République. Sous l’influence du dicton populaire « muasiatongaka mboka te », cette situation semble avoir été longtemps entretenue, d’une manière ou d’une autre, par certains textes régulateurs de la vie politique. Au fil des années, il était plus que temps que la situation change.
II. LES DROITS DE LA FEMME EN RDC, OU EN SOMMES-NOUS ?
1. Ces deux dernières décennies, la République Démocratique du Congo a fourni des efforts louables pour améliorer la situation juridique de la femme et offrir des opportunités égales aux hommes et aux femmes dans tous les secteurs de la vie nationale.
2. Sur ce cheminement historique, l’année 2006 aura marqué un tournant décisif à deux niveaux. D’abord, au niveau de la loi fondamentale, la Constitution du 18 février 2006 avait consacré, dans ses articles 12 et 14, les principes d’égalité de droits, de chance et de sexe. Ensuite, sur le plan législatif, le Parlement avait adopté et le Président de la République avait promulgué la Loi n°06/015 du 12 juin 2006 autorisant l’adhésion de la RDC au Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo).
3. Dans une faible mesure, l’année 2006 aura été également marquée par la promulgation de deux lois sur les violences sexuelles : la Loi n°06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais et la Loi n°06/019 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale congolais. Ces deux lois prennent largement en compte la protection des femmes en tant que personnes les plus vulnérables aux infractions de violences sexuelles.
4. Contre vents et marées, la femme congolaise a dû patienter pendant près de dix ans pour obtenir ce qu’il conviendrait de considérer, à ce jour, comme étant le principal instrument juridique national de défense des droits de la femme, en l’occurrence la Loi n°15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité.
5. Les droits de la femme proclamés par cette loi concernent :
- L’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme ainsi que la protection et la
promotion de ses droits ;
- Le total épanouissement et la pleine participation de la femme au développement de la Nation ;
- La protection contre les violences faites à la femme dans la vie publique et dans la vie privée ;
- Une représentation équitable au sein des Institutionsnationales, provinciales et locales ;
- La parité homme-femme.
6. Par ailleurs, sur la voie de la promotion et de la défense des droits de la femme, il importe de ne pas sous-estimer l’apport de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la loi n°87-010 du 1er aout du 1er aout 1987 portant Code de la famille. En effet, on le sait, plus de deux décennies après son application, le Code de la famille a révélé plusieurs faiblesses, notamment sur la question spécifique du statut de la femme mariée. Ainsi que l’indique l’exposé des motifs de la loi précitée, sur la capacité juridique de la femme mariée, le texte originel du Code de la famille l’avaitlimitée d’une manière excessive et discriminatoire ensoumettant tout acte juridique posé par elle à l’autorisation maritale.
7. La réforme du Code de la famille opérée en 2016 visait notamment à conformer le Code de 1987 aux obligations souscrites par la RDC au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme et du Protocole de Maputo. Les principales innovations introduites par la loi du 15 juillet 2016 consistent en :
- La suppression de l’autorisation maritale pour la femme mariée ;
- L’obligation faite aux époux de
s’accorder pour tous les actes juridiques dans lesquels ils s’obligent, individuellement ou collectivement ;
- L’exigence du respect et de la considération mutuelsdes époux dans leurs rapports tant personnels que parentaux ;
- L’affirmation du principe de la participation et de la gestion concertées du ménage par les époux,
particulièrement quant à leurs biens et charges.
8. Dans le domaine de l’emploi, la situation juridique de la femme héritée de la Loi du 09 août 1967 s’est également améliorée. Parmi les innovations les plus importantes apportées par le nouveau Code du travail issu de la Loi n°015/2002 du 16 octobre 2002, figure le renforcement des mesures antidiscriminatoires à l’égard des femmes. Dans un passé relativement récent, le statut juridique de la femme au travail s’est davantage amélioré par le biais de la Loi n°16/010 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°015/2002 susmentionnée. Au titre des modifications et compléments apportés par ce texte, il y a lieu de retenir la possibilité pour la femme d’effectuer un travail de nuit et la possibilité pour la femme enceinte de suspendre son contrat de travail sans que cela ne soit considéré comme une cause de résiliation.
9. Dans la vie publique et politique, on a enregistré ces dernières années une amélioration significative du seuil de représentativité des femmes dans les Institutions de la République. On doit la réalisation de ce progrès à une volonté politique pro émancipation de la femme clairement affichée et traduite par les dernières réformes initiées dans la législation applicable aux élections. L’illustre le respect de l’approche genre érigé en exigence opposable aux partis et regroupements politiques par la Loi n°15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011. Au miroir des femmes Vice-Premier Ministre, Ministres d’Etat, Parlementaires, Gouverneures de Provinces et autres, le vieux dicton « muasi atongaka mboka te » est dans une large mesure jeté dans la poubelle de l’histoire. Cependant, beaucoup reste à faire afin de permettre aux femmes d’accéder en nombre suffisant aux instances de prise de décisions.
III. LES DROITS DE LA FEMME EN RDC, OU ALLONS-NOUS ?
1. En dépit des progrès réalisés en matière des droits civils,politiques, économiques, sociaux et culturels de la femme, il faut se garder de penser que tout est définitivement acquis et que la lutte a pris fin. Loin de là. D’une part, si les femmes ne restent pas vigilantes et n’y prennent pas garde, des lois nouvelles peuvent amenuiser leurs droits déjà acquis. Le risque de basculer de progrès en recul reste permanent. D’autre part, de nouveaux horizons des droits de la femme sont à conquérir au prix d’inlassables efforts et de plaidoyer auprès des décideurs. En effet, en l’état actuel des normes internationales et nationales relatives aux droits de la femme, il apparaît encore une sorte de fossé inquiétant entre les droits de la femme universellement admis et les droits de la femme légalement consacrés. De nombreux défis restent donc à relever. Nous en épinglerons quelques-uns.
2. Le défi de la défense des droits des groupes spécifiques de femmes souvent marginalisées. Allusion pourrait ici être faite aux lesbiennes, aux femmes transgenres, aux filles mères, aux femmes déplacées de guerre et aux femmes pygmées - quand bien même le pays dispose déjà de la Loi n°22/030 du 15 juillet 2022 portant protection et promotion des droits des peuples autochtones pygmées -.
3. Le défi de l’implémentation des recommandations internationales. Nous pensons ici essentiellement aux recommandations formulées dans le cadre des examens périodiques des rapports présentés par la RDC sur la mise en œuvre de ses obligations internationales souscrites au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
4. Le défi de l'effectivité des droits. Il ne suffit pas de poser les normes sur les droits de la femme, encore faudrait-il en imposer le respect. Leur effectivité est à ce prix. Le pari n’est pas encore suffisamment gagné. L'écart est à réduire entre la beauté des textes et la laideur des pratiques néfastes à la condition féminine encore vécues sur terrain. Par exemple, s’agissant de la participation effective de la femme dans le domaine économique, les politiques et les programmes économiques de développement du pays devront être élaborés et mis en œuvre en tenant compte de la parité homme-femme. Par ailleurs, le secteur privé devra promouvoir, en son sein, la participation de la femme aux instances de prise des décisions. Enfin, l’Etat devra rendre effectif le droit de la femme à l’initiative privée et favoriser, sans discrimination basée sur le sexe, l’accès à l’épargne, aux crédits, aux diverses opportunités et aux nouvelles technologies. A cet effet, il est attendu de l’Etat de prendre des mesures idoines pour éliminer toute pratique néfaste aux droits de la femme en matière d’accès à la propriété, à la gestion, à l’administration, à la jouissance et à la disposition des biens. C’est cela « Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme », thème retenu pour l’édition 2024 de la journée internationale des droits des femmes.
Mme Rachel-EsméraldaKAPINGA N. ANGELESI
Experte à l’Observatoire Congolais du Développement Durable (OCDD)