S’il était donné à tous les anciens partis dans l’au-delà de revenir à ta vie pour voir ce qu’est devenue la ville de Kinshasa, beaucoup perdraient leur latin. Non seulement la capitale s’est agrandie, mais elle abrite aujourd’hui près de dix millions d’âmes. Retrouver des habitations abandonnées après des décennies, constitue un véritable casse-tête chinois. La raison du désordre constaté actuellement est toute simple. Kinshasa vit sous le régime du morcellement des parcelles et des concessions, phénomène autrement appelé « demi-portion» dans certains coins, « rame» pour les autres et «etati » pour tous les locuteurs du lingala. En cause, le plan cadastral et urbanistique ont foutu le camp et sont mis à mal par les constructions anarchiques.
A cause de la démographie galopante entraînant une forte demande en logements et de l’enrichissement d’une certaine catégorie de la population, le secteur immobilier est devenu très florissant. Ainsi, on ne compte plus le nombre des villas et maisons qui sont sorties des terres, ces derniers temps. Aucun quartier de la ville n’est épargné par ce phénomène avec comme conséquence, l’émiettement du plan de la ville.
Jadis à Kinshasa, chaque quartier avait son propre type de maisons. A une certaine époque pas très reculée, seul le centre-ville, plus précisément le centre d’affaires, pouvait accueillir des immeubles de plus de trois étages. Le paysage immobilier était uniforme avec des habitations à un ou deux étages dans les communes de Bandalangwa, Kintambo, Limete, Lemba et Matete.
Ce qui était alors conforme à cette époque, c’est qu’on trouvait rarement de maisons basses à côté des constructions à étages. Et la raison de cet aménagement bien pensé était simple préserver l’intimité des habitants et du voisinage.
D’autre part, dans les quartiers bien aménagés tels que Salongo Nord et Sud, Righini, Cité Verte, Marna Mobutu, Ma campagne, toutes les maisons étaient basses. La raison était toute trouvée : encore une fois de plus, préserver l’intimité du voisinage, la tranquillité, la convivialité et l’harmonie au sein de cet espace de vie commune.
Parfois, pour éviter des conflits de voisinage, le plan d’urbanisme avait prévu de parcs de jeux pour enfants, des bancs publics, des espaces verts pour le recyclage de l’oxygène dans les quartiers.
Sur le plan démographique, ces quartiers étaient prévus pour abriter un certain nombre de familles. Le plan avait prévu toutes les voies de desserte en eau, des cabines électriques, un service et un réseau de téléphone fixe, ainsi qu’une servitude publique, espace réservé pour tout aménagement dans le quartier en fonction du nombre d’habitants et de consommateurs potentiels. Sur le plan cadastral, chaque parcelle était couverte régulièrement par un certificat d’enregistrement en bonne et due forme. Ce certificat donnait le droit de propriété à son détenteur de manière exclusive.
La logique des portions
Malheureusement, depuis près de deux décennies, la pression démographique aidant, doublée d’une volonté de devenir à tout prix propriétaire, afin d’échapper aux humeurs et tracasseries de bailleurs véreux, un nouveau phénomène est en vogue dans le secteur immobilier à Kinshasa et ailleurs dans le pays. Le morcèlement, rame ou « étati ou morceau », est à la base du banditisme urbanistique. Il a pris le dessus sur le plan cadastral et d’aménagement de la ville qui s’est étendue d’Est en Ouest. De plus en plus des anciennes parcelles, jadis couvertes par un seul certificat d’enregistrement, sont aujourd’hui morcelées, obligeant les acquéreurs de demi-parcelles à solliciter chacun, son titre de propriété.
Une parcelle qui mesure 60m140m, par exemple, peut être découpée en 5m/20. Cet espace générerait facilement douze nouvelles parcelles. Chaque portion devra être couverte par un nouveau certificat d’enregistrement et un numéro cadastral. Elle va générer une masse et eaux de pluie coulant de sa toiture qui doit être non seulement canalisée, mais aussi évacuée. En outre, il y a sa production d’immondices et ses besoins en consommation d’eau et électricité, ainsi qu’une nouvelle configuration pour les lignes téléphoniques.
C’est en ce moment précis que tout fait patatras. Et pour cause, l’exiguïté de lieu aidant, tous les nouveaux propriétaires s’arrangent pour monter en hauteur quel que soit le quartier, défiant toutes les règles du bon voisinage et la nature du sol qui ne peut supporter une telle bâtisse, afin de gagner de l’espace. Conséquence logique de cette nouvelle situation créée par ce « braconnage », ceux qui vivent en hauteur violent impunément l’intimité de ceux qui vivent dans de maisons basses. Ce qui favorise un certain voyeurisme de la part des esprits tordus. D’autre part, comme nous n’avons pas la culture de sanitaires à l’intérieur de nos maisons, nous utilisons souvent des endroits aménagés à l’extérieur faisant office de toilettes et de salles de bain. Il peut alors arriver que quelqu’un qui habite en hauteur se plaise à regarder souvent à travers la fenêtre tout ce qui se passe en bas. Imaginons alors que cette personne non autorisée peut régulièrement se permettre d’observer l’épouse, le mari, les fille et garçons du voisin en train de se laver dans le « kikoso »ou dans la toilette turc. Scandale. Au vu de ce tableau peu reluisant et honteux, ceux qui ont dans leurs compétences ce domaine doivent sortir de leur léthargie pour rebâtir Kinshasa comme d’autres capitales du monde. Ce serait se conformer à la révolution de la modernité. Le plan d’aménagement doit absolument être respecté et il n’y a que l’Etat pour le faire. Pour tous ceux qui sont déjà sortis du pays, Kinshasa ressemble à un grand village comme à l’époque des explorateurs.
L’aménagement de la ville et ses quartiers laisse à désirer. Aujourd’hui, il suffit à n’importe qui d’avoir un lopin de terre pour décider du type de maison à construire. Ailleurs, lorsque l’Etat établit un lotissement, il commence avant toute vente par faire un aménagement de l’espace en prévoyant toutes les infrastructures : voies d’évacuation des eaux usées, voies de desserte en eau potable et électricité, téléphone, parcs, marchés publics, parkings publics, ainsi que le type de constructions appropriées sur ce terrain. A Kinshasa, on est tenté de dire que c’est la loi de la jungle qui prime. Comme dans nos villages, chacun construit sa hutte ou case sans se soucier de l’aménagement, pourvu qu’on érige quelque chose qui va servir d’abri contre les intempéries.
Par VAN