La chute des cours de principaux produits d’exportation de la RDC n’explique pas, à elle seule, l’effondrement des recettes publiques. La cause évidente est ailleurs. Elle tient à l’incertitude qui gagne la scène politique. Dans le secteur minier, socle de la croissance économique de la RDC, la peur du lendemain provoque déjà une vague de désinvestissement. Il faut craindre le pire. La clé de l’énigme réside dans l’assainissement de l’environnement politique en vue de ramener la confiance dans tous les secteurs. Ce qui relance l’impératif d’un dialogue politique, cadre idéal pour désamorcer la crise.
Le Potentiel
Si des chocs extérieurs, notamment la chute brutale de principaux produits d’exportation, ont eu une incidence négative sur la mobilisation des recettes publiques, les tensions sur le plan politique ne peuvent pas être marginalisées. L’année 2016 sera rythmée par la vie politique. Sans doute, du fait de l’attente des élections qui doivent assurer l’alternance au niveau du sommet de l’Etat.
Le contexte politique qui prévaut depuis quelque temps n’est pas étranger à la mine grise qu’affichent les recettes publiques. Des analystes sont d’avis que si rien n’est fait pour améliorer le climat politique, la crise va se corser. Sur le terrain, des faits semblent corroborer cette thèse. Devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre n’a pas pris en compte cette nouvelle donne. Mais, en 2016, sans un quelconque ajustement politique conséquent, il sera presqu’illusoire d’envisager de bonnes perspectives sur le plan économique. Le désinvestissement qui s’observe déjà dans le secteur minier en est une belle illustration.
Le fond du problème est politique
Lundi dernier, devant la plénière de l’Assemblée nationale, le Premier ministre Matata a clairement posé le problème, conscient de l’incertitude dans laquelle baigne le projet de loi des finances qu’il soumettait à la sanction de la Chambre basse du Parlement. «Certains députés, a-t-il déclaré, pourraient poser des questions sur la crédibilité du budget de l'Etat», relevant, par la suite, que « les stratégies énoncées par le gouvernement visent à réduire les incidences des chocs extérieurs sur notre économie». De l’avis du Premier ministre, «c’est un projet de budget réaliste qui tient compte d’un environnement économique et social défavorable».
Etait-ce donc la seule donne qui justifie la chute des recettes publiques alignées dans le projet de budget 2016 ? Dans les milieux spécialisés, l’on tente d’analyser la question sous un autre prisme, en intégrant dans cette simulation l’aspect politique. Des impacts sur le budget de l’Etat sont évidents. Une catégorie d’analystes estime qu’on ne saurait pas imputer aux seuls chocs extérieurs la chute des recettes recouvrées par l’Etat.
«L’argument est trop simpliste, dans la mesure où il ne prend pas en compte l’incertitude dans laquelle baigne aujourd’hui l’environnement politique congolais. Il ne faut pas oublier qu’en RDC, tout est régenté par la politique. Si bien que quand la politique va mal, c’est tous les secteurs de la vie nationale qui entrent en transe», commente un analyste politique de renom. A première vue, il n’a pas tort.
Depuis un temps, un vent de panique souffle sur le microcosme politique. Devant l’incertitude d’un processus électoral apaisé – le calendrier électoral global du 12 février 2015 s’étant pratiquement désintégré en plein vol – la vie économique tourne au ralenti. La fronde de sept partis de la Majorité présidentielle, couplée à la démission de Moïse Katumbi du PPRD, a fortement ravivé les tensions sur la scène politique.
L’incertitude gagne du terrain
Dans cet environnement politique plus qu’incertain, l’économie n’a pas été épargnée. Dans le secteur minier, l’un des plus grands pourvoyeurs des recettes publiques, il s’observe une vague de désinvestissement. Matata n’a pas manqué d’en faire mention devant l’Assemblée nationale. «A titre d’illustration, au cours du troisième trimestre, la société minière KCC a annoncé l'arrêt de sa production durant une période de dix-huit mois. Cette société produisait environ 15% du total du secteur. Cela privera le Trésor près de 200 milliards de Fc au cours de l’exercice prochain», a indiqué le Premier ministre.
Il faut craindre que cette vague ne s’étende dans d’autres secteurs, tels que les télécommunications et la construction ; deux autres piliers de la croissance économique après les mines.
Le cas KCC est évocateur de la panique qui guette déjà la RDC. En effet, le désinvestissement de KCC n’est pas dicté par la seule chute des cours de cuivre ou du cobalt. Loin de là. D’autres facteurs ont certainement influencé la décision des actionnaires de la société. La variable politique a sûrement pesé dans la balance. Pour plusieurs raisons, d’ailleurs.
A moins d’être frappé d’amnésie, l’on doit se rendre à l’évidence qu’en RDC, le climat politique se détériore au jour le jour. L’onde de choc de la grogne qui a secoué la Majorité présidentielle s’est propagée un peu partout, au point d’impacter négativement le plan des recettes publiques. La chute des cours des matières premières sur le marché mondial n’est, de ce point de vue, que la partie visible de l’iceberg. La cause lointaine de la panique qui gagne les finances publiques est à situer dans la crise politique, latente il y a un temps, mais qui a fini par prendre corps avec l’avènement du G7.
Selon des experts, cette tendance devait se poursuivre jusqu’en 2016. L’année 2016 sera plus difficile que 2015. Le gouvernement devra user de tact pour maintenir le cap. Matata n’écarte pas cette hypothèse. «Le projet de loi des finances pour l’exercice 2016 est buté à l’étroitesse des recettes publiques, ce qui influe sur le niveau des dépenses requis pour la mise en œuvre des politiques publiques, dont notamment celles en rapport avec les secteurs prioritaires, les grandes réformes ainsi que le fonctionnement des institutions de la République».
Sans vouloir se hasarder sur le terrain politique, Matata s’est concentré sur le sujet dont il a le contrôle. Il a fait observer : «Le gouvernement préconise la mise en œuvre des mesures fiscales et administratives des administrations financières pour la mobilisation effective des recettes projetées, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ainsi que la maîtrise des impôts réels».
Le Premier ministre reconnait, sans le dire tout haut, les limites de sa stratégie. Pour autant que la donne politique n’est pas prise en compte, il a directement relevé qu’ « au-delà de ces mesures, une thérapeutique appropriée est indispensable pour résoudre cette question de faible mobilisation des ressources devenue chronique ». «Nous allons y travailler profondément», a-t-il promis par la suite.
Cette thérapeutique, cette potion magique sur laquelle réside la clé pour libérer le verrou qui étouffe la mobilisation des recettes publiques est à chercher du côté de la politique. Etant au centre de toute la vie économique et sociale de la RDC, l’on ne peut pas envisager un inversement des tendances sans prendre en compte la donne politique.
Tant qu’on se perdra dans une bataille politique sans fin, il sera difficile d’envisager une certaine embellie sur le plan économique. Le désinvestissement dans le secteur minier est un message clair que les dirigeants devaient percevoir à sa juste valeur.
Tout compte fait, une crise politique de grande ampleur couve en RDC. Il faut tout mettre en œuvre pour en limiter l’expansion et les dégâts.
Le dialogue politique : un passage obligé
Au-delà de tout ce que préconise le chef du gouvernement pour sécuriser les recettes publiques, l’assainissement de l’environnement politique s’impose comme un préalable de premier ordre. Car, c’est de là que devait partir le déclic pour libérer toute la machine. De ce point de vue, le dialogue politique, prôné par le chef de l’Etat, paraît incontournable. Ce forum reste le seul lieu privilégié pour atténuer les tensions de plus en plus vives sur la scène politique. C’est aussi le passage obligé pour annihiler l’incertitude qui gagne du terrain. Autant dire que le dialogue politique est incontournable.
Sans le dire vraiment, Matata a effleuré le sujet, lundi dernier devant l’Assemblée nationale. « En vue d’atteindre les objectifs fixés sur le plan politique, économique et social, le gouvernement de la République sollicite l’implication de l’ensemble des institutions dans la mise en œuvre des mesures relatives à des ajustements compatibles avec l’environnement économique national et international ». Et, le meilleur d’entre tous les ajustements possibles est celui qui sortira du dialogue politique.