Antoine Tshimpi est un médecin congolais vivant en France. Spécialiste des Maladies de l’Appareil Digestif, il est titulaire de plusieurs diplômes universitaires dans son domaine. Diplôme Universitaire (DU) d’Hépatites Virales, Interféron et Cytokines, DU d’échographies digestives et Urogénitales, DU Informatique Médicale appliquée, DU Echo Endoscopie, DU Techniques Avancées en Endoscopies Diagnostiques. DU (en cours) Cancérologie digestive. Il est actuellement président de la Commission Médicale d’Etablissement et Vice-président du Directoire du Centre Hospitalier en France. Dans les lignes qui suivent, le Dr Antoine Tshimpi apporte sa contribution à la construction d’un système de santé publique efficace en RD Congo. Témoignage. L K
Il fait 7° C ce matin au Mans (France). Nous sommes lundi de paques, ici jour férié. Les coquelicots, les tulipes…. jaunissent et rougissent de plus en plus la nature. La gaieté se lit à travers les visages des piétons. Une nature beaucoup plus gaie qu’à notre départ hier soir de Kinshasa ’(RDC) après un nouveau séjour de trois semaines. Nul doute, nous sommes revenus dans notre pays d’adoption ! Pourtant, je ne peux cacher mon sentiment d’abandon, de frustration, au retour de mon pays d’origine, mon pays de cœur et de sang.
En effet, hier, 5 heures avant mon vol, j’ai été appelé pour une urgence. Une haute personnalité de la RDC, de Kinshasa, faisait, depuis plus de 2 jours, une hémorragie intestinale massive. Cinq paquets de sang étaient déjà transfusés, et l’hémorragie persistait. Quelques secondes de réflexion, de flou pour se rendre compte d’une brutale évidence connue : pas de centre à Kinshasa ni en province pour gérer cette urgence vitale et fréquente, pas de matériel, pas d’expert sur place ...pour ce grand, beau et riche pays qu’est la RDC.
Quelques initiatives de fortune permettent de le prendre en charge dans des conditions peu dignes, dictées par l’urgence : persistance d’une hémorragie d’origine diverticulaire colique, chez un patient épuisé de lutter depuis 48 heures, pas apte à supporter une opération chirurgicale plutôt lourde. Le simple traitement médical débuté, un peu tard, ne laisse pas trop de doute sur le pronostic à court terme. Ce matin, le cœur s’est arrêté !
Il y a deux jours, un expatrié vivant à Kinshasa a présenté un brutal blocage thoracique lors d’une prise d’un repas. Suivi d’une hyper salivation, une gêne respiratoire, et une douleur thoracique très inconfortable. Il consulte en urgence dans un grand centre de la place, qui ne peut régler le problème ne disposant ni d’expert, ni de matériel. Je suis ensuite contacté. Quelques questions au téléphone permettent facilement d’orienter le diagnostic. Il y a urgence, il faut essayer de se débrouiller avec des moyens de fortune, dans un petit centre médical qui a le mérite d’exister. Le problème est réglé par une opération endoscopique qui a duré une vingtaine de minutes. Le soulagement est immédiat et lui fait l’économie d’un voyage urgent à l’étranger !
Ces quelques cas sont triés, au hasard, dans une liste de plus en plus longue des patients que j’ai été amené à prendre en charge lors de mes récents déplacements au pays. Combien de Congolais démunis présentent des tableaux similaires, et qui souffrent ou meurent dans le silence ? Combien de casse humaine faut-il pour réveiller les consciences ? Il nous faut revoir notre projet de société, notre système de santé au bénéfice de la population. Des solutions sont pourtant possibles, au prix d’abord d’une ferme volonté collective.
Chaque province devrait disposer d’un grand hôpital de référence, composé de quelques unités avec compétences décidées sur le plan national, après avis d’experts. Le ciblage de domaine permettra d’éviter un gaspillage financier et humain. Cela suppose un management responsable et un mécanisme de contrôle, un personnel bien formé et soumis à une formation continue obligatoire (et contrôlé), un équipement en conséquence. Les hôpitaux publics devraient fonctionner avec un budget contrôlé, sur base des projets médicaux quinquennaux, évalués annuellement.
La gestion devra être calquée à celle de toute entreprise, avec obligation d’équilibre financier. Les dépenses de chaque hôpital (60 à 70% habituellement alloués au salaire et traitement du personnel) devront être en adéquation avec les recettes liées à l’activité effective et les allocations de l’état.
Une structure en charge type Direction générale des hôpitaux, relayée par des directeurs provinciaux, attachée évidemment au ministère de la Santé, devrait se montrer plus opérationnelle. La formation initiale du personnel médical et soignant nécessite une remise à plat, afin d’être orientée vers un réel besoin de la population, eu égard à nos moyens et à notre projet à long terme.
Les salaires devraient être à la hauteur de la tâche, avec, en contrepartie, un cahier des charges clair. Comme le font plusieurs autres nations, Il faudra tout faire pour encourager le retour au pays de l’élite congolaise dispersée à l’étranger. Et les signaux (mesures attractives et incitatives concrètes) doivent venir d’abord des autorités en charge du pays.
Mon transfert de l’aéroport de Paris-Charles-De-Gaulle au Mans s’est effectué par train (TGV). Le hasard a fait que j’étais placé à côté d’un éminent collègue chirurgien avec lequel je travaille dans une grande clinique. Il revenait d’un séjour d’une semaine aux Etats-Unis d’Amérique, où son épouse est restée aux côtés d’une de leurs filles. Celle -ci vient d’avoir un bébé porteur d’une maladie génétique. Et le bébé est pris en charge par un médecin……. Congolais ! Toutes les politiques nationales mises en place devraient viser le bien-être de la population ; sa première grande richesse reste la santé. Faisons tout pour la faire fleurir en RDC
Que Dieu bénisse la RDC ! Dr Antoine TSHIMPI.