RD Congo – gâchette facile: faut-il recourir à la « Responsabilité de protéger » ?

Samedi 17 janvier 2015 - 13:58

(AgoraVox) En République Démocratique du Congo, la police a ouvert le feu sur les manifestants qui s’opposaient, le 12 janvier 2015, à l’adoption d’une loi électorale. L’opposant Kudura Kasongo, visé à bout portant, a reçu quatre balles dans les jambes. Cette répression, à balles réelles, en rappelle d’autres. Le 20 février 2014, la « Caravane de la paix » que menait l’opposant Vital Kamerhe, dans la ville de Bukavu, avait essuyé des tirs nourris de la part de la police. Bilan deux morts et vingt-six blessés.

On garde toujours à l’esprit les scènes macabres de décembre 2011. Les sympathisants de l’opposant Etienne Tshisekedi avaient été massacrés par la police près de l’aéroport de Ndjili. Trois ans plus tôt, ce sont les sympathisants d’un autre opposant, Ne Muanda Nsemi, qui étaient littéralement décimés par l’armée et la police dans la province du Bas-Congo. Bilan : mille morts, selon l’ONG américaine Human Rights Watch. Le militant des droits de l’homme, Floribert Chebeya, qui avait constitué un dossier sur ces tueries, sera assassiné par la police le 2 juin 2010. Tel est le décor du Congo et le pire pourrait se produire à tout moment.

Alors que le pays aborde une période tendue marquée par une vive opposition au maintien de Joseph Kabila au pouvoir au-delà de 2016, des manifestations sont à prévoir[1]. Leur répression par balles aussi. Autrement dit, un Etat qui tire sur sa propre population et qui va continuer de le faire. La notion de la Responsabilité de protéger est née face aux autorités d’un Etat qui se comportent de cette façon-là.

Qu’est-ce que « la responsabilité de protéger » ?

Le concept de responsabilité de protéger ou « responsibility to protect » est né d’une réflexion sur l’inaction de l’ONU et de la communauté internationale face à des situations intolérables où un Etat massacrait sa propre population, qu’il est pourtant supposé protéger[2]. Une intervention extérieure était rendue impossible par respect du principe de souveraineté des Etats. L’article 2 de la Charte de l’ONU proscrit l’intervention d’un Etat dans les affaires intérieures d’un autre Etat. L’opinion internationale était ainsi partagée entre la logique du laisser-faire et la nécessité d’intervenir pour protéger une population contre ses propres autorités. Une intervention justifiée par des raisons humanitaires, mais qui violerait le droit international.

Pour dépasser ce dilemme, deux commissions internationales, constituées en 2001 et en 2004 à l’instigation du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ont abouti à une redéfinition de la notion de « souveraineté » des Etats. La souveraineté d’un Etat « doit s’entendre non plus seulement comme une protection de l’Etat contre d’éventuelles interventions extérieures mais aussi comme une responsabilité à l’égard des populations placées sous la juridiction de cet Etat ». Autrement dit, un Etat qui ne protège pas sa population ou qui, pire, s’en prend à sa population, ne peut pas évoquer le principe de souveraineté pour empêcher une intervention extérieure. Dès lors, la communauté internationale doit être prête à mener des actions collectives destinées à protéger cette population avec ou sans l’accord de l’Etat concerné[3].

Il faut toutefois reconnaître que si les intentions sont nobles autour de la responsabilité de protéger, sa mise en application appelle à la prudence.

Une notion à manier avec précaution

Deux pays au moins peuvent être cités comme des cas de mise en pratique de la responsabilité de protéger : la Libye et la Côte d’Ivoire.

À la suite de manifestations liées au « printemps arabe » qui ont affecté la Libye de Mouammar Kadhafi, et de la répression qui s’en est suivi, le Conseil de sécurité de l’ONU a, le 26 février 2011, adopté la Résolution 1970. Le texte faisait explicitement référence à la responsabilité de protéger (…) dénonçant « la violence émanant du plus haut niveau du Gouvernement libyen et dirigée contre la population civile ». Un mois plus tard, le Conseil de sécurité adoptait la Résolution 1973 autorisant les États membres à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les civils sous la menace d’une attaque dans le pays. Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont interprété cette Résolution comme un feu vert à l’action militaire. Les avions de l’OTAN ont commencé à frapper les forces de Kadhafi permettant aux forces rebelles de renverser le Guide libyen. Le pouvoir qui était visé par la responsabilité de protéger fut ainsi renversé, mais, depuis, le pays a sombré dans le chaos.

La Libye peut être considérée comme un exemple catastrophique de la mise en pratique de la responsabilité de protéger.

La Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo est un autre cas de la mise en pratique de la responsabilité de protéger. Suite aux violences post-électorales en fin 2010, le Conseil de sécurité a adopté la Résolution 1975, le 30 mars 2011, condamnant les violations flagrantes des droits de l’homme dont les partisans des candidats Laurent Gbagbo, président sortant, et Alassane Ouattara, étaient accusés. La résolution a fait état de la responsabilité de chaque État à protéger les civils et exigé le transfert du pouvoir à Alassane Ouattara. Elle a, en outre, affirmé que l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) pouvait utiliser tous les moyens nécessaires pour protéger les vies et les biens. La France et l’ONUCI ont interprété la Résolution comme donnant le feu vert à une action armée contre le président Gbagbo. Le 4 avril 2011, une opération pilotée par l’armée française a abouti au renversement du président Gbagbo et son arrestation une semaine plus tard.

Si le calme est, depuis, revenu dans le pays, l’opération a néanmoins généré de profondes frustrations au sein de la nation ivoirienne et un vent de consternation dans les milieux intellectuels africains. L’action de l’armée française a été vécue comme une opération de type néocolonial.

Ces deux exemples, il y en a d’autres[4], illustrent que si une population, par désespoir, peut être amenée à solliciter l’aide de puissances étrangères contre son Etat qui la maltraite, au nom de la responsabilité de protéger, les seules Etats capables d’intervenir sont des puissances disposant d’importants moyens militaires et financiers. Reste que, ces interventions sont souvent rapidement détournées de leur vocation humanitaire pour servir d’inavouables objectifs économiques ou géostratégiques des puissances motivées par l’idée d’intervenir dans un pays plutôt que dans un autre.

C’est en tenant compte de tous ces aspects et de bien d’autres, que les Congolais : pouvoir, opposition et populations vont devoir aborder la fin du dernier mandat de Joseph Kabila, d’ici à décembre 2016. En misant sur la répression à balles réelles de la population pour se maintenir au pouvoir, le régime de Joseph Kabila risque de ne laisser aux Congolais aucun autre choix que de recourir à la responsabilité de protéger. Une notion dont la mise en pratique, si elle permet effectivement de mettre fin à un régime qui massacre sa population, n’offre pas, pour autant, de garantie quant à la stabilité du pays et la cohésion nationale par la suite.

Boniface MUSAVULI

[1] En République Démocratique du Congo, la liberté de manifestation est, en principe, garantie par la Constitution (article 26) et des textes internationaux auxquels le Congo est partie : article 20 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, article 21 du Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques, article 11 de la Charte africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

[2] Cas de Bosnie-Herzégovine : 1992-95 et du Rwanda : 1994. Le cas du Rwanda mérite toutefois d’être nuancé. Ce sont les Etats-Unis qui empêchèrent le renforcement du mandat et des effectifs des casques bleus dans le pays. Un tel renforcement aurait eu pour conséquence d’enrayer l’avancée du Front patriotique rwandais, le mouvement de Paul Kagame, qui prit le pouvoir en juillet 1994.

[3] Les trois piliers de la responsabilité de protéger que définit le Document final du Sommet mondial de 2005 (A/RES/60/1, par. 138 à 140) et que le Secrétaire général de l’ONU a formulés dans le rapport présenté en 2009 sur le sujet (A/63/677) sont les suivants : 1. Il incombe au premier chef à l’État de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le nettoyage ethnique, ainsi que contre les incitations à les commettre ; 2. Il incombe à la communauté internationale d’encourager et d’aider les États à s’acquitter de cette responsabilité ; 3. Il incombe à la communauté internationale de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres de protéger les populations contre ces crimes. Si un État n’assure manifestement pas la protection de ses populations, la communauté internationale doit être prête à mener une action collective destinée à protéger ces populations, conformément à la Charte des Nations Unies.

[4] On peut ajouter le cas du Darfour et de la Syrie. La crise du Darfour est la crise sur laquelle le Conseil de sécurité a, pour la première fois, fait officiellement référence à la responsabilité de protéger dans la Résolution 1674 du 28 avril 2006 sur la protection des civils en période de conflit armé. En août 2006, le Conseil de sécurité adoptait la Résolution 1706 autorisant le déploiement de forces de maintien de la paix. La Syrie, de son côté, affectée par les conséquences d’un soulèvement populaire qui a dégénéré en guerre civile, a fait l’objet de nombreux débats autour de la notion de la responsabilité de protéger. Mais un texte proposé au Conseil de sécurité de l’ONU a essuyé les vetos de la Russie et de la Chine, échaudées par l’expérience catastrophique de l’intervention de l’OTAN en Libye.
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