La découverte de la fosse commune de Maluku, où 421 personnes ont été inhumées de nuit dans un cimetière le 19 mars dernier, relance les questions sur les morts de la répression de janvier dernier en République démocratique du Congo. Les autorités provinciales ont réitéré leur explication : il s’agit des corps d’indigents des morgues de Kinshasa.
Devant la polémique qui enfle autour de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’« affaire de la fosse commune de Maluku », les autorités provinciales ont convoqué la presse, mardi 7 avril, pour livrer à nouveau leur version des faits. Des autorités qui se sont voulues rassurantes.
L’enterrement collectif qui a eu lieu dans la nuit du 19 mars dernier dans une fosse commune de Maluku, à une centaine de kilomètres du centre-ville de Kinshasa, n’est pas le premier. Il s’agit d’une opération « courante » destinée à désengorger la morgue de Kinshasa dont la capacité se limite à 300 personnes, affirment les autorités provinciales. Ce serait la quatrième opération de ce type menée en moins d’un an.
« On n'a rien à cacher »
Et si l’opération a été menée en pleine nuit, c’est « pour des raisons d'hygiène et de commodité », assure le ministre provincial, Emmanuel Akwety. Selon lui, les corps étaient déjà en état de décomposition. Quant au choix du cimetière de Maluku, une localité située à plus de 100 kilomètres du centre-ville, il s’explique par le fait que le cimetière où les autres enterrements collectifs ont eu lieu était fermé pour travaux, affirme le gouvernement provincial.
Selon Robert Luzolanu Mavema , le gouverneur par intérim, il n’y a « rien à voir » entre l’affaire de la fosse commune de Maluku et les personnes tuées lors des événements des 19, 20 et 21 janvier dernier à Kinshasa, lors du débat au Parlement. « On n'a rien à cacher. On a répertorié 17 victimes lors des événements du 19, 20 et 21 janvier. Et sur les 17, on a pu en enterrer 15. Les deux autres restent au camp Kokolo. C’est tout », affirme Robert Luzolanu Mavema.
Human Richts Watch plaide pour une exhumation des corps
Pourtant, jusqu'à présent, les autorités parlaient de 27 personnes tuées au cours de ces manifestations. L'organisation Human Rights Watch, elle, en dénombre 10 de plus. Surtout, plusieurs familles n'ont toujours pas récupéré la dépouille de leur enfant tué lors de ces journées de janvier. Autant d'éléments qui font planer le doute sur l'identité des personnes enterrées à Maluku. « Nous pensons qu'il reste encore beaucoup de questions sans réponse autour de cette fosse commune », juge Ida Sawyer, chercheuse à la division Afrique de HRW. « Le gouvernement doit conduire une enquête crédible pour faire la lumière sur cette affaire, notamment sur l'identité des personnes enterrées », insiste-t-elle.
La chercheuse se dit dubitative devant la thèse avancée par les autorités provinciales - un enterrement d'indigents : « Le nombre est énorme pour un enterrement au milieu de la nuit, dans une seule fosse. Bien sûr, c'est possible que ce soit des cadavres abandonnés par les familles ou des bébés mort-nés. Pourtant des gens cherchent encore les victimes de janvier. Elles sont peut-être à Maluku. Et si, pour savoir, il faut exhumer les corps, alors faisons-le. »
Appels à l’ouverture d’une enquête indépendante
En attendant, l'enquête judiciaire sur la fosse commune de Maluku continue. Un député de l'opposition a également introduit une question orale à l’Assemblée sur cette fosse commune. Question qui pourrait être abordée lors de la prochaine plénière à l'Assemblée nationale congolaise, le jeudi 9 avril.
De nombreuses réactions et interrogations de la société civile se font également sentir. Les appels à ouvrir une enquête indépendante se multiplient. L’Association congolaise pour l’accès à la justice, mais aussi l’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho). Toutes deux appellent le gouvernement à confier les enquêtes sur les 421 corps enterrés dans cette fosse commune, le 19 mars dernier, à une commission indépendante.
L’Asadho se dit choquée que des personnes aient été enterrées dans une fosse commune. Pour l’ONG, trop de questions sont encore sans réponses et il faut une enquête indépendante, comme l’explique Mâitre Jean Keba Kangodié, représentant de l’Asadho.
Les réponses données ne sont pas objectives ; ne sont pas vérifiables. [...] Beaucoup de questions techniques demandent que nous ayons des personnes qualifiées, indépendantes et qui ont aussi un équipement voulu pour pouvoir nous aider à rétablir les faits dans leur vérité.
Maître Jean KebaReprésentant de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (Asadho).