En vingt-quatre heures, Enock Sebineza Ruberangabo a tout perdu. Il avait fait son entrée au gouvernement de la République démocratique du Congo en décembre 2014 comme vice-ministre des postes et télécommunications, mais a été révoqué vendredi 29 avril 2016 pour avoir « gravement manqué » à son « devoir déontologique et éthique ». Il paie ainsi une vidéo compromettante qui avait commencé à se propager la veille sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter et Youtube.
Ces 4 minutes 30 d’images muettes montrent Enock Sebineza Ruberangabo dans son bureau, à Kinshasa. Face à un ordinateur dont la webcam est activée, il s’adresse à la personne qui apparaît sans doute sur son écran, puis se lève et se livre à un exercice sexuel solitaire. En arrière-plan, on aperçoit le drapeau congolais et le fameux portrait du président Joseph Kabila accroché dans toutes les institutions publiques.
Atterré par la diffusion des images, Enock Sebineza Ruberangabo a expliqué au Monde Afrique qu’il ne savait pas ce qu’était une webcam (alors que son ministère est aussi responsable des nouvelles technologies de l’information) et que la vidéo a été « montée » à partir de « photos prises au bureau ou avec le fond du bureau. (…) Des experts en édition de dessins animés peuvent faire un montage pareil », souligne-t-il.
« Il ne respecte même pas le drapeau de son pays… »
Puis il dénonce un chantage. Sa version : on l’a contacté en lui demandant de payer en échange de la sextape, faute de quoi elle serait diffusée sur Internet. Le haut responsable a d’abord refusé de céder mais « aurait envoyé 2 500 dollars » en voyant que le maître chanteur était passé à l’acte, confie un de ses proches. « Cela a permis de retirer le lien mais un autre internaute avait pu entre-temps l’enregistrer… »
De fait, Youtube a retiré la vidéo en justifiant qu’elle violait son interdiction de tout « contenu à caractère sexuel ». Mais le film est resté accessible ailleurs et certains ont fait des captures d’écran. Choqués, des internautes ont multiplié insultes et moqueries. Beaucoup ont exigé le départ du vice-ministre et créé des hashtags sur Twitter comme #Sebinezamustgo (Sebineza doit partir) ou #SanctionnezSebineza.
« Il prend le chef de l’Etat en témoin, quoi ! Il ne respecte même pas le drapeau de son pays… Dans son bureau ? Ça, c’est trop fort », dénonce entre colère et amusement Nina, une jeune Congolaise qui avait reçu la vidéo jeudi 28 avril via Whatsapp. Dans le même temps, elle éprouve aussi de la compassion. « Je suis gênée à sa place… Mon Dieu, le pauvre gars ! Ses enfants, sa femme, sa famille… »
Vendredi 29 avril, l’ordonnance présidentielle de révocation est tombée. « Le chef de l’Etat est très pointilleux sur la conduite de ses ministres, interdits de fréquenter certains lieux », explique le ministre en charge des relations avec le Parlement, Tryphon Kin-Kiey. Il en veut pour exemple le limogeage en 2010 du ministre des affaires sociales Barthélemy Botswali, après qu’il s’est battu dans un quartier populaire de Kinshasa.
De juteuses surfacturations
Enock Sebineza Ruberangabo « devrait passer quelque temps en Afrique du Sud ou en Ouganda » pour se faire oublier, puis « passer le restant de sa vie à l’Est », dans la province du Sud-Kivu dont il est originaire estime Roland, jeune cadre. Mais l’intéressé veut riposter. « Mes avocats préparent une plainte et dénoncent cette attaque qui salit et détruit ma dignité comme parent et homme politique. »
Une source officielle explique que plusieurs conseillers des ministères ont vu leurs ébats postés sur la Toile mais que l’affaire Sebineza est une première car « jamais l’affaire n’avait atteint ce niveau de hiérarchie et de scandale ». Banale affaire de mœurs ? Cette source reste prudente : « Il ne faut pas exclure une exploitation [politique] sur fonds de règlement de comptes dans ce ministère. »
Le ministère des postes, télécommunications et nouvelles technologies de l’information et de la communication, dirigé par Thomas Luhaka, gère des sommes colossales qui aiguisent les appétits – si l’on en croit notamment le rapport de la commission de l’Assemblée nationale ayant dénoncé en mai 2015 de juteuses surfacturations dans le déploiement de la fibre optique. Ceux qui veulent une part ou refusent de partager risquent alors des coups, tout comme ceux qui s’aviseraient de dénoncer le versement de commissions.
Reste que, à la suite de l’affaire Sebineza, des internautes ont entamé une chasse aux sorcières. Dans la foulée, des sextapes, parfois anciennes, circulent – comme celle du député Emery Kataka, de son confrère Patcho Panda, ou du pasteur Denis Lessie. Des sympathisants de l’opposition, eux, en profitent pour attaquer plus encore la majorité qu’ils accusent de vouloir maintenir Joseph Kabila en poste après 2016, en violation de la Constitution.
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