L’annulation de la manifestation du 13 septembre par une partie des organisateurs a profondément divisé l’opposition. Rien ne va plus entre Vital Kamerhe et Martin Fayulu qui a décidé de ne pas participer à la prochaine marche organisée le 27 septembre.
L’opposition congolaise est à couteaux tirés depuis la manifestation avortée du 13 septembre 2014 à Kinshasa. En cause, le message d’annulation lancé la veille de la marche par Martin Fayulu, (FAC), Christopher Mutamba (Société civile) et Elie Ngomo (UDEMO). Officiellement, c’est après une réunion avec le gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta, qui a fortement déconseillé à l’opposition de manifester, que le trio a publié un communiqué annonçant l’annulation de leur participation à la marche. En cause : « une confusion dangereuse engendrée principalement par l’organisation de plusieurs autres manifestations, curieusement prévues le même jour par d’autres organisations politiques ». En effet, Pierre Lisanga, leader du Front populaire, organisait opportunément sa propre manifestation le même jour… et pour les mêmes revendications, son opposition à la modification de la Constitution – voir notre article. Mais dans une interview à Cheikh Fita, Christopher Mutamba a rapidement vendu la mèche et pointé le malaise qui plane au sein de l’opposition. La cause de l’annulation est à trouvé dans « une certaine cacophonie », mais surtout dans l’omniprésence annoncée de Vital Kamerhe (UNC), co-organisateur de la marche, qui « participe à la manifestation comme s’il était déjà en campagne ». Le trio voit visiblement d’un très mauvais oeil Vital Karmerhe prendre ouvertement la tête de l’opposition et remplir ainsi le vide laissé par Etienne Tshisekedi, malade à Bruxelles. Le samedi 13 septembre à Kinshasa, l’UNC et plus timidement l’UDPS, maintiendront donc leur appel à manifester, mais la police congolaise n’aura pas de mal à museler la marche qui sera rapidement dispersée.
« Traîtrise » ?
Le rendez-vous manqué de l’opposition avec la rue le 13 septembre sera le déclencheur d’une vive polémique entre l’UNC et Martin Fayulu. « Comment Martin Fayulu qui se veut opposant, peut demander aux gens de ne pas marcher ? », interpelle Joseph Kapika de l’UDPS. Pour ceux qui ont maintenu la manifestation, l’attitude de Martin Fayulu « ressemble à de la traîtrise ». Certaines langues se délient et accusent Fayulu d’être « allié » avec André Kimbuta, le gouverneur de Kinshasa. Fayulu aurait fait échoué la candidature d’Adam Bombole du MLC au gouvernorat de Kinshasa pour pousser Kimbuta. En clair, on soupçonne Martin Fayulu de « travailler pour la Majorité présidentielle ». Un parfum de débauchage qui s’est vérifié par la suite. Non pas pour Martin Fayulu, mais pour un autre signataire du communiqué d’annulation de la marche du 13 septembre : Elie Ngomo, secrétaire général de l’UDEMO, le parti de Nzanga Mobutu. Quelques jours après avoir appelé les militants de l’UDEMO à ne pas manifester, Elie Ngomo a été nommé par le président Joseph Kabila, au Conseil économique et sociale. Au sein de l’UDEMO, l’affaire à fait grand bruit, au point que Nzanga Mobutu, qui n’avait pas compris l’annulation de la marche, a « démissionné » son secrétaire général le 22 septembre.
Vrais et faux opposants
Des opposants « achetés » et « financés » par le pouvoir, les accusations sont légions en RD Congo. Les soupçons sont d’autant plus permanents, que les hommes politiques congolais n’hésitent pas à franchir le rubicon en passant allègrement de la majorité à l’opposition (et vice versa). Vital Kamerhe, ancien directeur de campagne de Joseph Kabila et ex-patron du PPRD, passé à l’opposition, en est l’exemple le plus frappant. Qui est « vraiment opposant » ? Qui ne l’est pas ? Difficile de démêler le vrai du faux. Comme cette anecdote que l’on rapporte au sujet de Martin Fayulu (toujours lui). A Washington, début août, en marge du Sommet Etats-unis/Afrique, des opposants étaient invités par le National Democratic Institut à dialoguer avec des membres de la majorité. Très virulent contre Joseph Kabila, Martin Fayulu a été vertement « recadré » par le député PPRD Shadari Ramazani. Shadari a accusé Fayulu d’être « venu prendre notre argent pour être DG de la SNEL (société nationale d’électricité, ndlr) à défaut d’ être gouverneur de Kinshasa, j’ai des preuves, des témoins ».
Fayulu : « jamais corrompu ! »
Martin Fayulu a-t-il des acquaintances avec le régime de Joseph Kabila ? Contacté par Afrikarabia en Afrique du Sud où il participait à une conférence, Martin Fayulu ne donne aucun crédit aux déclarations de Shadari Ramazani : « C’est une personne que j’ai rencontré à la Conférence nationale souveraine et ce monsieur raconte sa vie. Je n’ai jamais été corrompu par qui que ce soit et je ne serai jamais corrompu ! ». Pour Martin Fayulu, ces accusations en public d’un membre de la majorité n’ont qu’un seul but : le discréditer. « Shadari est un spécialiste de ces méthodes. Qu’il apporte les preuves ! ». Ni de près, ni de loin en relation avec le parti présidentiel, Martin Fayulu affirme également que, contrairement aux informations publiées dans Jeune Afrique, il n’avait « jamais été contacté par Aubin Minaku (le patron du PPRD) pour faire partie du gouvernement de cohésion nationale ». Très remonté contre cette rumeur, qui vise également à le déstabiliser, Martin Fayulu tempête : « Je vais être ministre de quoi au Congo ? Pour faire quoi ? Avec des voleurs et des corrupteurs ? Je vous le confirme, je ne suis pas intéressé par un poste dans ce gouvernement ».
Recomposition de l’opposition
Martin Fayulu est donc toujours dans l’opposition, mais il va désormais se démarquer de l’UNC de Vital Kamerhe. Interrogé sur l’organisation d’une prochaine marche organisée par l’UDPS, l’UNC, le RCD-KML, le MPCR le samedi 27 septembre, Fayulu précise qu’il n’y participera pas. « Kamerhe tire trop la couverture à lui. On avait convenu au départ de taire nos ambitions ». Sur le maintient de l’unité (apparente) entre l’UDPS et l’UNC, Martin Fayulu accuse Bruno Mavungu, le secrétaire général du parti, d’être « à la botte de Kamerhe » et voudrais bien savoir « ce que pense vraiment Félix Tshisekedi de tout cela ». Le divorce semble bel bien consommé entre Martin Fayulu et Vital Kamerhe et l’opposition risque donc de se recomposer après cette séparation. En ligne de mire, il y a bien sûr l’avenir de l’UDPS qui perd petit à petit le leadership de l’opposition au profit de Vital Kamehre. Et il y a surtout les apparitions de plus en plus rapprochées de Félix Tshisekedi sur la scène politique congolaise. Dans l’ombre de son père malade, Félix tente de reprendre la main sur le parti (il organise une tournée dans tous le pays). Mais l’UDPS est très affaiblie et surtout très divisée depuis la réélection Joseph Kabila en 2011. Valentin Mubake, Albert Moleka et Bruno Mavungu se disputent avec Félix Tshisekedi la succession du « Sphinx de Limete ». Après les polémiques sur la marche du 13 septembre, on voit clairement que Bruno Mavungu joue la carte Kamerhe (et pourrait amener avec lui une partie de l’UDPS) alors que Martin Fayulu pourrait se rapprocher de Félix Tshisekedi en quête de soutiens. A l’UNC on relativise la situation. Martin Fayulu ne pèse pas lourd sur l’échiquier politique avec seulement 2 députés, alors que le parti de Vital Kamerhe en revendique 27.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia