L’Audiovisuel congolais est à réinventer

Vendredi 10 juillet 2015 - 14:58

Appuyée par Open Society Initiative for Soutern Africa (OSISA), l’étude de l’Observatoire des Médias Congolais (OMEC) sur «L’audiovisuel public en RD Congo» vient de sortir des presses, avec une conclusion pour le moins paradoxale : «La situation actuelle de l’audiovisuel de service public en RDC, en dépit des déficits relevés, n’est pas fatale».
Les deux ressorts qui fondent cette perspective sont le passage au tout numérique, mais aussi et surtout la capacité de l’espace audiovisuel congolais à s’adapter à un environnement qui a érigé la liberté d’expression en norme absolue.
Y arriver ne sera pas une sinécure, loin de là, soulignent les chercheurs, comme en témoignent les errements de la RTNC, diffuseur public et, accessoirement, les médias privés qui s’étaient fixé la mission de pallier les déficits de la radio-télévision nationale congolaise.

«En dehors du village plutôt qu’au milieu «. Bras séculier des régimes successifs, infidèle aux attentes de la population. « Maîtresse « attirée par les plaisirs du moment plutôt que mère attentionnée et aimante. Témoin de toutes les causes qui ont fait l’histoire de la RDC postindépendance, mais jamais des blessures et des frustrations qui jalonnent sa marche en avant…Tout, ou presque, a été dit contre le diffuseur public congolais.
Pour les chercheurs, le principe qui découle de cette situation a valeur de théorème. «La vie de toutes les sociétés modernes se fondent sur deux principaux piliers que sont la démocratie et le développement. Si le développement s’évalue aujourd’hui à travers des critères tels que l’indice du développement humain, le produit intérieur brut par tête d’habitant, l’espérance de vie, le climat des affaires, en revanche la démocratie ne se définit pas seulement en termes d’élection des dirigeants, mais davantage de liberté dont jouissent les citoyens dans leurs choix, leur capacité à s’exprimer par divers moyens, à disposer de l’information nécessaire. La démocratie implique l’existence d’un débat public auquel les citoyens participent librement, le dialogue entre tous les segments de la société. La liberté d’opinion, d’informer, mais aussi d’accéder à l’information, de manifester, de participer au débat et de demander des comptes aux dirigeants qui se soumettent volontiers à cet exercice est consubstantielle à l’existence d’une démocratie saine».
Un principe qui condamne le diffuseur public congolais. Tam-tam d’Afrique, Voix du Zaïre ou du peuple, ce dernier a plus privilégié son rôle de griot, boursouflant les vertus supposées des rois, des princes et de leurs cours, minimisant les vices dont ils ont souvent fait montre dans l’exercice de leur mission.
Question : comment forcer le mythe, comment résorber la contradiction ? Il a fallu, pour les chercheurs, interroger l’histoire, remonter jusqu’aux racines pour identifier les causes des résistances et des blocages, tracer à grands traits le visage de l’audiovisuel congolais ainsi que de sa mission. La sociologie est ainsi à la source de l’anthropologie, davantage quand elle tend à démêler la trame d’un itinéraire qui a difficile à tracer une voie lumineuse vers l’avenir.

Du coup, l’histoire tourmentée de l’audiovisuel congolais est avant tout celle de la RTNC, précurseur par accident et fleuron par usurpation. Celle d’une loi sur l’exercice de la liberté de la presse obligée de s’arrêter aux portes du sanctuaire. Celle d’un statut qui en a fait le porte-parole et la chasse gardée des régimes successifs sans lui donner, ni en investissements, ni en fonctionnement et en rémunération les moyens de son ambition dans un environnement de plus en plus voué à la concurrence.

C’est aussi l’histoire d’une explosion médiatique qui a proliféré grâce au vent de la démocratisation, avec l’apparition des médias privés allant des chaînes commerciales aux confessionnelles en passant par les communautaires, toutes illégitimes aux yeux de la loi de 1996, calquant leurs démarches sur celles des promoteurs, leaders religieux aux allures de gourou, prêcheurs de l’évangile de la prospérité et spécialistes de l’anathème, chefs de partis politiques courant derrière l’illusion de la toute puissance des médias pour assouvir sans frais leurs ambitions.

Pour autant, estime l’étude, la RTNC dispose d’un atout de taille : son implantation inégalée sur l’ensemble du territoire national, qui aurait pu en faire l’accompagnateur attitré de la décentralisation, catalyseur du programme de développement du gouvernement et facteur de l’expansion du débat démocratique. Du coup, les chercheurs pointent le fossé qui va s’élargissant entre le diffuseur public et le citoyen. Ils révèlent les tentatives désespérées des médias privés cherchant à suppléer les défaillances de ce dernier, souvent sans moyens, avec un personnel démotivé et obligé de vivre de mendicité. En définitive, public ou privé, l’audiovisuel congolais n’a pas les ressources historiques, politiques, économiques et juridiques indispensables pour jouer son rôle de creuset du débat démocratique et de foyer d’expansion du développement.
Si les auteurs s’abstiennent à juste titre de prononcer la condamnation à mort, c’est pour ouvrir une fenêtre – qui se veut encourageante – tournée vers l’avenir. L’audiovisuel congolais est à réinventer, concluent-ils, à redéfinir à l’aune de la demande démocratique de plus en plus forte, mais aussi des besoins des populations en termes de développement aujourd’hui fondé sur le savoir partagé. Cet effort, poursuivent-ils, devrait commencer par l’audiovisuel public – et donc la RTNC – qu’il faudra réinventer dans son ensemble, dans ses structures et son fonctionnement comme espace des libertés et «église au milieu du village», dans les moyens de sa politique pour l’éloigner des pratiques de mendicité et d’asservissement, dans les efforts de son développement et de son rayonnement à la fois comme entreprise et comme diffuseur public.

Résorber la contradiction n’est donc pas qu’une simple question de choix d’une norme technologique- encore faut-il justifier le choix dans sa pertinence opérationnelle et sa validité politique et sociale. Sont, du coup, interpellés le politique qui opère des choix, le législateur qui définit l’espace des libertés ainsi que les moyens, le professionnel en charge de l’utilisation de l’outil : quelle ambition ont-ils, les uns comme les autres, pour l’audiovisuel congolais ?

A la suite des Etats Généraux de la presse tenus en 1995, des progrès substantiels ont été engrangés. Il reste que l’espace des libertés que ces Etats Généraux avaient su créer, conquérir et traduire à travers la loi de 1996 a implosé à la suite d’une demande exponentielle d’expansion de la démocratie par la population, de l’avènement de nouveaux médias – qu’ils soient commerciaux, confessionnels ou communautaires -, ainsi que de l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication à la base de nouveaux défis en termes de moyens financiers à investir, de formation des professionnels, de nouveau cadre législatif et réglementaire ainsi que de régulation.

Une évolution qui fait évidemment peur au personnel politique. Ce dernier assimile souvent l’expansion des libertés à la perte des privilèges. N’empêche, cette évolution est inéluctable à l’ère de la mondialisation. A l’exemple du sage Salomon, l’étude ne se contente pas de jeter l’anathème, estimant que les responsabilités devraient être partagées avec, naturellement, une clause préférentielle pour l’Etat, appelé lui-même à se réformer pour mieux servir de locomotive au lieu de traîner le pas, au risque de provoquer la confrontation avec des mutations de plus en plus inévitables. «Mais cette responsabilité est aussi celle des entrepreneurs qui font intrusion dans le métier sans en avoir ni les moyens intellectuels, ni les ressources matérielles et financières indispensables pour monter une véritable entreprise de presse», ajoute l’étude. Avant ce pavé dans le jardin des professionnels, qui accuse, en plus des faiblesses structurelles déjà dénoncées, « une formation de plus en plus chahutée dans son mode de recrutement et son programme de formation des futurs journalistes, mais aussi et surtout dans son inadéquation avec les besoins du marché «.

Coordonnée par le Professeur Lino Joseph PUNGI ANA-U’MBERHA, cette étude a connu la participation de Stanis NKUNDIYE ANGALIKIYANA et de Jean KENGE MUKENGESHAYI comme chercheurs