Les roulages recourent au " mbasu " pour rançonner les chauffeurs

Jeudi 5 mars 2015 - 10:33

Les pneus coûtent cher, si tu crèves un de mes pneus, tu le payeras je te promets ". Malgré lui, le policier retire un morceau de bâton surmonté des clous muni d’un fil tenu à la main. Ce qui a permis au chauffeur d’un taxi-bus de passer calmement pour reprendre sa route en direction du territoire de Kimpese après celui de Lukala, dans le district des Cataractes au Bas-Congo. Pendant ce temps, d’autres véhicules (taxi, taxi-bus et bus) restaient immobilisés au poste des policiers de circulation, communément appelés des " roulages ", qui rançonnent les chauffeurs sur la route Kinshasa-Matadi. A voir comment on recourt à la manière forte, c’est comme si ces roulages, outre leurs propres ventres, avaient un versement à faire auprès de la hiérarchie.

L’équipement de fortune appelé " mbasu " auquel recourent les " roulages " leur permet d’obliger des chauffeurs récalcitrants à la pratique consistant à glisser quelques billets de banque entre les mains des policiers de circulation routière à se rendre à l’évidence. A défaut d’anticiper, on peut s’en sortir avec un pneu crevé. Arrêt obligatoire donc. Dès qu’on est repris par le " mbasu ", on est contraint de payer une taxe supérieure à celle prévue. Ainsi, aucun véhicule ne peut se soustraire du paiement d’une taxe non reconnue par l’Etat et qui fait la fierté des " roulages ". Cela se passe au vu et au su de tout le monde à Lukala. Les " roulages" opèrent ainsi librement et pratiquement chaque jour à travers deux équipes qui se relaient sur place.
" On est obligé de le faire. Sinon, on s’en sort avec un pneu crevé, surtout lorsqu’ils décident de traquer un véhicule dont le chauffeur ne s’est pas soumis à l’obligation de laisser quelques billets de banque. Lorsqu’on sait que plusieurs dizaines de véhicules empruntent ce chemin chaque jour, on comprend à peu près ce que les roulages gagnent quotidiennement. Mais, on ne peut rien parce qu’aucune autorité ne se préoccupe de notre sort ". C’est en ces termes que le chauffeur ayant échappé au piège qu’ils lui ont tendu explique la situation. Et le receveur de renchérir : " Ce sont des voleurs ces gens et ils sont sans pitié, le plus important pour eux étant de gagner de l’argent à n’importe quel prix ". Impuissants, les chauffeurs n’ont donc qu’à s’incliner.
" On comprend pourquoi ils commencent tous à avoir de gros ventres à force de rançonner les chauffeurs ", indique, pour sa part, un passager habitué du tronçon. Et un autre de s’inviter au débat à sa manière : " Si cela se passe au vu et au su de tout le monde, c’est qu’il s’agit d’une vieille pratique et que leurs chefs perçoivent leur quote part. C’est comme ça qu’ils les obligent à toujours leur rapporter quelque chose chaque jour ". A bord du taxi-bus, chacun expliquait d’ailleurs à sa manière les pratiques honteuses des roulages. Presque tous les passagers parlaient le même langage à l’exception d’un homme qui justifiait le rançonnement des roulages. "Laissez-les, comment croyez-vous qu’ils s’occupent de leurs enfants avec la solde vraiment insignifiante que l’Etat leur paie à chaque fin du mois ", dit-il.

DES Dos d’ânes, dU PAIN BENI POUR LES ROULAGES
Sur la nationale numéro 1 Kinshasa-Matadi, des dos d’ânes constituent aujourd’hui des sites des roulages parce que les véhicules sont contraints de ralentir leur vitesse à ces endroits pour éviter de faire faux bond.
A Kasangulu, c’est à hauteur de deux stations de dos d’ânes que les roulages se postent toujours pour demander de l’argent. Même chose à la cité de Luila. Si ces barrières n’existent pas à Sona-Bata et à la bifurcation de Mbanza-Boma, à Madimba, les roulages se servent aussi des dos d’ânes pour rentabiliser leur présence. Même tableau à Kisantu et à Inkisi. D’ailleurs, à la sortie d’Inkisi, on trouve également des roulages menaçants qui ratent rarement leur cible, à moins qu’une autre proie soit déjà entre leurs mains.
Mais, à Mbanza-Ngungu, les roulages ne sont pas si menaçants. A la bifurcation de Kolo-Fuma ou Lufu-Toto, là aussi, les dos d’ânes constituent des endroits bénis pour les roulages.
Et c’est là qu’ils attendent des chauffeurs, une poignée de main tout à fait particulière en guise de transfert de fonds. Surtout les chauffeurs des véhicules remorques et ceux des taxi-bus et bus. Mais, il y en a qui promettent au lendemain et qui sont tolérés parce que jugés crédibles par leurs rançonneurs. Même tableau à la bifurcation de Kwilu-Ngongo où, comme partout ailleurs, des dos d’ânes constituent surtout des endroits stratégiques pour les roulages, question de ne pas rater son coup. L’essentiel, c’est de remplir ses poches et cela de jour comme de nuit.
Le même spectacle s’observe à Songololo et de la même manière, c’est-à-dire que c’est au niveau des dos d’ânes que les roulages se postent toujours. C’est dire que de Kasangulu à Songololo, les roulages usent des mêmes pratiques et opèrent aux mêmes endroits de jour comme de nuit. Autant il y a des véhicules de transport, autant les roulages multiplient des stratégies pour trouver leurs comptes sur la route Kinshasa-Matadi.
Les chauffeurs les plus conformistes sont obligés de préparer à l’avance des billets de banque à remettre aux roulages en plus des frais de péage. Voilà qui tend à légitimer une pratique honteuse sous d’autres cieux, mais en voie de normalisation en RDC. Chasser le naturel, il revient au galop. M. M.