En cette fin d'année, J.A. vous propose une sélection d'ouvrages voyageant entre l'Afrique et le Sud des États-Unis, et réalisés par des photographes, des dessinateurs, des peintres ou des romanciers. À offrir ou à s'offrir.
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Ce n’est pas un livre, c’est une œuvre d’art. Couverture tissée jaune et bleu, tranche rouge vif, les connaisseurs reconnaîtront là les couleurs du drapeau de la République démocratique du Congo. Un élégant dessin montrant deux colosses en train de se battre à mains nues vient expliciter le titre, pour le moins mystérieux, qui apparaît sur la tranche :Toute arme forgée contre moi sera sans effet. Publié par la toute jeune maison Éditions 77 et signé du photographe belge Colin Delfosse, cet ouvrage superbe offre une plongée fascinante dans le monde du catch africain, et plus particulièrement du catch kinois.
Pour Colin Delfosse, l’aventure a commencé en 2006, alors qu’il était en RD Congo pour couvrir l’élection présidentielle. De passage à Kolwezi un an plus tard pour réaliser un sujet photographique sur la Gécamines, il assiste par hasard à un combat de catch. Saisi par la version congolaise de cette discipline occidentale, il décide d’y consacrer une partie de son travail personnel. « Je suis retourné en RD Congo un an plus tard et j’ai fait des recherches à Kinshasa, raconte-t-il. C’était compliqué, il fallait trouver les endroits où les catcheurs se battaient et c’était souvent en périphérie, dans des lieux difficiles à atteindre pour moi. » À ces difficultés viennent s’ajouter celles inhérentes au travail de tout photographe, de surcroît blanc, dans les quartiers de Kinshasa. « Il y a toujours une méfiance vis-à-vis des photographes qui viennent prendre des images et dont on pense qu’ils vont faire du business avec. Outre l’autorisation du ministère de l’Information qui te coûte 250 dollars, il y a toujours un mec pour venir te demander de l’argent et parfois des sommes exorbitantes. La connivence nécessaire est souvent très longue à établir. »
À force de discussions, de rencontres, d’échanges, Colin Delfosse a pourtant réussi à établir le lien permettant d’approcher et de photographier les catcheurs féticheurs, stars flamboyantes des rues de la ville. « Ces ballets mystiques entre les quatre cordes d’un ring sont une synthèse improbable des danses traditionnelles et du sport spectacle américain sauce ketchup, écrit-il. Les Congolais ont rassemblé deux disciplines que tout distinguait au départ pour en créer une nouvelle : le catch féticheur, performance autant sportive qu’artistique. Et quasi divine. »
La seconde partie de Toute arme forgée contre moi sera sans effet est un beau reportage, de facture classique. Dans les coulisses des combats, mais aussi sur le ring. Les images y sont légendées de manière didactique, expliquant l’essentiel. Mais la première partie du livre est bien plus saisissante. À la manière du photographe Pieter Hugo, dont il revendique l’influence, Colin Delfosse a réalisé les portraits en pied de 23 catcheurs congolais. Format carré, sujet centré, décors d’apocalypse, les artistes du combat semblent sur le point de bondir hors de l’image…
Il y a là Six Bolites et Muimba Texas, Chien Méchant et Petit Cimetière, Maître Sayo et Guerrier Masseke… En costume de scène, accompagnés de leurs fétiches, ils promettent un combat sans pitié. Quant à Colin Delfosse, il n’en a pas fini avec le Congo et les fétiches puisqu’il travaille désormais sur l’héritage de Mobutu et ses célèbres éléphants blancs.
Toute arme forgée contre moi sera sans effet, de Colin Delfosse, Éditions 77, 80 pages, 40 euros