Musique congolaise « 5ème Génération : relève ou révolution ? »

Mardi 11 août 2015 - 11:47

Sans entrer dans les querelles byzantines appelées à tort ou à raison « polémique », peut-on considérer l’émergence musicale de jeunes musiciens congolais, appuyés dans leur requête par une presse manipulatrice ou intéressée, comme l’avènement d’une cinquième génération de la musique congolaise moderne ? Tiré du travail de fin de cycle de Monsieur Jean-Paul Ilopi Bokanga, Musique Congolaise : la Cinquième génération est-elle une relève ou une révolution ?

Comme le dit le CT Maluengo, il est fort prématuré de prendre cette volonté de relève comme une manifestation évidente d’une nouvelle génération musicale, tant que les prestations des ténors de cette mouvance ne rompent pas d’une manière claire et précise avec celles qui les ont enfantés. « On peut parler d’une génération musicale lorsqu’il y a une innovation qui tranche avec la manière musicale précédente. Le critère d’une génération musicale n’est pas fonction de l’âge plutôt celle d’une révolution perceptible dans la créativité musicale », affirme Mutombo Wamana, étudiant en troisième graduat section culture et musique de l’INA.

Pour ce dernier, nous avons failli connaître l’irruption d’une nouvelle proposition musicale avec le Rap Proprement Kinois ( RPK) dont les différents leaders étaient Fatima CiA, Tshatsho Post, Camelia, Bawuta Kin mais ce que font les jeunes transfuges des ensembles musicaux actuellement en vogue, c’est du vrai « copié collé » même si cela est parfois fait d’une manière nettement plus agréable, renchérit le précité. Le changement suppose une révolution, c’est–à-dire une totale rupture avec le passé. Présentement, il y a plus un problème de succession dans le leadership de la musique congolaise moderne qu’une rupture avec la 4ème génération. En quoi la musique de Bill Kalonji diffère-t-elle de celle jouée par le clan Wenge, du point de vue thématique, instrumental, ou prouesse scénique ? En quoi celle de Fally est–elle différente de la conception musicale, en termes de chant, d’orchestration et de conception chorégraphique du Quartier Latin ? Quand on entend Ferre Gola dans « Sens Interdit », on y retrouve les ingrédients qui ont toujours fait le bonheur des mélomanes congolais ou africains dans ses prestations antérieures.

Or il faut qu’il y ait une mutation profonde dans notre musique pour susciter l’avènement d’une génération musicale différente de la précédente. Tant que cela ne se fera pas, nos jeunes musiciens » peuvent beau le crier sur tous les toits, ils seront toujours des épigones des leurs « Vieux », lesquels refusent d’ailleurs de ranger leurs vieux mousquetons au placard. Il est vrai que les jeunes musiciens qui se réclament de ladite génération sont pétris des talents et ont effectivement la possibilité de faire changer la donne musicale dans notre pays. Leurs prestations dans les différents orchestres congolais qui ont pignon sur rue, en l’occurrence Wenge Musica Maison mère, Wenge BCBG, Quartier Latin ou Viva la musica, leur ont fourni assez de matériaux pour créer un nouveau tempo. En effet, la relève est à coup sûr en train de se réaliser dans notre musique : des gars comme Fally Ipupa et Ferre Gola sont bien partis pour remplacer les « Vieux » qui, en dépit de leur effervescence actuelle, ne sont pas loin de jeter l’éponge, l’âge de la retraite oblige.

« Je vais bien rester trôner mais l’âge… »

Papa WEMBA, le formateur des idoles, qui est à l’orée de ses soixante ans doit sa résurgence perpétuelle aux inspirations des multiples jeunes qu’il encadre au pays comme en Europe. Mais pour combien de temps encore ? Koffi Olomide, le Quadra Koraman, en dépit de la cinquantaine bien sonnée, continue à trôner sur la scène musicale congolaise grâce à l’apport des jeunes talents qui l’entourent. Et après ? Comme le dirait son épigone Félix Wazekwa. Pense-t-il toujours continuer à défier le poids de l’âge en faisant tourner ses méninges et ses derrières comme un jeune premier ?

La réussite de Ferre et de Fally a donné certes de l’aile à tous les ambitieux qui veulent voler de leurs propres ailes sous la bannière de la 5ème génération. Mais Autant que le changement d’un président de la République ne signifie pas nécessairement le changement d’une république, la recomposition du leadership musical en faveur des jeunes ne voudrait aucunement dire changement de génération. Il faut vraiment ôter cette confusion dans la tête des uns et des autres : le changement d’une génération musicale n’est pas une affaire d’âge ni celle de charisme, mais plutôt celle d’une rupture avec le passé, et des apports nouveaux acceptés dans la prestation musicale, dit François Mantwila, ancien musicien de l’African Jazz du Grand Kallé Jeff, rentré au pays après un séjour d’une vingtaine d’années au pays de l’oncle Sam, actuellement professeur de Solfège à l’INA.

Ce dernier attribue la confusion qui règne actuellement autour de la cinquième génération musicale au fait qu’étant presque tous des autodidactes, nos musiciens ne connaissent même pas les normes qui régissent la musique. Pour lui, la cinquième génération viendra de l’émergence de ceux qui font de la musique une science à part entière, notamment les étudiants de l’INA et les jeunes congolais évoluant outre-mer, obligés parfois malgré eux d’apprendre le solfège pour bien évoluer dans le monde musical occidental. Tabu Ley par exemple et Franco de Mi Amor ont dû survoler trois générations musicales avant de rendre le tablier pour le premier, et de rendre l’âme pour le second. Lassa Carlito était bien jeune quand il a fait ses premières armes dans la musique dite de la « troisième génération », constate-il.

A la lumière de ce qui précède, nous ferons œuvre utile de recommander à nos jeunes artistes, certes impatients de bouter leurs aînés hors du panthéon de la musique, de la patience, de la tempérance et de la modestie : la cinquième génération de la musique congolaise viendra un jour, avec ou sans eux. Mais pour le moment, elle est à créer, et tant qu’ils continueront à mettre en exergue, bien sûr chacun avec son tempérament, leurs talents musicaux selon les prescrits de la 4ème génération, ils seront sûrement intronisés comme les nouveaux rois de la musique congolaise moderne, mais ils resteront, qu’ils le veuillent ou non, des simples acteurs, pourquoi pas des grands acteurs de la quatrième génération musicale.

(Saint Hervé M’Buy)