Quid du financement des provinces RDC par les établissements de crédit : licite ou illicite ?  (Me Abed Kayembe)

Vendredi 13 septembre 2019 - 15:55
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Problématique posée: quid du financement des provinces RDC par les établissements de crédit?

La présente problématique posée ci-haut est née de l’article 15 de la loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques dont la teneur ci-dessous :

Article 15 :

« Le pouvoir central, la province et l’entité territoriale décentralisée prévoient et exécutent leurs budgets en équilibrant leurs charges courantes par des ressources internes, à l’exclusion du produit des emprunts intérieurs, des dons et legs intérieurs projets, du remboursement des prêts et avances, et, le cas échéant, des subventions affectées à des projets ou activités spécifiques, mais y compris les ressources extérieures de dons et legs courants.
Ils ne peuvent emprunter, chaque année, une somme supérieure au montant de leurs investissements.
Ils ne peuvent emprunter qu’auprès des institutions nationales financières non bancaires.
Aucun emprunt ne peut être souscrit en devise, ni directement, ni indirectement, à l’exception, le cas échéant, de ceux souscrits par le pouvoir central pour lui-même ou pour la province ou l’entité territoriale décentralisée. »

Ce que l’article 15 querellé  pose le principe intangible du recours à l’emprunt ( intérieur ou extérieur) par le pouvoir central, la province et l’entité territoriale décentralisée auprès de seules Institutions nationales financières non bancaires, telles que le FPI ou la SOFIDE. (À lire à cet effet, les alinéas 2 et 3 de l’article 15 de la loi relative aux finances publiques).

Aussi, la disposition de cet article querellé tend à limiter le Pouvoir central, la province et l’entité territoriale décentralisée au recours de seuls emprunts intérieurs. Excluant de ce fait, au Pouvoir central, tout recours à l’emprunt extérieur. (À lire à cet effet, les alinéas 2 et 3 de l’article 15 op cit).

AVIS ET CONSIDÉRATIONS JURIDIQUES

Pour l’auteur,  il y a lieu de rappeler les principes fondamentaux ci-dessous, afin d’être amplement éclairé sur la solution juridique à recommander à une banque commerciale  dans le financement des Provinces.

Le premier principe général de droit à rappeler est le principe de la hiérarchisation de source de droit.

En effet, conformément à ce principe général de droit, la pyramide de source de droit en RDC se présente comme suit :

« Au sommet de la pyramide se trouve la Constitution de la RDC en vigueur ( La loi fondamentale), suivi des Traités internationaux dûment ratifiés et publiés au Journal officiel, des Lois-organiques ( Lois complétant les dispositions constitutionnelles), des Lois ordinaires ou actes ayant force de loi, des Actes règlementaires (dans l’ordre suivant, l’Ordonnance Présidentielle, Décret du Premier Ministre, les Arrêtés Interministériels, les arrêtés ministériels, les circulaires réglementaires), la jurisprudence, la doctrine et l’équité. »

De ce premier principe, il en découle, son corollaire de l’inopération des dispositions contraires des sources de droit inférieur sur celles consacrées par les sources de droit supérieur.

Il découle de ce second principe qu’aucune source de droit inférieur ne peut aller à l’encontre de la source de droit supérieur, moins encore, annuler les dispositions prévues dans la source de droit supérieur.

Que si pareille extrémité législative ou règlementaire arrivait, la source de droit inférieur serait de facto, nul et non avenu (inopérant) quant aux droits consacrés par la source de droit supérieur.

Ce pourquoi, dans la pratique législative congolaise, il n’est admis l’annulation de source de droit que de même rang ou de rang supérieur et non, l’inverse.

Ces principes directeurs ayant été rappelés à la bienveillante attention des dirigeants sociaux de banques, nous nous empressons dans les lignes qui suivent d’aborder la problématique posée ci- haut.

Pour y répondre, nos lecteurs s’emploieront à lire les sources de droit ci-dessous, dans l’ordre pyramidal rappelé ci-haut.

La Constitution de la RDC du 18 février 2006 tel que modifiée et complétée à ce jour, la loi fondamentale, en ses articles 3, 171, 196, 204 et 205 alinéa 1er disposant respectivement ce qui suit:
Article 3 :

Les provinces et les entités territoriales décentralisées de la République démocratique du Congo sont dotées de la personnalité juridique et sont gérées par les organes locaux.

Elles jouissent de la libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques humaines, financières et techniques.

La composition, l’organisation, le fonctionnement de ces entités territoriales décentralisées ainsi que leurs rapports avec l’Etat et les provinces sont fixés par une loi organique.

Article 171 :

Les finances du pouvoir central et celles des provinces sont distincts.

Article 196 :

Les provinces sont organisées conformément aux principes énoncés à l’article 3 de la présente constitution.

Les subdivisions territoriales à l’intérieur des provinces sont fixées par une loi organique.

Article 204 : 

Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les matières suivantes sont de la compétence exclusive des provinces :  

le plan d’aménagement de la province ;
la coopération inter-provinciale ;
la fonction publique provinciale et locale ;
l’application des normes régissant l’état civil ;
les finances publiques provinciales ;
la dette publique provinciale ;
les emprunts intérieurs pour les besoins des provinces ;
la délivrance et la conservation des titres immobiliers dans le respect de la législation nationale ;
l’organisation du petit commerce frontalier ;
l’organisation et le fonctionnement des services publics, établissements et entreprises publics provinciaux dans le respect de la législation nationale ;
les travaux et marchés publics d’intérêt provincial et local ;
l’acquisition des biens pour les besoins de la province ;
l’enseignement maternel, primaire, secondaire, professionnel et spécial ainsi que l’alphabétisation des citoyens, conformément aux normes établies par le pouvoir central ;
l’établissement des peines d’amende ou de prison pour assurer le respect des édits en conformité avec la législation nationale ;
les communications intérieures des provinces ;
les impôts, les taxes et les droits provinciaux et locaux, notamment l’impôt foncier, l’impôt sur les revenus locatifs et l’impôt sur les véhicules automoteurs ;
la fixation des salaires minima provinciaux, conformément à la législation nationale ;
l’affectation du personnel médical, conformément au statut des agents de carrière des services publics de l’Etat, l’élaboration des programmes d’assainissement et de campagne de lutte contre les maladies endémo-épidémiques conformément au plan national : l’organisation des services d’hygiène et de prophylaxie provinciale, l’application et le contrôle de la législation médicale et pharmaceutique nationale ainsi que l’organisation des services de la médecine curative, des services philanthropiques et missionnaires, des laboratoires médicaux et des services pharmaceutiques, l’organisation et la promotion des soins de santé primaires ;
l’élaboration des programmes miniers, minéralogiques, industriels, énergétiques d’intérêt provincial et leur exécution conformément aux normes générales du planning national ;
l’élaboration des programmes agricoles et forestiers et leur exécution conformément aux normes du planning national, l’affectation du personnel agricole, des cadres conformément aux dispositions du statut des agents de carrière des services publics de l’Etat, l’application de la législation nationale concernant l’agriculture, la forêt, la chasse et la pêche ainsi que l’environnement, la conservation de la nature et la capture des animaux sauvages, l’organisation et le contrôle des campagnes agricoles, la fixation des prix des produits agricoles ;
l’affectation en province du personnel vétérinaire, conformément au statut des agents de carrière des services publics de l’Etat; l’élaboration des programmes de campagne de santé animale et l’application des mesures de police sanitaire vétérinaire, notamment en ce qui concerne les postes frontaliers et de quarantaine ;
l’organisation des campagnes de vaccination contre les maladies enzootiques, l’organisation des laboratoires, cliniques et dispensaires de la provenderie ainsi que l’application de la législation nationale en matière vétérinaire, l’organisation de la promotion de santé de base ;
le tourisme, le patrimoine historique, les monuments publics et les parcs d’intérêt provincial et local ;
l’habitat urbain et rural, la voirie et les équipements collectifs provinciaux et locaux ;
l’inspection des activités culturelles et sportives provinciales ;
l’exploitation des sources d’énergie non nucléaire et la production de l’eau pour les besoins de la province ;
l’exécution des mesures du droit de résidence et d’établissement des étrangers, conformément à la loi ;
l’exécution du droit coutumier ;
la planification provinciale.
La loi de finance de l’année 2012 en son article 4, de même rang que la loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, modifiant les dispositions de l’article 15 querellé en ces termes:
Article 4 :

« Le pouvoir central exécute son budget en équilibrant les charges courantes par des ressources internes. Il peut recourir au produit des emprunts intérieurs, des dons et legs intérieurs, aux subventions affectées à des projets ou activités spécifiques ainsi qu’aux ressources extérieures.
Le recours aux avances de la Banque Centrale est strictement prohibé. »

En vertu du principe de la hiérarchisation de source de droit pré-rappelé, il ne fait donc l’ombre d’aucun doute que la Constitution de la RDC en vigueur, la loi fondamentale par excellence, a  expressément et irrévocablement  reconnu aux Provinces les prérogatives suivantes :

1°  la personnalité juridique ainsi que la jouissance à la libre administration et de l’autonomie de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques. (À lire à cet effet, l’article 3 alinéa 1er et 3 de la Constitution de la RDC) ;

A  ce titre, la province peut valablement contracter sans s’en référer au pouvoir Central.

 2°   La compétence exclusive des provinces sur la question des emprunts intérieurs pour les besoins. (A lire à cet effet, l’article 204 point 7 de la Constitution de la RDC en vigueur). 

A ce propos, la Province  est seule entité compétente à juger de l’opportunité ou non  d’un tel emprunt ou tel autre et non, le Pourvoir central (Gouvernement, Assemblée Nationale et Sénat).

3 °  L’interdiction formelle  au Pouvoir central (Assemblée Nationale et Sénat) de légiférer sur les matières de la compétence exclusive d’une province telle que définie à l’article 204 de la Constitution de la RDC en vigueur (à lire à cet effet, l’article 205 alinéa 1er de la Constitution de la RDC) ; 

4° La loi de finances de l’année 2012 entrant en vigueur en  date du 1er janvier 2012 de même rang avec la loi n° 11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques en son article 4 a modifié les dispositions inconstitutionnelles de l’article 15 de la loi relative aux finances publiques, objet de la présente problématique, en ces termes :

 « Le pouvoir central exécute son budget en équilibrant les charges courantes par des ressources internes. Il peut recourir au produit des emprunts intérieurs, des dons et legs intérieurs, aux subventions affectées à des projets ou activités spécifiques ainsi qu’aux ressources extérieures. Le recours aux avances de la Banque Centrale est strictement prohibé. »

La lecture minutieuse de la disposition de l’article 4 de la loi de finances de l’année 2012 a le mérite, non seulement, de corriger la grave erreur de l’Assemblée Nationale et du Sénat d’avoir légiférer à l’égard des Provinces et des entités territoriales décentralisées au mépris des articles 204 et 205 alinéa 1er de la Constitution de la RDC en vigueur, mais aussi et surtout, de laisser au Pouvoir central, la liberté de recourir au produit des emprunts intérieurs sans restriction aucune, ainsi qu’aux ressources extérieures.

C’est d’ailleurs dans ce sens que le Pouvoir Central a eu à contracter par le passé et continue de contracter, en toute légalité, des emprunts auprès de la BAD, des Institutions financières de Bretton Woods  (Banque Mondiale et/ou FMI) ainsi que des autres Institutions financières internationales.

*Solution de droit  préconisée aux établissements de crédit ou institutions de microfinances*

L’auteur du présent article, Associé-Gérant du Cabinet d’Avocats MAK spécialisé en Droit bancaire, Droit des Affaires, Droit Fiscal, et en Droit processuel tant devant les juridictions nationales qu’internationales dont la CCJA, préconise que le financement des Provinces de la RDC, au regard de textes constitutionnels, législatifs sus-évoqués mais, ce, sous la condition non négligeable et sine qua non, de prévoir une disposition contractuelle de renonciation expresse et irrévocable à l’immunité d’exécution prévue à l’article 30 alinéa 1er  de l’Acte Uniforme portant Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’exécution par la personne morale de droit public, en l’occurrence, les provinces,  car cette immunité d’exécution est un vrai risque de prêter aux Provinces de la RDC, dont la teneur reprise ci-dessous. Les Banquiers et IMF sont donc avisés !

Article 30 alinéa 1er de l’AUPSRVE :  

L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.

Eu égard à ce qui précède, nous espérons vivement que les intermédiaires financiers privés,  les usagers et praticiens du droit ont été ont été éclairés sur la présente réflexion pour  la présente réflexion, et chacun en ce qui le concerne, en faire bonne lecture et bon usage dans leur domaine respectif.

Sur cette note d’espoir, je demeure !

Par KAYEMBE NGOY
Avocat d’Affaires près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete
Membre de la CCI Franco-Congolaise, Formateur,
Expert en Banque et en Fiscalité

0815192472