
Mon point de vue sur la proposition du Docteur Noël Tshiani selon laquelle il faut réserver l’accès à la fonction présidentielle « aux congolais et congolaises nés des pères et mères congolais ».
Dans sa tribune du 24 mars dernier parue sur le site 24SUR24.CD, le Docteur Noël Tshiani propose, dans le cadre d’une révision constitutionnelle, de réserver l’accès à la fonction présidentielle « aux congolaises et congolais nés des pères et mères congolais », pour, écrit-il, « s’assurer de la loyauté totale du Chef de l’Etat à la République démocratique du Congo et au peuple », et « protéger le pays contre le risque d’infiltration au sommet, avec tout ce que cela comporte comme danger pour la souveraineté de notre pays ».
Aussi louables que soient les objectifs poursuivis, cette proposition crée plus de problèmes qu’elle n’en résout.
De prime abord, il faut souligner que cette proposition est quasi impossible à réaliser sur le plan juridique. En effet, l’article 220 de la Constitution interdit toute révision constitutionnelle « ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ».
A l’état actuel du droit, il y a une égalité parfaite dans l’accès à la fonction présidentielle entre les congolais nés d’un des parents congolais et les congolais nés de deux parents congolais.
La seule condition étant liée au fait d’être congolais d’origine. C’est-à-dire être dans l’un des cas de figure prévus par l’article 10 de la Constitution en vigueur, et les articles 6, 7, 8 et 9 de la loi n°04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise (respectivement congolais par appartenance, congolais par filiation, congolais par présomption de la loi).
En réservant l’accès à la fonction présidentielle exclusivement aux congolais nés des pères et mères congolais, on crée une discrimination à l’encontre des congolais nés d’un des parents congolais, ce qui a pour effet de réduire leurs droits et libertés et, par conséquent, violer la limite substantielle imposée au pouvoir constituant dérivé.
Sur le plan socio-politique, le potentiel à générer des tensions socio-politiques de cette proposition est facilement perceptible.
Cette proposition nous rappelle le triste débat sur « l’ivoirité » dont on connait à quoi il a mené la Côte d’Ivoire. Comme si la RD Congo n’avait pas assez de problèmes pour se permettre une nouvelle crise.
Sur le plan philosophique, la proposition de M. Tshiani est injuste : discriminer les enfants à cause des choix amoureux de leurs parents, comme si le fait pour un congolais d’avoir un enfant avec une étrangère (ou inversement) était une infraction.
La proposition de M. Tshiani pose aussi un problème de logique : les congolais « aux origines étrangères » ne pourraient pas accéder à la fonction présidentielle, mais ils pourraient quand même voter, être responsables au sein des services de renseignement, de l’armée, de la police, etc. Sacrée cohérence pour celui qui veut éviter « l’infiltration » de son pays !
Enfin, l’efficacité de la proposition de M. Tshiani par rapport aux objectifs poursuivis (en substance, empêcher l’accès à la fonction présidentielle aux « congolais d’origine étrangère ») est sujette à caution. Sa proposition ne va nullement empêcher la possibilité d’avoir un président de la république « aux origines étrangères ».
La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Or, la proposition de M. Tshiani ne précise pas si les deux parents doivent être congolais d'origine ou même les congolais d’acquisition sont aussi inclus.
C’est dire qu’un congolais aux « origines étrangères » peut devenir président de la république, à partir du moment où ces deux parents sont congolais, d’acquisition soient-ils.
A supposer même que dans l’idée de M. Tshiani, les deux parents doivent être des congolais d’origine, quelle garantie peut-on avoir pour espérer que les deux parents congolais d’origine sont nécessairement les géniteurs ? A l’ère des techniques de procréation médicalement assistées, de la gestation pour autrui et que sais-je encore, on peut être père ou mère d’un enfant sans être son géniteur ou sa génitrice.
Ce n’est pas en disant que le congolais d’origine doit être des père et mère congolais, comme le propose M. Tshiani à la fin de sa tribune, que l’on évitera d’avoir des congolais « aux origines étrangères » à la tête de l’Etat. Bien au contraire. D’ailleurs, l’actuelle définition du congolais d’origine (supra) est un verrou beaucoup plus important que la nouvelle définition proposée par M. Tshiani qui se dilue par le simple fait que les deux parents ou l’un de deux peuvent être des congolais d’acquisition. Les véritables enjeux sont ailleurs.
C’est l’organisation des services d’état civil pour savoir qui est congolais et qui ne l’est pas. C’est surtout la capacité de la RDC à « fabriquer » des citoyens patriotes, loyaux et attachés à elle, indifféremment de l’origine ou de la couleur de la peau. La loyauté est le corollaire du patriotisme. Celui-ci ne se transmet pas par les gènes ; c’est un construit. Il faut définir l’identité congolaise, les valeurs que le Congo veut incarner et défendre ; insister sur la vocation de puissance du Congo et sur son apport ou ce qui devrait être son apport aux défis du continent et du monde. Il faut apprendre aux congolais leur histoire, célébrer la mémoire de ses grandes figures, promouvoir les langues nationales, et avoir une réelle politique culturelle. L’école devrait notamment être le creuset du patriotisme.
C’est ce que les autres nations ont compris. Les Etats-Unis, que M. Tshiani cite en exemple, ne réservent pas l’accès à la fonction présidentielle aux seuls américains dont les deux parents sont américains. Sûrs de leur capacité à « fabriquer » les patriotes, ils considèrent que le seul fait de naître sur le sol états-unien fait de vous non seulement citoyen américain à part entière, mais vous permet aussi de prétendre à quelque poste de responsabilité que ce soit, indistinctement de l’origine de vos parents ou de la couleur de votre peau.
Un Etat qui ne peut pas « fabriquer » des citoyens loyaux, patriotes, peu importent leur origine ou leur couleur de peau, est un Etat faible, affaibli et appelé à disparaître.
Plutôt que d’exclure, il faut inclure, rassembler toutes les congolaises et tous les congolais, aussi bien d’origine que d’acquisition, autour de vrais enjeux et défis de la RD Congo.
Kabasele Mamba
Doctorant en Droit à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Consultant en questions juridiques et politiques