RDC - Violences sexuelles : Maud-Salomé Ekila plaide pour la canalisation de toutes les initiatives sur la création d'un Fonds National de Réparations pour les survivant.e.s

Lundi 29 mars 2021 - 22:21
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7SUR7

À la veille de l'ouverture de la table ronde sur la mise en place d’un Fonds National de Réparations pour les Survivant.e.s de violences sexuelles liées au conflit en RDC, Maud-Salomé Ekila, Chargée de communication du Dr Mukwege, explique les attentes par rapport à cette initiative. 
Dans une interview accordée lundi 29 mars  2021 à 7SUR7.CD, elle révèle l'importance de la mise en œuvre du Fonds National de Réparations et des recommandations du rapport Mapping.

 
7SUR7.CD : Comment se présente la situation des prises en charge des survivant.e.s de violences sexuelles liées aux conflits en ce temps de la pandémie de la covid-19 ?


Maud-Salomé Ekila :
C'est vrai que le pays est touché par la pandémie liée à la Covid, mais pas aussi gravement que dans d'autres pays (...). Notre travail de prise en charge et de lutte contre les violences sexuelles reste constant. Ce que nous constatons est que les bénéficiaires qui sont passées par nos projets de prise en charge, en particulier par ceux du Pilier Réinsertion Socio-Economique qui ont bénéficié d'un micro-crédit et qui, à cause de la pandémie, ont du mal à faire démarrer leur business (...).  
Notre prise en charge se fait sur base de 4 piliers : la prise en charge médicale, la prise charge psychologique, ensuite, il y a le Pilier Réinsertion-Economique. Les activités de ce pilier ont pour but d’apprendre un métier aux survivant.es ou perfectionner des choses qu'elles savent déjà. Il y a les cours d'alphabétisation, de leadership, de fabrication de savon, de coupe et couture par exemple. Le 4ème et dernier pilier, c'est le Pilier Juridique qui permet au survivant.es de porter plainte contre leur bourreau et notre prise en charge globale est totalement gratuite évidemment pour les survivant.es  (...).
Pour revenir sur les bénéficiaires de nos programmes qui ont du mal à faire décoller leur commerces ou activités à cause de la pandémie, nous tentons de renforcer au maximum notre appui supplémentaire ou de les orienter vers un autre secteur moins touché par la crise. On essaie de s'adapter. On parvient à trouver pas mal de solutions.


7SUR7.CD : La RDC fait partie du projet pilote concernant le Fonds Mondial des Réparationsdes Survivant.e.s des Violences Sexuelles liées aux conflits. Ce Fonds-a-il apporté un plus ? 


MSE : Ce qu'on a voulu montrer avec le projet pilote RDC du Fonds Mondial de Réparations pour les Survivant.e.s de violences sexuelles, c’est qu'il était tout à fait possible de recenser, d’identifier les victimes et de commencer à leur octroyer des réparations sans que cela ne coûte tellement d’argent et de le faire en parallèle de la mise en place des mécanismes judiciaires. L’expérience de cette première année et demi de travail sur le terrain avec le projet pilote du Fonds mondial pour les survivant.es démontre qu'il suffit qu'on s'organise et que l'État accepte un appui technique et l’expertise des survivantes et des organisations qui travaillent sur le terrain pour que les projets se réalisent et que l’on puisse octroyer des réparations à toutes ces femmes dans l’ideal via un Fonds national de réparations. Les réparations, c'est l'un des piliers de la justice transitionnelle et probablement le pilier le moins abordé dans sa globalité.


Les réparations, ce n’est pas uniquement de l'argent. C'est aussi des garanties de non répétition. Cela demande des réformes de sécurité et de la justice (...), la construction de musées, de lieux de mémoire, des stèles, des excuses publique du Chef de l’Etat qui permettraient de reconnaitre la souffrance et de redonner une forme de dignité aux survivant.es et aux familles des victimes. Tout ceci participe à la réparation. Les réparations sont multiples, elle doivent être individuelles, mais également collectives. Les indemnités qu'elles reçoivent, ce sont des moyens qui leurs permettront de les aider à se re-planifier… et se projeter dans l’avenir. Et pour pouvoir envisager l’avenir et vivre le présent de façon saine, il faut d’abord que ce passé puisse être réparé dans sa globalité. Tout comme une personne peut être prisonnière de son passé pour multiples raisons, de la même façon, dans ce contexte de massacres collectifs, d’actes de génocide, de crimes contre l’humanité, de viols massifs, c’est la communauté toute entière qui se retrouve bloquée, traumatisée et prisonnière de son passé. Si l’on ne travaille pas suffisamment sur ce passé traumatique, il se transmettra sur les générations qui suivent et c’est ainsi des nations entières sont détruites et dans l’attente.

7SUR7.CD :  Plusieurs fois, les appels se sont multipliés pour la mise en application du rapport Mapping. Les autorités congolaises n'ont pas donné grand espoir. Pourquoi parler du rapport Mapping est un sujet "politiquement sensible" ?

  
MSE : C'est un rapport extrêmement crédible. Un travail fait en profondeur. À la fin, de ce rapport, il y a des recommandations. Des réformes très sérieuses des secteurs de la sécurité et de la justice, car les femmes, dans ce pays, sont violées par des milices rebelles, mais également par des éléments de la police et de l’armée. Ce qui n’est pas étonnant puisqu’au sein de notre armée et de notre police, nous avons des hauts gradés qui ont du sang sur les mains et ne sont pourtant pas inquiétés depuis de nombreuses années. 


Ces personnes-là, finalement, savent, qu'elles peuvent commanditer, continuer à organiser des massacres sans que personne ne les inquiète. Cela nous montre qu’il est impératif de réformer en profondeur le secteur de la sécurité. 
Il faut également une réforme du secteur de la justice. La justice est corruptible ici en RDC. A cause de cela, la victime n'obtiendra jamais justice. Le bourreau glisse un petit billet durant le procès et celui-ci tourne en sa faveur. Et cette corruption, dans les tribunaux pour le cas des violences sexuelles est vraiment généralisé. 

La raison pour laquelle le Dr Mukwege pousse la mise en lumière de ce rapport Mapping, c’est qu’il peut servir de base pour pourvoir commencer à poursuivre des personnes dans le cadre d'un tribunal pénal pour juger les crimes du Congo.  Tant que règnera l'impunité dans ce pays, tant que la justice ne sera pas à la trousse des criminels, les gens vont continuer à massacrer et le Docteur Mukwege sera contraint de continuer à soigner des femmes victimes d’atrocités. On reçoit dans nos centres de prise en charge entre 5 et 7 par jour, parfois 8 ou 10. L’objectif est que l'aile des survivant.e.s de violences sexuelles de l'hôpital de Panzi ferme ! C'est ça l'objectif du Docteur Mukwege. Pour que cela ferme, il faut s'attaquer a la source des problèmes.


7SUR7.CD : Il  y a eu récemment des menaces contre le Dr Mukwege  suite à son appel de la mise en application des recommandations du rapport Mapping et autres déclaration. Aujourd'hui, sa situation sécuritaire s'est-elle améliorée ? 


MSC : Il faut savoir que les menaces contre le Dr Mukwege ne datent pas d'aujourd'hui. Et elles ne sont jamais arrêtées. Il y a eu plusieurs fois des menaces sur sa famille, ses proches, sur ces collaborateurs, à l'hôpital et sur les équipes de terrain. Ces menaces sont constantes depuis que le Docteur soigne des victimes et des survivant.es de violences sexuelles et dénonce la situation en décrivant ce qu’il voit, car il met le doigts sur des conflits que l’on veut cacher à la face du monde et qui impliquent aussi bien des pays occidentaux, chefs d’orchestre du chaos que des pays voisins qui sont financées de l’extérieur pour semer le chaos sur le territoire congolais, principalement pour l’exploitation des minerais.


Concernant les menaces récentes, il y a eu effectivement une ré-augmentation des menaces contre le Docteur et cette fois même publiquement (...). Au mois de juillet dernier, le docteur a publié un tweet sur un massacre de ce qui s'est produit à Kipupu au Sud-Kivu disant que ceux qui ont perpétré cette attaque sont toujours les mêmes qui agissent depuis 1996. Après ce post, il y a eu une vague de menaces. Après la tentative d’assassinat qu’il a vécu en 2012, il avait dut emménager dans son hôpital pour être protégé sur son lieu de travail et il a été mis sous protection de la Monusco de façon constante jusqu'au début de la crise liée à la Covid-19. C’est quelques semaines après ce départ des agents de maintien de la paix que les menaces se sont intensifiées contre le Docteur. Et puis, il y a eu ce tweet sur Kipupu et on a vraiment senti que les menaces se sont accentuées. Aujourd’hui, la Monusco est revenue à l’Hôpital de Panzi après de nombreux élans de solidarité dans le monde et chez nous qui exigeaient la protection du Docteur. 


Oui, le fait d'appeler à l'application des recommandations du rapport Mapping, le met en danger.
Les personnes qui le mettent en danger, elles peuvent venir de partout, elles peuvent venir des pays occidentaux, des pays d'à côté et de l'intérieur même du pays. Les conflits que nous subissons sont très complexes et méritent de comprendre tous les paramètres géopolitiques et stratégiques, car souvent certains raccourcis sont pris et cela ne nous aide pas à chercher des solutions pérennes. Nous avons tous intérêt à nous lever et à comprendre en profondeur ce que nous vivons, parce qu'au sinon nous allons, notamment, être contraints à continuer à devoir subir le négationnisme de certains journalistes qui se disent spécialistes de la région des Grands Lacs ou tout récemment de l’Ambassadeur du Rwanda, par exemple, qui remettait en question les circonstances et le nombre de victimes du Massacre de Kasika survenu en 1998. C’est la mémoire des congolais qui est souillée lorsque ces gens s’expriment de cette façon et ce n’est pas acceptable.
   
7SUR7.CD : Qu'est ce que cela représente pour le Dr Mukwege  et les survivant.e.s, la mise en place d'un Fonds National des réparations ? 


MSE : C’est qui est extrêmement important avec la création espérée de ce Fonds national, puisque c’est quand même ça l’ambition du Fonds Mondial pour les Survivant.es, c’est qu’il y ait une union de toutes les initiatives qui sont en cours. Il y’a plusieurs ministères qui ont commencé des démarches pour la création de Fonds de réparations, on s’est rendu compte que ces initiatives sont existantes, mais que les initiateurs ne communiquent pas forcément entre eux. Ainsi, il y a un projet de Fonds au niveau du Cabinet de la Conseillère Spéciale du Président, Madame Mulop ou encore au niveau du Ministère des Droits Humains. Donc les initiatives existent, mais il n’y pas de cohésion. C’est l’une des raisons pour lesquelles il était important qu’on puisse organiser cette table ronde pour asseoir finalement tout le monde ensemble et trouver des points d’union.


C’est vraiment cela qu’on attend de cette table ronde, mettre ensemble toutes ces voix, pouvoir avoir des discussions, des débats clairs avec les responsables politiques, les organisations qui sont influentes et qui vont pouvoir activer le levier afin que l’on puisse aller vers la création d’un Fonds national pour les survivant.e.s. Les réparations, c’est un droit fondamental pour toutes les victimes et les survivant.es. L'État se doit d’octroyer des réparations, tout comme il se doit de garantir la sécurité  aux survivant.e.s.

Interview réalisée par Ange Makadi