La ville de Kinshasa produit une moyenne de 10.000 tonnes de déchets par jour, dont la grande partie sont des déchets en plastique. Par manque d'une politique de gestion durable de ces résidus dans la ville, par exemple l'absence d'infrastructures de recyclage ou des sites d'enfouissement, généralement tous ces déchets finissent leur course dans les rivières urbaines kinoises. Dans certains de ces cours d'eau, les déchets plastiques sont même parvenus à se créer des lits au-dessus des eaux, empêchant ainsi la lumière d'y pénétrer. Cette situation a des conséquences directes sur l'écosystème de ces rivières elles-mêmes, du fleuve Congo et aussi sur la santé des riverains.
Dans un entretien avec 7SUR7.CD le 16 avril 2021, Thierry Tangou, environnementaliste et professeur à la faculté des sciences de l'université de Kinshasa, s'intéressant aux questions de la pollution, a expliqué que, hormis les récurrents débordements des eaux de ces rivières à la moindre précipitation à Kinshasa, l'enfouissement des déchets plastiques dans les cours d'eau de la capitale congolaise a des conséquences sur leur écosystème.
"Une rivière est un milieu de vie qui a ses règles de fonctionnement, notamment via la photosynthèse, donc l'énergie lumineuse. Nous avons des espèces photosynthétiques dans les rivières qui réalisent la photosynthèse pour produire de l'oxygène dissous. Lorsque la lumière pénètre de moins en moins dans la rivière, ces espèces là n'arrivent pas à réaliser la photosynthèse comme il se doit. Comme conséquence, il y aura chute de la teneur en oxygène dissous dans le milieu. Et on peut plonger rapidement vers l'anaérobiose. Toutes ces espèces aérobiques, ça veut dire, dont la vie dépend de l'oxygène, ne peuvent plus résister. Elles deviennent donc vulnérables. Les plus fortes peuvent migrer et les faibles meurent", a-t-il dit.
Pour ce scientifique, le manque d'oxygène dans les rivières kinoises envahies par les déchets en plastique représente également un danger pour la santé et la sécurité alimentaire des humains, des riverains surtout.
"Parmi ces espèces, il y en a celles qui sont halieutiques, qui peuvent même contribuer à la sécurité alimentaire. Il y en a aussi qui sont végétaux, qui d'une manière ou d'une autre, sont importantes dans le fonctionnement de la rivière, et peut être aussi dans certaines substances en pharmacopée ou autres. Donc, comme il n' y a pas assez d'oxygène, les conditions anaérobies vont faire en sorte que vers le fond de la rivière qu'il y ait ce qu'on appelle fermentation anaérobie. In fine, cela va produire des biogaz à odeurs nauséabondes. Et quand nous passons à côté de ces rivières, nous sentons vraiment des odeurs désagréables...Un gaz comme le H2S ça sent les oeufs pourries. Quand on vit à côté d'un milieu putride, on est exposé d'une manière ou d'une autre sur le plan sanitaire, parce que les interactions entre les riverains et la rivière sont fréquentes. Ça peut favoriser des maladies hydriques auprès des riverains ou auprès de ceux-là qui y font des activités", s'alarme-t-il.
L'enlisement des déchets dans les rivières urbaines de Kinshasa pourra également avoir des conséquences à la longue sur l'écosystème du fleuve Congo. Toutes les eaux et autres contenus de ces rivières finissent leur course dans le fleuve. Pour le professeur Thierry Tangou, cela ne peut pas être sans conséquence sur l'écosystème aquatique du fleuve.
"Quant aux conséquences sur le fleuve, elles sont presque les mêmes que dans les rivières. Seulement que le fleuve ayant un débit plus grand, il y a une sorte de dilution. Tout est fonction de ce qui arrive et des endroits où cette charge chute. Il faudra peut-être prospecter dans les différentes zones en faisant ce qu'on appelle une caractérisation d'un cours d'eau...ces déchets pourront aussi un jour déranger la navigabilité sur le fleuve. Des déchets solides flottants peuvent créer une croissance excessive des végétaux suite à la pollution qu'on appelle eutrophisation. En dehors de l'anaérobiose, ça peut également créer ce qu'on appelle envasement des cours d'eau, capable d'impacter négativement par exemple la pêche et la navigation", précise-t-il.
Pour parer à toutes ces conséquences, Thierry Tangou a proposé quelques pistes de solution, à court et à long terme.
"A court terme, nous préconisons d'abord la sensibilisation, ce que nous appelons dans le jargon technique l'éducation environnementale. La population n'est pas assez cultivée dans la gestion des déchets. Il y a par exemple les lois 11/009 et 15/026, relatives à l'environnement en RDC, chose qui est bonne. Malheureusement, toutes ces lois produisent aucun impact positif. A la longue, il faudra développer des usines de traitement des déchets. Dans la gestion durable des déchets, nous avons des déchets qui sont réutilisables une fois collectés, des déchets qui sont recyclables pour leur donner une autre utilité, des déchets valorisables par compostage, qui peut être favorisé par biométhanisation", a-t-il conclu.
Rappelons que tous les gouverneurs qui se sont succédés à l'hôtel de ville de Kinshasa ont eu à prendre des mesures pour lutter contre l'insalubrité, en particulier les emballages plastiques, qui ronge la capitale congolaise. Aucune de ces mesures a déjà eu un résultat escompté, dans la mesure où la situation sur terrain ne cesse de s'empirer. La dernière de ces mesures date du 26 mars dernier, portant sur l'arrestation des producteurs et vendeurs de l'eau en sachet. Cette mesure du gouverneur Ngobila feint les bouteilles en plastique qui jonchent les rues de Kinshasa et les sachets qui sont les principaux emballages des kinois.
Bienfait Luganywa