Résumé des faits et questions de droit
Le jour même que devait normalement se clôturer la session ordinaire de mars des deux Chambres parlementaires, l’Honorable Mboso N’Kodia Pwanga Christophe, Président de l’Assemblée nationale, introduisait auprès de la Cour constitutionnelle sa requête du 15 juin 2021 reçue au greffe le 16 juin 2021 et enregistrée sous le numéro R.Const 1584 en vue d’obtenir l’interprétation de l’article 144 alinéas 2 et 3 de la Constitution.
La question principale était de savoir si l’Assemblée nationale pouvait continuer de siéger ou plutôt clôturer sa session (ordinaire) de mars alors même que la troisième vague de COVID-19 faisait rage à Kinshasa et que le Président de la République, Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, avait par Ordonnance présidentielle no 21/015 du 03 mai 2021 proclamé l’état de siège dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri.
La Cour constitutionnelle a rendu son Arrêt le mardi 22 juin 2021, une semaine après le 15 juin, le jour où la session de mars était normalement censée se clôturer. Dans cet Arrêt, la Cour s’est déclarée compétente pour connaître de la requête. Elle a jugé l’action recevable et fondée et dit que les Chambres parlementaires peuvent clôturer leur session, de manière exceptionnelle, et demeurer disponibles tous les 15 jours pour proroger ou non l’état de siège.
Le Constitutionnaliste André Mbata Mangu, Professeur de Recherche au Collège de Droit de l’Université d’Afrique du Sud (UNISA) et Professeur Ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) où il donne le cours de Droit constitutionnel congolais, analyse cet Arrêt de la Cour constitutionnelle qu’il juge scandaleux parce que pris en violation de la Constitution de la République. Nous résumons pour le grand public, les politiques et surtout les scientifiques, les juristes (magistrats, avocats, notaires, conseillers juridiques) et les nombreux étudiants en droit dans le pays les grandes idées émises par Le Professeur des Universités sur cet Arrêt exceptionnel.
Les hérésies des juges constitutionnels congolais dans l’arrêt R.Const 1584
L’Arrêt R.Const 1524 contient d’abord plusieurs informations erronées. Au sixième feuillet, par exemple, la Cour constitutionnelle affirme que « La session ouverte le 15 mars 2021 était la première session ordinaire de l’Assemblée nationale » alors que tout le monde sait que l’Assemblée nationale élue en décembre 2018 avait tenu sa première session ordinaire en 2019.
La Cour ne peut pas nous faire gober une telle hérésie en se fondant sur l’article 168 de la Constitution qui dispose que « Les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ».
Par sa Requête du 15 juin 2021 enregistrée sous le numéro R.Const 1584, l’Honorable Mboso N’Kodia Pwanga Christophe, Président de l’Assemblée nationale, avait introduit auprès de la Cour constitutionnelle une demande en vue d’obtenir l’interprétation de l’article 144 alinéas 2 et 3 qui se lit comme suit :
« En application des dispositions de l’article 85 de la présente Constitution, l’état de siège, comme l’état d’urgence est déclaré par le Président de la République.
L’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent alors de plein droit. S’ils ne sont pas en session, une session extraordinaire est convoquée à cet effet conformément a l’Article 116 de la Constitution. La clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée pour permettre, le cas échéant, l’application des dispositions de l’alinéa précèdent ».
Le Président de l’Assemblée nationale voulait être déclaré par la Cour constitutionnelle s’il pouvait clôturer la session ordinaire de mars le 15 juin 2021 alors que la troisième vague de Covid-19 faisait rage à Kinshasa, l’état de siège avait été proclamé par dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri par Ordonnance no 21/015 signée par le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en date du 03 mai 2021 et que l’article 144 alinéa 3 prescrit cette clôture de la session est de droit retardée dans de telles circonstances. La requête du Président de l’Assemblée nationale était fondée sur l’article 161 alinéa 1er de la Constitution qui dispose :
« La Cour constitutionnelle connait des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président du Sénat, du Président de l’Assemblée nationale, d’un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, des Gouverneurs de province et des présidents des Assemblées provinciales. »
Au septième feuillet de l’Arrêt, la Cour constitutionnelle a eu raison d’affirmer sa
compétence en s’appuyant sur cet article 161 alinéa 1er et de juger que la requête en interprétation de l’article 144 alinéas 2 et 3 de la Constitution était recevable et fondée.
A l’article 144 alinéa 3, le Constituant a prescrit que la clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée (en cas de proclamation de l’état de siège ou de l’état d’urgence) ». A ce stade, la Cour constitutionnelle a eu à interpréter la locution « de plein droit » comme ne donnant pas aux Chambres parlementaires la possibilité de ne pas prolonger la session. En d’autres termes, le constituant a formellement interdit la clôture des sessions qui devrait être retardée en cas d’état de siège ou d’état d’urgence.
La suite de l’Arrêt est un chapelet d’hérésies et de contradictions de la Cour qui est tombée dans le piège lui tendu par le requérant au point de violer la Constitution dont elle est pourtant censée être le gardien fidèle. En effet, comment interpréter la locution « de plein droit » à l’article 144 alinéa 3 de la Constitution comme interdisant aux Chambres parlementaires de clôturer les sessions en cas d’état de siège ou d’état d’urgence et les autoriser par contre à le faire dans le dispositif de l’Arrêt ???
La Cour constitutionnelle s’est ensuite enfoncée dans son égarement en jugeant qu’«au regard de l’esprit de la disposition constitutionnelle (Article 144 alinéa 2) sous examen, il ressort clairement que la session (extraordinaire) ainsi convoquée (si les deux chambres ne sont pas en session) ne sert qu’à prolonger ou non l’état de siège ». Il s’agit d’un faux jugement et d’une mauvaise lecture de la Constitution car la « clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée non pas pour proroger ou non l’état de siège comme l’a prétendu la Cour, mais « pour permettre, le cas échéant, l’application des dispositions de l’alinéa précédent (Article 144 alinéa 2) qui n’en parle pas.
D’autres part, le mot « échéant » n’a pas été bien compris par les juges constitutionnels, car l’article 144 ne dit nulle part que la session convoquée ne servirait qu’à proroger ou non l’état de siège parce que c’est la même session ordinaire qui continue comme c’est le cas de la session de mars dont la clôture devrait être simplement retardée sans qu’elle ne se transforme en session extraordinaire. Plus loin, la Cour constitutionnelle utilise un langage ordinaire en parlant de « prolonger » alors qu’elle aurait pu utiliser celui plus technique de prorogation utilisé par le Constituant. La conclusion de la Cour constitutionnelle est scandaleuse du point de vue du droit
Constitutionnel:
Dès lors, dans les interstices les Chambres parlementaires gardent leur autonomie surtout au regard de la circonstance exceptionnelle d’état de siège, de clôturer leur session et de convoquer régulièrement une session tous les quinze jours pour statuer sur la prorogation dudit état de siège.
De prime abord, il importe de relever que l’état de siège proclamé par le Président de la République n’est pas une « circonstance exceptionnelle » comme l’a prétendu la Cour, mais le résultat ou la conséquence des circonstances graves qui menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions » (Article 85 alinéa 1er). L’état de droit exige que toutes les personnes soient soumises à la loi, en commençant par la Constitution qui est la loi suprême de la République. Il n’y a aucune « autonomie » qui puisse pousser la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale, le Sénat ou pour toute autre personne physique ou morale à violer la Constitution.
L’on ne peut donc pas comprendre que la Cour constitutionnelle interprète l’article 144 alinéa 3 de la Constitution en reconnaissant aux Chambres parlementaires le pouvoir de clôturer leur session et de convoquer régulièrement une session (extraordinaire) pour statuer sur la prorogation dudit état de siège alors que le même article tel qu’interprété auparavant par la Cour elle-même dispose que « la clôture des sessions ordinaires ou extraordinaires est de droit retardée » et qu’il s’agit d’un impératif constitutionnel qui ne peut faire l’objet d’aucune dérogation. La Cour est tombée dans l’hérésie en jugeant que l’on passerait ainsi d’une session ordinaire à une session extraordinaire pour juste proroger ou non l’état de siège.
La « sorcellerie en droit constitutionnel » serait de penser que l’on peut clôturer une session (ordinaire) de mars après le 15 juin, ce qui serait une violation flagrante de l’article 115 de la Constitution invoquée par la Cour dans son Arrêt ou encore de penser que les Chambres peuvent se réunir tous les quinze jours pendant la période entre le 15 juin et le 15 septembre!
Pourtant, même si elle se poursuit après le 15 juin selon l’article 144 alinéa 3 de la
Constitution, la session reste une session ordinaire (retardée) et ne devient pas pour autant une session extraordinaire. Et s’agissant d’une session ordinaire (retardée), les Chambres vont continuer à siéger sur toutes les matières inscrites à l’ordre du jour et non pas seulement pour proroger ou non l’état de siège. Ici encore, la Cour s’est égarée.
En déclarant que cette session serait pour proroger ou non l’état de siège, la Cour a
également violé le principe de séparation des pouvoirs car l’article 116 de la Constitution dispose que chaque Chambre du Parlement peut être convoquée en session extraordinaire par son Président sur un ordre du jour déterminé, à la demande soit de son Bureau, soit de la moitié de ses membres, soit du Président de la République, soit du Gouvernement.
Il n’appartient pas à une cour constitutionnelle soit-elle de décider de la transformation d’une session ordinaire en une session extraordinaire ou de déterminer l’ordre du jour de celle-ci.
Les mesures restrictives contre le COVID-19 ne peuvent pas constituer un cas de force majeure ou une cause de justification de la violation des lois de la République. La preuve en est que l’état d’urgence qui avait été proclamé pour combattre le COVID-19 a été levé depuis longtemps et n’a pas été rétabli malgré le caractère très meurtrier de la troisième vague.
L’autre problème est que la Cour constitutionnelle n’a pas tenu au strict respect de la Constitution qu’elle est censée défendre et protéger, mais elle a aussi ignoré le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qu’elle avait elle-même déclaré conforme à la Constitution avant sa mise en application conformément à l’article 160 alinéa 2 de la Constitution.
En outre, Kinshasa n’est pas la Republique. Le Président de la République et le Gouvernement l’ont déjà prouvé en se réunissant en dehors de Kinshasa. Aussi, l’article 6 du Règlement intérieur dispose :
« Le siège de l’Assemblée nationale est établi à Kinshasa, capitale la République Démocratique du Congo, précisément au Palais du Peuple dans la Commune de Lingwala. En cas de circonstances exceptionnelles empêchant l’Assemblée nationale de se réunir a son siège, son Bureau peut décider du lieu qui abritera provisoirement ses travaux ».
Toute la République n’est pas en état de siège et l’état d’urgence n’a été rétabli nulle part, même pas à Kinshasa, à cause de la troisième vague de COVID-19. Le gouvernement continue de se réunir. Et comme l’Assemblée nationale peut aussi se réunir en dehors de son siège comme le prévoit l’article 6 de son Règlement intérieur. La Cour a malheureusement ignoré ce Règlement intérieur qui lui aurait permis de bien dire le droit et de ne pas violer la Constitution en invoquant la force majeure.
Au regard de ce qui précède, la Cour constitutionnelle s’est une fois de plus perdue sur le terrain de l’interprétation constitutionnelle, un enseignement de très haut niveau qui n’est malheureusement pas dispensé dans les Facultés de Droit du Congo. Ailleurs, les juges constitutionnels sont aussi des théoriciens ou des savants du droit.
La jurisprudence est une source de droit. La Cour constitutionnelle continue à dire le droit et à interpréter la Constitution comme le ferait un Tribunal de Paix. De tous les Arrêts qu’elle a rendus jusque-là, l’on ne peut dégager aucune théorie d’interprétation constitutionnelle qui guide la plus haute juridiction du pays et qui vaille la peine d’être enseignée dans les Facultés de Droit des universités de ce pays ou d’ailleurs.
Pis, même un Arrêt comme celui-ci qui aurait amené tous les juges à s’exprimer, aucun « jugement dissident » n’a été produit depuis le jugement de Jean-Louis Esambo et Banyaku lorsqu’ils étaient alors juges à la Cour constitutionnelle, la Cour constitutionnelle se prononçant toujours à l’unanimité de ses membres, ce qui contribue pas au développement de la jurisprudence constitutionnelle.
Conclusion
Par son Arrêt R. Const 1584 basé sur une mauvaise interprétation de la Constitution et même une violation de celle-ci, la Cour constitutionnelle a voulu pousser les Chambres parlementaires à violer la Constitution en clôturant la session ordinaire pendant la proclamation de l’état de siège dans le pays alors que la Constitution prévoit que la clôture des sessions est retardée de plein droit. Aussi, en pensant que les Chambres peuvent être régulièrement convoquées en sessions (extraordinaires) tous les 15 jours jusqu’à l’ouverture de la prochaine session ordinaire de Septembre, ce qui ferait un total d’environ cinq sessions extraordinaires (!) successives. La Cour a mal dit le droit.
L’on sent une grande fatigue intellectuelle des membres de la Cour constitutionnelle
découlant elle-même du non-respect de la Constitution surtout que l’article 158 de la Constitution alinéa 3 prévoit que « la Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe ». Aucune disposition constitutionnelle n’autorise à ce que l’on puisse déroger à cette règle du tirage au sort. Malheureusement, en l’absence du tirage au sort prescrit par la Constitution et donc en violation de celle-ci, plusieurs juges continuent de siéger alors qu’ils devaient être remplacés depuis plusieurs mois.
Si on n’y prend pas garde, avec une Cour constitutionnelle qui s’est auto-proclamé
Et se veut « régulateur des services publics » et même de la vie en société, il est à craindre que la Cour constitutionnelle de la RDC décide prochainement de transformer un homme en une femme et nous oblige de respecter son arrêt en se fondant sur l’article 168 alinéa 1er de la Constitution qui stipule que les arrêts de la Cour ne sont susceptibles d’aucun retour et sont immédiatement exécutoires ; qu’ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers » !
Le fait pour les Chambres d’ignorer un tel arrêt R.Const 1584 de la Cour
constitutionnelle pris en violation de la Constitution ne créerait aucun conflit institutionnel entre elles et la Cour constitutionnelle surtout que, consciente de ses lacunes en matière d’interprétation constitutionnelle, la Cour n’a pas obligé les Chambres parlementaires à clôturer la session mais plutôt dit qu’elles «peuvent » - ce qui leur laisse la latitude de ne pas clôturer surtout que la Constitution stipule que la clôture est simplement retardée lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence a été proclamé, sur tout ou partie du territoire national. Il serait aberrant de clôturer la session de mars après le 15 juin ou de penser que les Chambres parlementaires peuvent se réunir en session (extraordinaire) tous les quinze jours - donc plus de cinq fois avant l’couverture de la session ordinaire le 15 septembre - si jamais il n’était pas mis fin à l’état de siège.
La Cour constitutionnelle étant composée en majorité des juristes mais tout juriste
n’étant pas constitutionnaliste, il est bon que les juges constitutionnels congolais descendent de leur piédestal pour se remettre en cause et apprennent à mieux dire le droit surtout qu’aux termes de l’article 149 de la Constitution, « la justice est rendue au nom du peuple congolais ». Les juges ne rendent donc pas la justice en leurs propres noms, au nom de la Cour ou de toute autre personne physique ou morale !
Il importe de rappeler que selon l’article 1er de la Constitution qui consacre la RDC
comme un Etat de droit démocratique qui requiert que toute personne soit soumise à la loi, la Cour constitutionnelle peut bien être la plus haute juridiction du pays avec des Arrêts définitifs et obligatoires, elle n’est cependant pas au-dessus de la Constitution de la République ni au-dessus du peuple souverain que nous représentons tous individuellement et collectivement et au nom duquel la justice est rendue.
Bab Shamb Kaboul
Assistant du Professeur des Universités