Loi Tshiani : "De père et de mère, pourquoi ?", (Tribune de Siméon Nkola Matamba)

Jeudi 8 juillet 2021 - 23:16
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Les protestations virulentes et les débats à longueur de mois n'ont pas éteint la fièvre. La proposition du verrouillage de certains postes de souveraineté continue de surgir et de ressurgir par vagues successives. 

L'objectif de celui qui a porté jusqu'ici cette proposition est que seuls les Congolais dits de père et de mère (concept absent de notre Constitution) soient autorisés à briguer des postes de souveraineté, dont le premier est celui de Président de la République.

Cette proposition, attribuée jusqu'ici à la "liberte de penser" de ce compatriote, vient d'entrer dans une phase critique avec son dépôt au Bureau de l'Assemblée Nationale. Elle est désormais portée par un député.

Ce sujet qui fait irruption à mi-parcours de l'échéance de 2023 redouble de toxicité quand les protagonistes s'en emparent pour défendre leurs chapelles, quitte à noyer l'essentiel. 

Dans le fond, l'enjeu se situe au niveau de l'idée que nous sommes appelés à nous faire de la nationalité congolaise, au-delà des considérations électoralistes qui nourrissent le débat aujourd'hui.

Très rapidement, les expressions se sont mises à dériver, et nous pouvons faire le constat pratique qu'il n'est dorénavant plus question du seul durcissement des critères d'accés à la Présidence, d'autant plus que "de père et de mère est devenu
un badge de fierté pour qui veut en faire la monstration.

Les proposants, par le génie de leur invention, ont installé (sans le vouloir?) un marqueur de division entre les Congolais. La place publique témoigne des apparitions colorées dans lesquelles de plus en plus de personnes, à l'occasion de rien, se presentent comme étant "de père et de mère pour marginaliser d'autres Congolais, autrement appelés «demi-dakar», reconnus cependant comme intégralement Congolais par les lois du pays. 

Le tout devient grotesque quand apparait la fraternité des ‘’députés de père et de mère’’, avant que d’autres professions, corporations et associations emboîtent le pas. Cette nomenclature mortifère
ouvre une faille dans notre nation déjà fragile et nous dirige un peu plus vers le bord du précipice.

Au regard de la loi, la nationalité Congolaise d'origine n'est pas compartimentée. Vouloir qu'elle le soit pour acter un séparatisme nouveau entre les 100% et les 50% ne servira qu'à renforcer encore plus les clivages dans une nation pluriethnique qui peine encore à se rassembler autour d'une identité républicaine homogène. 

Peut-être avons-nous là
l'augure des jours plus lugubres, où les architectes de la division inaugureront davantage de cloisonnements dans lesquels seront assignés les 75%, les 62,5%, les 37,5%, ou les 12,5%, avec une échelle mettant en correspondance les degrés de congolitude avec les postes de responsabilités indiqués, aussi longtemps que cela sera justifié par la "liberté de penser", ou de "proposer".

Les notions qui appartiennent à l'univers conceptuel des ethno-nationalismes, qui vantent la pureté du sang, et qui titillent l'eugénisme, sont de nature à cliver la société au lieu de la guérir de ses plaies encore ouvertes.

Les lois de la RDC ne font pas de distinction entre les Congolais de père et de mère et les Congolais seulement de père ou seulement de mère Congolais. Les conditions pour accéder à la présidence de la République sont déjà suffisamment verrouillées grâce à certaines dispositions en vigueur. Ces dernières ont conditionné les élections présidentielles successives de 2006, 2011, et 2018, durant lesquelles l'on faisait tout sauf examiner la teneur du sang avant de valider une candidature.

La question de l'opportunité d'un durcissement des conditions se pose. Et il n'est pas difficile d'y répondre. N'est-on pas suffisamment Congolais quand l'un des parents est Congolais? Doit-on chercher l'attachement à la Patrie dans des considérations ethnobiologiques qui, au demeurant, ne garantissent rien ? Est-ce parce qu'ils n'étaient pas suffisamment Congolais que les destructeurs du Congo (de père et de mère) ont persévéré dans leur traitrise à la Patrie? N'est-ce pas dans les rangs de celles et ceux qui se réclament "de père et de mère" que l'on trouve la majorité des fossoyeurs de notre pays? Les guerres d'agression des pays voisins et leurs velléités expansionnistes ne doivent pas leurs succès à la complicité des quelques Congolais "de père et de mère"?

Et si face à ceux qui montent en épingle les cas des quelques pays pour justifier le durcissement et le "verrouillage" tant vantés, l'on opposait la réalité des pays plus modernes et l'exemple des sociétés ouvertes où les élans réactionnaires de ce type-là n'ont plus beaucoup de place ?

Si cette proposition de loi passait, elle ferait plus que mettre hors-jeu des candidats potentiels ou pressentis à l'élection présidentielle. Elle assénerait un coup de plus au vivre ensemble et déstructurerait les représentations au sein de la société au sujet de qui est vraiment Congolais d'origine et qui ne l'est pas, au sujet de qui aime suffisamment la Patrie pour la servir au plus haut point et qui ne peut pas la servir. Nous ferions un grand pas en arrière. Si elle passait.

 

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