RDC : Halte à la désacralisation du Conseil National de Sécurité (Tribune du professeur Eleuthère Makwiza Kahereni)

Vendredi 1 avril 2022 - 16:43
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Incroyable mais vrai, pour une première depuis sa création, le Conseil National de Sécurité (CNS) se trouve plus que jamais dans l’œil du cyclone. L’équivalent congolais de la NSC (National Security Council) américaine, fait les choux gras de la webosphère, depuis que son patron, l’emblématique François Beya Kasonga, a été cueilli par l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) pour aider à faire la lumière sur un réseau funiculaire de conspirateurs soupçonnés de vouloir paralyser les institutions démocratiques.

Pour mémoire, la normalisation institutionnelle en République Démocratique du Congo est la résultante d’un long processus parsemé de rébellions, guerres d’agressions, Dialogue Inter Congolais, transition consensuelle post-belligérance surnommée 1+4 ainsi que d’un cycle référendaire ayant accouché de la troisième République par le biais de la promulgation de la Constitution du 18 février 2006 en vigueur.
En effet, jamais homme n’avait personnifié le CNS, Conseil National de Sécurité, gratin des services nationaux d’intelligence, placé sous l’Autorité du Président de la République, comme a pu le faire François Beya Kasonga.

Nommé à la tête du Conseil National de Sécurité à l’orée du mandat d’un Félix Tshisekedi nouvellement élu, François Beya Kasonga, l’homme qui maîtrisait tous les dossiers sécuritaires, politiques et géostratégiques, s’est rapidement imposé comme un faiseur des rois. Du haut de ses quatre décennies d’expérience dans les services des renseignements pendant lesquelles il s’est doté d’un carnet d’adresses international à nul autre pareil, ‘’Fantômas’’ ne boudait pas son plaisir lorsque la communauté de sécurocrates aimait à lui conférer les attributs du Cardinal Mazarin ou de son contemporain le Cardinal de Richelieu.  

Lorsque le 05 février 2022, aux alentours de 13 heures, le tout nouvel Administrateur Général de l’Agence Nationale des Renseignements (ANR), le professeur Jean-Hervé Mbelu Biosha, s’était fait fort d’appréhender le maître espion du régime à son domicile, c’est toute la communauté des renseignements de la République Démocratique du Congo qui en perdait son latin.

Ancien de l’Agence Nationale des Renseignements où il a fait carrière pendant près d’un quart de siècle avant d’être catapulté par Joseph Kabila à la tête de la Direction Générale de Migration (DGM), François Beya avait presque vampirisé les services de sécurité grâce à une sorte d’omnipotence, omniprésence et omniscience qui lui valait l’allégeance grégaire d’une caste de sécurocrates organisée en confrérie. C’est donc peu d’inférer que sa chute est un cataclysme ayant pris de court toutes ses ouailles qui ne juraient que par une déférence larvaire vis-à-vis du surhomme. 

Tout compte fait, la majorité d’agents et cadres des services d’intelligence pouvaient encore raison garder en considérant que le Conseiller Spécial en matière de Sécurité devait toute son aura et son prestige à la magnanimité du Président de la République qui lui avait ouvert le boulevard d’entregent dont il se prévalait dans presque tous les domaines de la vie nationale.

Pendant que rien n’a encore filtré des enquêtes sourcilleusement menées en vue de faire toute la lumière sur des faits séditieux avérés lui imputés, tous ceux qui avaient misé sur cet homme fort pour leur ascension dans l’appareil sécuritaire ne savaient plus à quel Saint se vouer.

Après un moment d’observation, l’on a vu certains d’entre eux porter en désespoir de cause sur les fonts baptismaux le collectif « Free François Beya », une constellation de manifestants cornaqués par des défenseurs des droits de l’homme stipendiés dans le but d’exiger son élargissement sans conditions.

Finalement, sentant le vent tourner irréversiblement, des lieutenants de François Beya aux abois ont carrément choisi la voie de la presse pour y distiller astucieusement des informations les plus insolites en vue d’influencer le choix par l’Autorité suprême du successeur de leur ayatollah déchu, dans l’espoir inavoué que le futur conseiller spécial en matière de sécurité sorte du moule de son prédécesseur, afin de leur permettre de conserver leurs plates-bandes.

IDIOLECTE DES SECUROCRATES EN PATURE DANS LES MEDIAS

Il ne se passe plus un jour sans qu’un laboratoire déterminé à subjuguer les décideurs ne se fende des articles et autres postings sur les réseaux sociaux visant à préserver la chasse gardée que semble être devenu pour certains le Conseil National de Sécurité. Le style est le même. A charge ou à décharge, c’est pratiquement la même plume qui s’adonne à une acrobatie du verbe réservé aux initiés.

Embouchant le jargon des services de renseignement dans leur novlangue congolaise, ces cadres débranchés du circuit pour faciliter le bon déroulement des enquêtes sur François Beya dont ils étaient devenus des obligés n’épargnent plus aucun personnage éligible à la succession.

Ni Fortunat Biselele, ni Gilbert Kankonde Malamba, et surtout pas l’intérimaire Jean-Claude Bukasa accusé de les avoir mis à la réserve de la République, ne devait selon eux occuper le siège laissé vacant par leur parrain. Le péché originel de tous ceux qui sont susceptibles d’arracher l’onction du Chef de l’Etat serait, à leur goût, de ne pas avoir passé autant d’années dans les services de renseignements que François Beya.

Un peu comme si dans ce pays, ces mêmes barbouzes expérimentés n’avaient pas par le passé accepté de travailler sous les ordres du Professeur Guillaume Samba Kaputo, Pierre Lumbi Okongo ou Me Mbuyu Luyongola qui avaient trouvé grâce aux yeux du prédécesseur de Félix Tshisekedi, sans forcément avoir fait carrière dans les agences de renseignement.

APRES BEYA, LE DELUGE

La pègre obnubilée par le slogan « après François Beya, c’est le déluge », qui balance en ligne brulot sur brulot, passant ainsi par perte et profit une expérience professionnelle pourtant revendiquée à cor et à cri, tente de faire feu de tout bois, au mépris du principe consacré : ‘’les hommes passent, mais les institutions restent’’. Même les évènements les plus tragiques qui rappellent les plus mauvais souvenirs de l’agression récurrente de notre pays par un incorrigible voisin sont bons pour être récupérés à des fins de positionnement.  

Les Forces Armées de la République Démocratique du Congo ont pourtant été on ne peut plus claires sur la nature de l’attaque dont a fait l’objet le Territoire National de la part du M23 soutenu par les Forces de Défense du Rwanda depuis la nuit du 27 au 28 mars 2022.  « Le M23, soutenu par les Forces de Défense du Rwanda (RDF) a mené des incursions et attaqué les positions des FARDC de Chanzu et de Runyonyi dans le Territoire de Rutshuru.

Au cours de ces attaques, les FARDC ont mis la main sur deux militaires rwandais, l’adjudant Habyarimana Jean Pierre, Matricule AP 27779 et le soldat des rangs Wadjeneza Muhindi John alias Wadje », a déclaré le porte-parole de l’armée basé à Goma. Les deux soldats présentés à la presse seraient du 65ème Bataillon de la 402ème Brigade d’infanterie des Forces de Défense du Rwanda, même si certains renseignements font état d’espions rwandais immobilisés par les services de défense et de sécurité depuis le mois de février passé.

« Ces deux sources crédibles précisent les noms de leurs unités et l’identité de leurs commandants de bataillon et de brigade. Le 65ème Bataillon et la 402ème Brigade commandés respectivement par les lieutenant-colonel RURINDO Joseph et le Général Nkumbito Eugène sont basés à Jarama, au camp militaire Kibungo au Rwanda.

Au regard de ces informations authentiques, les FARDC s’interrogent sur le sens de la mutualisation des efforts en vue des opérations conjointes avec un partenaire qui ne respecte ni ses engagements vis-à-vis de la RDC, encore moins sa propre parole à l’occasion de différentes rencontres et échanges entre leaders à tous les niveaux », a poursuivi le Général Sylvain Ekenge, porte-parole du Gouverneur militaire du Nord-Kivu sur un ton martial.

Trois jours auparavant, Willy Ngoma, porte-parole de l’Armée Révolutionnaire Congolaise, branche militaire du M23, avait annoncé les couleurs en signant à Sarambwe le 25 mars 2022 un communiqué qui ne faisait pas mystère de la volonté du M23 d’ouvrir les hostilités.

Au moment où la souveraineté nationale est de nouveau mise à rude épreuve par un envahisseur bien connu et ses supplétifs locaux, certains cadres du Conseil National de Sécurité qui se rêvent en ‘’syndicalistes’’ préfèrent persifler sur un « baptême de feu » de l’intérimaire de François Beya. Selon eux, l’expérimenté flic, du haut de ses 40 années d’expérience, serait l’unité de mesure sans qui la maison Congo devrait s’écrouler à coup sûr. 

L’on cherche désespérément à faire croire que l’ancien Conseiller spécial aurait mis en place, à en croire les tracts partagés sur les réseaux sociaux, une diplomatie de renseignement dans la région des grands lacs court-circuitée par une agression rwandaise qui serait la résultante directe de son interpellation par l’Agence Nationale des Renseignements dans le cadre d’une enquête sur une tentative avérée de déstabilisation des institutions. Et d’accuser l’adjoint de Beya, assumant de droit l’intérim de son titulaire empêché, de tous les péchés d’Israël pour avoir notamment mis en isolement tous les dépendants du présumé conspirateur à des fins objectives de cloisonnement. 

Carriéristes dans les services de renseignements depuis le début de la dégringolade de ceux-ci dans les années 80, la clientèle d’agents nostalgiques de François Beya a tout simplement recouru à des méthodes subliminales de la deuxième République avant de revenir sur le lieu du crime comme tout bon assassin.

Le crime parfait n’existant pas, l’on comprend maintenant un peu mieux que les auteurs du réquisitoire intitulé ‘’Incursion du M23, Jean Claude Bukasa, le baptême de feu ?’’  sont les mêmes qui avaient préalablement fait publier dans la presse internationale et locale un article sur une supposée « guerre des tranchées pour la succession de François Beya » dont ils prévoyaient manifestement d’attribuer la paternité dans une livraison postérieure à Jean-Claude Bukasa, en l’accusant perfidement de chercher à se faire confirmer à un poste qui, selon eux, serait la chasse gardée de François Beya ou des siens.

Du jour au jour, leur propagande ne fait qu’enfler sur les réseaux sociaux, à l’instar d’un récent posting au titre inquisiteur « improductive, la gestion CNS de Bukasa inquiète ». 

Le problème n’est pas tant cette bataille épique pour s’adjuger le commandement du CNS que la propension viscérale à divulguer collatéralement des secrets d’un mess de commis de l’Etat astreints à la plus grande discrétion. Au demeurant, jamais de mémoire de scientifique, des membres des services d’intelligence ne s’étaient ainsi permis de s’épancher avec ingénuité sur les médias pour médire les uns des autres.

Les défenseurs de François Beya qui semblent s’être syndiqués en vue de l’ériger en modèle auraient voulu le laver de tout soupçon qu’ils s’y seraient pris autrement, surtout en évitant de présenter une énième agression caractérisée du territoire national comme une astuce conçue dans le but de prouver l’inamovibilité de leur gourou. 

« Baptême de feu » ou pas, le Conseil National de Sécurité est le creuset des renseignements provenant de différentes agences (ANR, DEMIAP, DGM). Or, il appert que c’est justement depuis près de 40 ans que toutes ces agences ont commencé à être infiltrées par des mercenaires, en grande partie féminins, travaillant pour le compte du Rwanda notamment. Comme quoi l’expérience de 40 ans n’est toujours pas quelque de chose de gratifiant dès lors qu’elle draine également des alluvions de la décadence de nos services de défense et de sécurité.

La preuve du manque de professionnalisme de ceux qui cherchent à sublimer les années les plus sombres de notre histoire est donnée par le fait de les voir régler des comptes sur les médias, laissant ainsi penser qu’ils sont plutôt au service d’un homme en délicatesse avec la sûreté nationale qu’au service des institutions de la République.

Dans tous les cas de figure, le syndicat pro Beya qui a vu le jour au sein même des services de sécurité et d’intelligence, sans avoir la patience d’attendre l’issue des enquêtes qui le visent, constitue d’ores et déjà une gangrène pour la survie d’une institution aussi sensible que le Président de la République. Sont pris qui croyaient prendre : les défenseurs de François Beya viennent de s’auto-disqualifier à force de chercher à rejeter toute nouvelle impulsion émanant de la haute hiérarchie.

TEMPETE DANS UN VERRE D’EAU

« Quid quid latet apparebit », disaient les latins. L’assassin revient toujours sur le lieu du crime. Même les djihadistes les plus clandestins finissent toujours par trouver les moyens de revendiquer leur scélératesse.

C’est à cela que fait penser une lette fuitée sur les réseaux, dans laquelle le Coordonnateur du Service du Conseiller Spécial (SCS) sous la dispensation de François Beya, le bien nommé Bosolo Mundombele Adonis ainsi que deux conseillers du Conseiller Spécial sortant Bafala Itumbela José et Tshitenge Nkolomoni Prosper, ont cru devoir faire part de leurs récriminations au Directeur de Cabinet du Président de la République.

Identique sur le plan du fond et de la forme avec la plupart de récits diffusés sur les réseaux sociaux pour désacraliser le Conseil National de Sécurité sur fond d’une cynique stratégie de la terre brûlée, ces collaborateurs les plus immédiats du Conseiller Spécial incriminé pointent, pince sans rire, « un acharnement contre une catégorie de collaborateurs du conseiller spécial empêché », un peu comme si des membres du cabinet d’un ministre sortant pouvaient se permettre de faire un procès au ministre entrant pour ne les avoir pas reconduits.

Finalement, la grande inquiétude suscitée par l’épidémie inédite des articles de presse sur le CNS n’aura été au final que l’œuvre d’une petite poignée d’agitateurs confondant leurs espoirs douchés avec la réalité.     

Professeur Eleuthère Makwiza Kahereni, philosophe, criminologue et géopoliticien)

Lubumbashi, le 01 avril 2022