Tribune - La lettre d’ITSCI sur les chaînes d’approvisionnement des 3T dans le Masisi : une alerte à la ministre des Mines Antoinette Nsamba

Mercredi 7 juin 2023 - 08:12
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Parallèlement à la poursuite en flagrance du député Edouard Mwangachuchu devant la Haute cour militaire pour, entre autres, haute trahison, association de malfaiteurs et atteinte à la sécurité de l’Etat, la ministre nationale des Mines Antoinette Nsamba Kalambayi avait pris le 15 mars dernierune mesure portant suspension de toutes les exportations de sa société, SMB (Société Minière de Bisunzu), opérant dans le secteur des 3T dans le Masisi. Motif : lesdits minerais proviendraient d’un périmètre couvert par le PE 76 de l’entreprise étatique SAKIMA SA (Société Aurifère du Kivu et du Maniema). Ce qui est constitutif, si jamais ce comportement était avéré, d’une infraction de vol et de recel des substances minérales prévues et punies par les dispositions de l’article 300 du Code minier. Préjudiciée, cette société publique est en droit de récupérer son patrimoine spolié depuis 23 ans et à la base présentement des inquiétudes de l’ITSCI qui menace de suspendre à nouveau l’étiquetage dans toute la zone de Masisi avec comme conséquence le bannissement des minerais de cette partie de la République sur le marché international. Ce dont rêve des pays comme l’Australie pour relancer leur production quasi à l’arrêt à cause du coût élevé d’exploitation. Et aussi le Rwanda qui va bénéficier davantage des minerais de la fraude.

Faisant suite à la requête du Gouverneur militaire du Nord-Kivude voir l’étiquetage des minerais reprendre dans le Masisi après la tentative manquée du M23 d’y prendre pied, l’ITSCI (International Tin Association), le Programme en charge des chaînes d’approvisionnement en minerais responsables, s’est montré très attentionné. Dans sa lettre du 05 juin dernier adressé au N°1 de la province, dont copies adressées à la ministrenationale des Mines et au Secrétaire général du ministère des Mines, cet organisme informe les autorités congolaises de la réponse positive réservée à leur appel, suivi des missions d’évaluation menées dans et autour de chaque site sous son emprise. Il en est résulté la relance de l’étiquetage dans 40 sites miniers.

Cependant, l’ITSCI exprime deux inquiétudes. D’abord, il relève l’érection à travers le territoire du Masisi de plusieurs barrières sous contrôle soit de groupes armés, soit des FARDC, sur fond de paiement de taxes illégales exigées à toute personne qui les traverse. Ce qui représente un risque grave en termes de devoir de diligence. Et de noter que présentement, plusieurs incidents ITSCI de niveau le plus élevé, entachant par conséquent les chaînes d’approvisionnement des minerais et risquant de mener au désengagement des acheteurs internationaux des minerais du Nord-Kivu, ont été enregistrés par rapport à ces cas de taxation illégale dont il sollicite la suppression. De même que les barrières.

La grande angoisse du Programme concerne la situation de la concession minière PE 4731. Malgré la suspension des activitéssur décision de la ministre des Mines, de nombreux rapports indiquent que celles-ci continuent sans désemparer, non sans compter l’implication de groupes armés non-étatiques et de forces de sécurité publiques. Ce qui donne lieu à un risque extrêmement élevé de fraude de minerais qui peuvent entrer dans les chaînes d’approvisionnement ITSCI. Ce dernier qualifie ainsi cette situation de gravissime et susceptible d’impacter négativement sa crédibilité. Et d’ajouter : «Sans une amélioration urgente de cette situation dans ce périmètre minier, le programme ne saurait pas maintenir la crédibilité de cette chaîne d’approvisionnement et, par conséquent, pourrait se voir dans l’obligation de suspendre à nouveau l’étiquetage dans toute cette zone. Une telle action, de dernier recours, impacterait gravement le programme ITSCI, tout comme les revenus et la réputation de la province du Nord-Kivu, et de la RDC dans son ensemble». 

Disposé à fournir aux autorités congolaises toute information nécessaire et utile liée aux risques précités, le Programme appelle particulièrement le Gouverneur militaire d’aider à la prise d’actions claires et efficaces pour atténuer lesdits risques et garantir ainsi la bonne continuité des activités ITSCI dans la zone. 

La lettre d’ITSCI est donc une alerte en direction des autorités congolaises, avec au premier chef la ministre nationale des Mines Antoinette Nsamba Kalambayi. S’il revient au Gouverneur militaire de démanteler ces barrières et de mettre au pas les groupes armés, en ce compris les éléments des FARDC si jamais ils sont impliqués dans cette basse besogne, la grande action est attendue plutôt du N°1 des Mines en RDC. Après avoir pris la décision salutaire de suspendre les exportations et les activités de la SMB, mesure accueillie chaleureusement par les populations locales, longtemps martyrisées, à travers des manifestations populaires, elle ne peut pas s’arrêter en si bon chemin. Il importe donc de pousser la logique jusqu’au bout pour mettre fin à l’illégalité et réparer ainsi les préjudices subis par SAKIMA SA et la rétablir, de ce fait, dans ses droits. De surcroît, sa lettre du 15 mars 2023 met en évidence la superposition du titre de la SMB sur celui de SAKIMA SA.

En effet, c’est depuis 2000 que SAKIMA SA a vu sa concession, le PE 76 (360 carrés), être amputée d’une partie, le PE 4731 (36 carrés), au bénéfice de la SMB en marge des Code et du Règlement miniers. Il n’existe à cet effet aucun acte de cession, ni acte de vente. Ce fut plutôt un butin de guerre obtenu lors de l’occupation de cette partie de la République par le mouvement rebelle RCD, dont le député Edouard Mwangachuchu fut un haut cadre. Celui-ci s’est retrouvé par la suite dans les grâces des survivants du RCD, à savoir le CNDP et le M23, dont certains éléments étaient constitués jusqu’il y a peu gardiens du PE 4731. Leur présence, sous des fausses identités, vient d’être confirmée solennellement dans le procès en cours devant la Haute cour militaire dans l’affaire dite Mwangachuchu. Il est à noter que le patron de la SMB avait succédé au sinistre général Bosco Ntangada à la tête du CNDP. Alors que celui-ci a été condamné à 30 ans de prison par la CPI pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’Est de la RDC, son successeur se la coulait douce jusque-là, continuant, du reste, à martyriser les pauvres populations de Rubaya en faisant la loi dans l’exploitation minière artisanale dans cette zone.

Il va donc sans dire que la violation des lois en vigueur régissant le secteur minier en RDC est tellement patente que cela n’appelle aucune tergiversation de la part des autoritéscongolaises pour déchoir, au-delà des ennuis judiciaires du député Mwangachuchu, avec diligence le titre de la concession indument acquise. Le rétablissement de SAKIMA SA dans ses droits va mettre fin à la situation de confusion qui règne dans le PE 4731 et qui fait de cette concession un bien sans maître. 

L’Etat, par la ministre des Mines, est appelé à intervenir le plus rapidement possible pour éviter que des sanctions de plus soient infligées à la RDC avec comme conséquence le boycott des minerais des 3T du Nord-Kivu, dont le Masisi regorge les grandes réserves mondiales, sur le marché international.  Ce bannissement est un rêve que caressent certains pays, telle l’Australie, dont la production est quasi à l’arrêt.  

Pour mémoire, l’Australie possède des gisements de coltan, mais ses minerais ont une faible teneur et sont situés à grande profondeur par rapport à ceux de la RDC qui sont presqu’à fleur du sol. Ce qui augmente le coût d’exploitation et les rend moins compétitifs. Le boycott des minerais congolais serait donc une aubaine pour relancer sa production. 

Par ailleurs, de même que l’ITSCI se montre très sévère vis-à-vis de la RDC, il doit l’être aussi eu égard au Rwanda qui est le point de chute de tous les minerais de la fraude au Congo, fraude qui va aller sans doute crescendo si jamais la RDC n’a plus accès au marché international. Dans ce cas, la vigilance est vivement recommandée de manière à suivre la production du Rwanda afin de tirer la sonnette d’alarme si jamais celle-ci dépassait les moyennes acceptables connues.

                                                                                                                                     Paul Kasereka Paluku