Après un long moment de silence et d’observation, Alex Kande Mupompa, de plain-pied dans l’arène, donne de la voix et fixe l’opinion sur son mutisme. Elu par deux fois Député national, Député provincial, Gouverneur du Kasaï Occidental, nommé Commissaire Spécial, puis élu Gouverneur du Kasaï Central, il est, sans conteste, un des grands notables de sa province d’origine qu’il porte toujours dans son cœur.
Le jubilé d’or du mariage du couple François Muamba Tshishimbi marquant 45 ans de communion parfaite aura constitué une occasion tout à fait fortuite d’obtenir de lui des réponses sur plusieurs questions. Ci-dessous, l’essentiel de ses propos recueillis à bâton rompu.
Moïse Musangana : Merci d’avoir accepté, bien que ce soit de manière inattendue, de partager quelques instants de votre temps précieux avec nous. Vous êtes l’un des opérateurs politiques et un grand notable de la province du Kasaï Central pour avoir été élu deux fois Député national et Gouverneur avant le démembrement de la province du Kasaï Occidental. Ensuite, vous avez été nommé Commissaire spécial et élu premier Gouverneur du Kasaï Central, puis Député provincial de cette même province. Vous êtes donc une personne ressource pour la province du Kasaï Central, mais l’on ne vous a plus entendu pendant longtemps. Comment vous portez-vous ?
Alex Kande Mupompa : Je suis heureux de cette opportunité que vous m’offrez de m’ouvrir à vous et de pouvoir m’exprimer. Je suis vraiment flatté par tous les attributs que vous me collez et je vous en remercie de tout cœur. D’emblée, je vous dis que je me porte comme un charme et je tiens à remercier le Seigneur pour m’avoir gardé en aussi bonne santé.
En ce qui concerne mon silence, je voudrais, en toute humilité, vous dire que c’est à dessein que j’ai donné le temps au temps et laissé le soin à l’Histoire elle-même de dévider sa trame. Car, c’est aux filles et fils de ma province d’écrire leur Histoire, non pas l’histoire de certaines histoires qui se racontent le soir autour du feu, mais la vraie Histoire, celle qui ne peut être ni tronquée, ni faussée, pour notre réel réarmement moral.
M.M. : Une Histoire tronquée et faussée, dites-vous ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourtant, vous faites partie intégrante de ces filles et fils du Kasaï Central qui doivent aider à écrire l’Histoire vraie de cette province.
A.K.M : Vous avez certainement raison de relever ce détail. Sans fausse modestie, je suis et je reste effectivement l’un de ses enfants, mais aussi et surtout, artisan et acteur de son Histoire. J’en suis également témoin oculaire et auditif privilégié. J’ai pleinement vécu les moments les plus intenses et les plus cruciaux du Kasaï Central et je continue à suivre attentivement tout ce qui s’y passe. Je pense donc être à même d’écrire et d’aider à écrire la vraie Histoire du Kasaï Central qui est souvent tue ou tronquée. Celle-ci ne peut être bien écrite qu’en transcendant tous les vils sentiments qui poussent souvent certains filles et fils de la province à se prêter à des jeux mesquins qui la fragilisent. En effet, de manière générale, les Centre-Kasaïens ont tendance à se haïr inutilement, au lieu de s’aimer et de se soutenir dans l’exaltante tâche de la reconstruction de leur province qui a symbolisé bien de choses à l’époque. Grâce à sa centralité, la ville de Luluabourg, jadis chef-lieu de la province du Kasai, devenue Kananga à l’avènement du Kasaï Occidental et aujourd’hui, chef-lieu du Kasaï Central, devait être la capitale du Congo. Il y avait à Luluabourg, plus précisément sur la Place de l’Indépendance, un grand monument nature du Roi Léopold II, debout sur ses deux pieds, comme en terre conquise. C’est aussi à Luluabourg que, sous la houlette de la Conférence constitutionnelle, la première Constitution du Congo a été écrite en 1964. A noter aussi que c’est à partir de cette ancienne province du Kasaï que des opérations d’envergure ont été lancées pour conquérir le Katanga, arrêter les avancées et ambitions de Rhodes et mettre la main sur l’or prisé du puissant Roi M’siri. Vous voyez donc que la vraie Histoire de la province du Kasaï, souvent tue, révèle beaucoup de choses depuis l’exploitation économique du pays en 1890 et la découverte, en 1892, du gisement de cuivre de Kambove, gardée secrète sur ordre du Roi Léopold II, le déplacement des populations du Kasaï vers le Katanga et l’infiltration des populations du Rwanda et du Burundi vers ces mines. Mais, après l’indépendance, le Kasaï est resté verrouillé, 35 ans durant, pour des raisons inexpliquées. Entretemps, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : le Congo est passé par divers plans de redressement, notamment le Plan Mobutu, l’Objectif 80, le Septennat du Social, les 5 ans de la « libération » du Congo, les 5 Chantiers et les 16 ans de la Révolution de la Modernité…
M.M : Nous reviendrons en long et en large sur cette Histoire. Mais en plus des déconvenues avec vos partenaires de la Majorité Présidentielle d’antan, vous avez connu des déboires avec l’Union européenne. Qu’en est-il à ce jour des sanctions de cette instance à votre encontre ?
A. K.M : Je pense qu’il serait d’abord utile de vous révéler que ces sanctions ont été prises par l’Union européenne, curieusement, à la demande injustifiée de certains compatriotes et, de manière regrettable, de quelques frères du Kasaï Central, pour des raisons inavouées. En réalité, je dois vous dire que je ne me reprochais de rien qui pouvait déclencher des pareilles mesures à mon encontre. En effet, avec raison d’ailleurs, dans son arrêt du 10 juillet 2024, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé que ces sanctions m’avaient injustement été infligées. Par conséquent, il les a, à ma grande satisfaction, toutes levées. J’ajoute et je précise que dans cette conjecture, j’avais pris l’option ferme de ne pas être agité comme mes pourfendeurs. C’est ce qui a aussi justifié mon silence.
M.M. : Vous êtes parmi les dirigeants qui devaient faire avancer le Kasaï Central vers la voie du développement. Dès votre arrivée à la tête, d’abord, de la province du Kasaï Occidental, ensuite, de celle du Kasaï Central, vous aviez amorcé, avec votre politique au slogan retentissant : « Gouverner autrement ! », des projets à impacts visibles, notamment le projet de désenclavement de la province, de l’électrification, du transport en commun. Qu’est-ce qui a arrêté ces différents projets ?
A.K.M : Je dois vous avouer que c’est bel et bien à travers ce slogan « Gouverner autrement » qui a servi de piqûre psychologique, qu’est intervenu l’esprit innovateur et créateur. J’étais alors convaincu que les filles et les fils de ces deux provinces méritaient autre chose de beaucoup mieux que cette misère qui leur collait à la peau. Je vous rappelle que ma vision de « Gouverner autrement » consistait à unir les efforts de toutes les couches de la province, en bannissant toutes sortes de stigmatisation des personnes, en ce compris tous les vils sentiments de haine, de jalousie et de règlements des comptes, pour qu’ensemble l’on rebâtisse la province. Dans cette projection, notre parti politique commun devenait ainsi la province. C’est pourquoi, je m’étais décidé de rassembler tout le monde partout et j’ai, ensuite, mis en chantier des projets à impacts visibles appelés à donner à l’espace un plus et une impulsion nouvelle. C’étaient donc des acquis sûrs et indiscutables qui devaient contribuer à résoudre les problèmes de développement, d’où le grand projet d’ouvrir la province à l’Océan Atlantique, via le port de Lobito, discuté et convenu avec les autorités de la province angolaise de Lunda Norte. Ce projet a ensuite été concrétisé par la construction de la route Kananga-Kalamba Mbuji, jadis inexistante. Pour ce faire, la province signera un protocole d’accord d’un partenariat public-privé avec la firme chinoise GREC 7 pour les travaux de construction de cette route en terre battue, en attendant son asphaltage. Bien qu’en construction, cette route était, au moment où je quittais la province, déjà opérationnelle à la grande satisfaction de la population, toute comblée dans son attente. En effet, on pouvait facilement faire un aller-retour Kananga-Kalamba Mbuji. Aussi, on pouvait quitter la ville de Kananga et arriver dans la province angolaise de Lunda Norte et revenir à Kananga le même jour. Hélas, mes successeurs ont d’abord fait de ce projet leur poule aux œufs d’or et l’ont sabordé, sans alternative. Ils l’ont ainsi laissée se dégrader, au grand dam de la province.
M.M . : En réalité, cette route de l’espoir part de la localité rurale de Matamba, située dans le Territoire de Kazumba et non de la ville de Kananga vers Kalamba Mbuji. Mais, pourquoi l’appelle-t-on « Route Kananga-Kalamba Mbuji » ?
A. K.M : Ce projet consistait à construire une route provinciale totalement indépendante de la Nationale N°1 qui passe par la Ville de Kananga et avec laquelle elle fait jonction au niveau de la localité de Matamba. A cet effet, il était prévu la construction d’un deuxième pont sur la rivière Lulua, au niveau de Sanga Nyembwe, dans la commune Katoka, pour que ladite route atteigne Kananga par Tshikaji, dans la commune de Nganza. Vous comprenez donc d’où vient l’appellation « Kananga – Kalamba Mbuji ».
M.M. : Vous êtes donc initiateur de ce projet de par votre Gouvernement. Pourquoi n’aviez-vous pas baptisé cette route en votre nom ? On l’aurait, par exemple, appelée « Route Alex Kande » ?
A.K.M : Cette idée avait été proposée lors d’un Conseil des ministres du Gouvernement provincial. Mais, de par ma nature modeste, je l’avais tout simplement rejetée en mettant beaucoup plus en évidence son caractère utilitaire et les principaux points à relier. Par élégance, je pensais qu’il était de bon aloi de laisser aux autres l’initiative de m’immortaliser éventuellement un jour.
M.M. : Revenons un peu à d’autres projets réalisés sous votre mandat dans la province. Où en étiez-vous avant votre départ de la tête de la province du Kasaï Central ?
A.K.M : Lorsque j’avais pris la décision de me porter candidat Gouverneur de province, aussi bien au Kasaï Occidental qu’au Kasaï Central, j’avais conçu un programme d’action contenant plusieurs projets dont la réalisation devait améliorer tant soit peu les conditions de vie de nos populations. Outre le désenclavement de la province par la construction de la route de Kalamba Mbuji dont nous venons de parler, le portefeuille contenait, entre autres : 1. L’électrification de la ville de Kananga par la construction d’une centrale électrique hybride solaire et thermique déjà réalisée et opérationnelle, la construction des mini barrages hydro-électriques sur les rivières Miao, avec une puissance d’environ 7MW, et Tshibashi, avec près de 3MW, l’augmentation de la puissance de la mini centrale de Tshikaji, dans le cadre des partenariats publics-privés, étant donné que la province ne disposait pas de ressources suffisantes pour réaliser ces différents projets ; 2. Le transport en commun pour lequel la province avait acquis 30 bus. Je dois préciser qu’à mon départ de la province, 15 bus étaient en service et 15 autres étaient entreposés. Par ailleurs, 108 tricycles étaient en instance d’expédition à partir de Kinshasa ; 3. La réhabilitation de 28 Km de la voirie urbaine de Kananga qui avait commencé avec l’agrandissement en 4 bandes de la route menant à l’aéroport à partir du Rond-Point Etoile ; 4. L’asphaltage du deuxième tronçon de la route Kambala reliant les communes de Nganza et de Kananga ; 5. La construction d’une Tribune d’honneur moderne sur la Place de l’Indépendance ; 6. L’aménagement des parcs et parterres embellissant la ville de Kananga ; 7. La réhabilitation complète de la Nationale N°1 vers Mbuji-Mayi, dans son tronçon entre Kananga et le Lac Munkamba. Le montage financier y relatif était déjà bouclé ; 8. La construction de l’Hôtel du Gouvernement à 6 niveaux par la province et d’un Hôtel privé à 5 étoiles dans le cadre d’un partenariat public-privé.
M.M. : A vous entendre parler, vous aviez donc des ambitions nobles. Mais à dire vrai, celles-ci n’étaient pas partagées par les membres de votre coalition Majorité Présidentielle-CAAC, une alliance circonstancielle et à la limite contrenature ?
A. K.M : Le credo de mon combat pour le développement de la province a toujours été celui d’être vrai en politique. Ce combat était axé sur certaines valeurs foncièrement chrétiennes que sont l’honnêteté, la probité, la vérité, le respect de la parole donnée, la moralité, la loyauté, la justice distributive, l’équité et la vertu.
La noblesse de mon combat résidait dans la passion que j’ai toujours eue pour nos provinces. Ma seule ambition était celle de mobiliser indistinctement toutes les filles et tous les fils de la province du Kasaï Occidental, autant que ceux du Kasaï Central par la suite, pour reconstruire ensemble la province et en faire réellement un espace où ses enfants devaient bien et mieux vivre comme avant l’Indépendance, et ce dans la concorde et l’unité. C’est ainsi que j’avais conçu les projets sus indiqués. J’étais convaincu que les miracles étaient possibles. Hélas, l’élan du développement déjà amorcé a été brisé. Il eût des faits délirants qui ont mis au grand jour des comportements retors qui ont tout compromis.
M.M. : Sans le savoir, vous auriez donc déclenché dans le chef de vos partenaires de la coalition une aversion qui a abouti à votre rejet du cercle politique. Point n’est besoin de rappeler que ceux-ci vous ont accusé de tous les péchés d’Israël et ont fini par vous éjecter, vous et votre Gouvernement, par une motion de censure en 2017.
A.K.M : Votre constat sur cette fameuse motion de censure rencontre bien celui de la majorité plurielle de la population centre-kasaïenne. A y regarder de près, cette motion injuste et complaisante était vide.
En effet, comme je l’ai écrit dans mon ouvrage « MA PART DE VERITE », il faut d’abord relever que cette motion de censure a été montée pendant que j’étais, huit mois durant, absent de la province, parce que stratégiquement retenu à Kinshasa alors que, selon moi, je pensais entretenir pendant cette période de bons rapports avec les différents partenaires. Ensuite, par esprit de haine, ceux-ci, tout en montant les enchères, se dressaient contre ma vision du développement et prétextaient que tous les projets qui se réalisaient en province étaient improductifs. Pourtant, tous ces projets ont été relancés avec ferveur et restent à l’ordre du jour. A vrai dire, ils ont combattu lesdits projets parce qu’ils ne voulaient pas les voir achever par Alex Kande, au seul motif que cela pérenniserait davantage son nom au Kasaï Central et consacrerait ainsi leur mort politique. Il fallait, coûte que coûte, arrêter ces projets. Il va donc sans dire que certains opérateurs politiques de la province n’ont pas d’amour pour celle-ci, en dépit du fait qu’ils prétendent avoir à cœur le développement de l’espace du Kasaï Central. En effet, cet espace a été ainsi, des décennies durant, laissé pour compte par la faute de certains de ses fils et filles, friands de la politique politicienne, celle des honneurs et du ventre, faisant fi de la misère indicible de la population. Il fallait innover et donner du tonus à cet espace et c’est, donc, pour cette raison fondamentale que j’avais amorcé ce grand départ afin de mettre le Kasaï Central aux standards réels du progrès.
M.M. : Sous quelles couleurs politiques vous êtes-vous présenté, en ce compris votre parti politique, le CAAC (Congrès des Alliés pour l’Action au Congo), aux dernières élections générales eu égard à la configuration politique du pays ?
A.K.M : Nous avons participé aux élections générales de 2023 sous le label du Regroupement politique dénommé AACPG (Alliance pour l’Avènement d’un Congo Prospère et Grand), membre à part entière de l’USN (Union Sacrée de la Nation, dont le CAAC est co-fondateur. Nous avons également battu campagne pour le Président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo dans la Ville de Kananga. Nous demeurons toujours dans l’USN.
M.M. : Quel est votre mot de la fin ?
A.K.M : Mon mot de la fin vient du cœur. C’est dans l’union des cœurs et d’esprits, et non dans les divisions intestines injustifiées et les querelles byzantines, que doit se bâtir et se consolider un espace dans lequel nous voulons voir s’épanouir tous les Centre-Kasaiens. Ainsi donc, les frères et sœurs du Kasaï Central doivent être réellement soudés et ils sont appelés à s’aimer. S’aimer, je le précise, c’est surtout offrir à son prochain ce brin de bonheur qui le transforme et le rend heureux. C’est donc cette cure de jouvence indispensable à laquelle je nous convie pour éviter ce pessimisme et ce fatalisme dépravants qui nous caractérisent souvent. Je nous invite à intérioriser cette culture de reconnaître les mérites des autres et, surtout, à ne pas falsifier notre Histoire. Nous devons, par-dessus tout, aimer notre province et lui donner le meilleur de nous-mêmes.
Propos recueillis par Moïse Musangana