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Fidèle à sa tradition, l'Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la Paix et le Développement en Afrique (IDGPA) a commémoré, ce mardi 18 février 2025, le 19ème anniversaire de la Constitution de la RDC au cours d'une conférence scientifique organisée à la faculté de Droit de l'Université de Kinshasa sous le thème : « L'agression rwandaise de la RD Congo, la Constitution et la réponse de la Communauté internationale ».
Deux conférences ont été données à cette occasion, respectivement par le professeur André Mbata, directeur exécutif de ce centre de recherche, et le professeur Placide Mabaka, professeur de droit engagé sur les questions de la République démocratique du Congo.
Dans son intervention, le professeur André Mbata a indiqué que la Constitution congolaise du 18 février 2006, telle que modifiée en 2011, prévoit une réponse précise à la problématique de l'agression que subit actuellement le pays.
Selon lui, l'article 63, alinéa premier, de cette Loi mère impose à tout Congolais, sans distinction aucune, le devoir « sacré » de défendre la patrie dans ces circonstances.
« Lorsque vous lisez l'article 63 de la Constitution, il nous permet de réagir à l'agression. Il nous parle d'un droit qui est sacré. L'article 63 institue un devoir et un droit sacré. Le mot sacré ne se retrouve pas plus de 5 fois dans cette Constitution. Voilà l'une des rares fois où le mot sacré se retrouve dans la Constitution. Cet article dit que tout Congolais a le droit et le devoir sacré de défendre le pays et son intégrité territoriale face à une menace ou une agression extérieure. Dans le cas du Rwanda, il ne s'agit pas de menace, mais d'une agression extérieure », a souligné le professeur André Mbata.
Il a saisi cette occasion pour saluer les manifestations pacifiques menées par les Congolais de la diaspora pour dénoncer l'agression rwandaise. Il a souligné que cela rentre dans la droite ligne de l'article 63 de la Constitution.
« En ce moment où nous commémorons le 19ème anniversaire de la Constitution, nous voudrions rappeler à la nation toute entière, à toute Congolaise et à tout Congolais, qu'il soit à l'intérieur du pays ou dans la diaspora, que la défense de la patrie est un devoir sacré. Je voudrais ici saluer les Congolais qui ont marché à La Haye, devant la Cour internationale de justice, à Bruxelles, à Paris, à Genève, à Londres, en Russie, au Canada, aux États-Unis, à Pretoria en Afrique du Sud... Nous avons tous ce devoir sacré. C'est la patrie qui nous unit. Ici, il n'y a pas de parti politique, pas de divergences ethniques et tribales », a-t-il martelé.
Parlant du retard pris par la RDC pour déclarer officiellement la guerre au Rwanda, ce constitutionnaliste a souligné que le problème n'est pas le président de la République. Le problème, d'après ses mots, c'est le Parlement qui doit donner son autorisation conformément à l'article 86 de la Constitution.
« Le concept de guerre apparaît une seule fois dans la Constitution. Et c'est à l'article 86. C'est l'unique fois où on parle de la guerre en droit constitutionnel congolais. Les compatriotes se posent la question, pourquoi est-ce qu'on ne déclare pas la guerre au Rwanda ? C'est parce qu'il y a une condition à remplir. Il faut une autorisation du Parlement. L'avis du Conseil supérieur de la Défense, on peut l'obtenir facilement. Donc, il ne faut pas trop s'en prendre beaucoup au président de la République. Parce qu'en amont, il faut l'autorisation du Parlement. Je crois que nous devons tendre vers là », a-t-il indiqué.
Pour le professeur Mbata, des moments comme celui-ci devraient pousser davantage à la réflexion sur la Constitution, notamment sur la nécessité de modifier un tel article pour éviter qu'en cas d'urgence, le président ne soit pas obligé d'attendre une quelconque autorisation du Parlement pour déclarer la guerre à un État qui agresse la RDC.
Dans la même veine, il a fait remarquer que le contexte actuel devrait aussi faire réfléchir sur l'opportunité de réfléchir sur la révision de l'article 63, alinéa 2, de la Constitution afin de rendre le service militaire, non pas une option, mais plutôt une obligation.
« Lorsque le président a lancé une réflexion sur la révision de la Constitution, ça allait dans tous les sens alors qu'il ne s'agissait que de la réflexion. L'agression rwandaise ne peut pas nous empêcher de réfléchir nous universitaires. C'est d'ailleurs pendant la guerre qu'on réfléchit le plus. Des temps comme ça devraient pousser à une réflexion supplémentaire sur la Constitution. Si l'article 63 nous parle du service militaire qui peut être instauré. Dans une relecture de la Constitution, on peut dire non. Enlevez-nous le 'peut' là. Le service militaire doit être obligatoire », a-t-il martelé.
Le professeur André Mbata a, par ailleurs, fait remarquer qu'en nommant le gouverneur et le vice-gouverneur du Nord-Kivu, Corneille Nangaa et sa bande sont en train de déchirer la Constitution et de toucher à l'essence même d'un État, sa souveraineté.
« Nangaa et les autres ont déchiré la Constitution. On voudrait voir tous ceux qui étaient très actifs lorsqu'on parlait de la réflexion sur la Constitution. On voudrait les voir sur les réseaux sociaux. Nangaa a nommé un gouverneur et un vice-gouverneur au Nord-Kivu sur la base de quel acte ? La Constitution est déchirée par ces voyous et ces délinquants. Où sont les défenseurs de la Constitution sur TikTok ? On veut faire ceci, nous sommes contre cela. On a même vu certains applaudir Nangaa à Goma. Ils applaudissent quelqu'un qui déchire la Constitution. Où sont ceux qui prétendaient la défendre ? Et ceux qui nous empêchaient la réflexion, on les a vus tout souriants avec Nangaa qui marche sur la Constitution », a-t-il déploré.
Pour ce scientifique, le dialogue tant prôné par les évêques ne va aboutir qu'au partage du cadeau au détriment des intérêts du peuple congolais. Dans ce contexte précis, a-t-il insisté, les vrais Congolais devraient, à la place, défendre la patrie conformément à l'article 63, alinéa premier, de la Constitution
« Parce qu'on parle de la cohésion nationale, de pacte social, personne ne s'oppose à une cohésion sociale. Mais quel est l'aboutissement ? Nous n'allons pas nous asseoir autour d'une table pour boire du café. Je vais vous dire : moi je veux l'armée. L'autre va dire laissez-moi gouverner pendant 5 ans le Nord et le Sud-Kivu. Ou bien donnez-nous le ministère de la Défense. Quel est ce Congolais qui est prêt à accepter ça ? Voilà de quoi il s'agit. Cohésion nationale oui, mais au finish qu'est-ce qu'il y a », s'est-il interrogé.
Analysant la réaction de la communauté internationale face à l'agression rwandaise, le professeur Placide Mabaka estime qu'elle est décevante. Il pense que face à la barbarie ostentatoire du Rwanda, on devrait passer à des mesures fortes.
Pour sa part, le professeur Mbata a partagé cet avis. Il estime, cependant, que les Congolais devraient aussi se réjouir des avancées que le pays a réalisées sur le front diplomatique sous l'ère du président Félix Tshisekedi. Il rappelle que, sous l'ancien régime, on ne pouvait pas pointer le Rwanda comme pays agresseur. Chose qui est aisée aujourd'hui, dans tous les forums internationaux, a conclu le professeur André Mbata.
ODN