
En mi-novembre dernier, alors que la crise sécuritaire liée au M23 s'enlisait dans le pays, 12 délégués congolais, dont 9 députés nationaux, porteurs du message de Félix-Antoine Tshisekedi, ont rencontré des officiels ougandais à Kampala lors d'une mission parlementaire visant à raffermir les relations bilatérales entre les 2 États.
Après avoir échangé avec Anita Annet, présidente du Parlement ougandais, ainsi qu'avec Jeje Odongo, ministre des Affaires étrangères, la délégation congolaise conduite par Lambert Omalanga, élu du Sankuru, avait également rencontré le président ougandais pour discuter de la situation en République démocratique du Congo.
Le lundi 21 avril dernier, l'un des délégués congolais s'est exclusivement confié à 7SUR7.CD et est revenu sur les grands sujets abordés pendant environ 2h avec Yoweri Museveni : la guerre du M23, la mutualisation des forces contre les ADF, l'arrestation des pêcheurs sur les lacs Édouard et Albert, la désapprobation du mandat de l'EAC par Kinshasa, le soutien du régime de Kampala à l'AFDL de Laurent-Désiré Kabila, etc.
Au leader ougandais, les représentants de la République démocratique du Congo avaient transmis les remerciements de Félix Tshisekedi pour le soutien que Kampala apporte dans la neutralisation des ADF ainsi que la contribution ougandaise pour la construction de l'axe routier Kasindi-Beni-Butembo, dans le Nord-Kivu.
En effet, depuis fin novembre 2021, les troupes ougandaises combattent au côté des soldats congolais pour mettre fin à l'activisme des terroristes ADF, responsables de plusieurs milliers des morts dans le Nord-Kivu et l'Ituri.
Même si les djihadistes sont restés cruels et endeuillent encore de nombreux villages, certaines avancées sont à mettre à l'actif des opérations conjointes dans la contrée, à en juger par les témoignages des ressortissants des entités jadis sous emprise des ADF.
Au sujet du projet de modernisation de la route Kasindi-Beni-Butembo, long de quelque 140 kms, Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni avaient lancé les travaux en juin 2021 afin d'ouvrir, avait-on indiqué, la porte de la RDC à l'Afrique de l'Est et de l'Océan Indien. Les travaux sont exécutés par Dott service, une entreprise indienne basée en Ouganda et devraient requérir 40% de la main d'œuvre ougandaise contre 60% de celle congolaise.
"Le message de Félix Tshisekedi était que l'Ouganda devrait appuyer la RDC, pas seulement contre les ADF mais aussi contre tous les autres groupes armés, notamment le M23 suite à son avancée en territoire congolais. Il lui a été demandé, en tant que vieux dans la région, grâce à son expérience, de voir comment aider le Congo pour en finir", confie notre source.
Yoweri Museveni, fin connaisseur du Congo ?
Au pouvoir à Kampala depuis 1986, le président ougandais a été témoin des régimes, qui se sont succédé au Congo et des crises, notamment sécuritaires, qui ont déchiré le pays ces dernières décennies.
À en croire la même source, en présence des délégués congolais, Yoweri Museveni a brossé l'histoire de la RDC depuis l'indépendance en citant les acteurs impliqués et en évoquant des événements, qui ont entouré les différents pouvoirs.
Il s'est alors particulièrement montré très hostile contre Mobutu, qu'il accuse d'avoir participé à l'assassinat de Lumumba. Yoweri Museveni justifie d'ailleurs son parrainage de la rébellion AFDL de Laurent-Désiré Kabila, entre 1996 et 1997, par son souci de venger le héros national congolais assassiné en 1961, dont il était ami après leur rencontre à l'Institut de leadership à Nairobi au Kenya.
"Il connaît beaucoup de choses sur le Congo. D'ailleurs, il parlait avec Lambert Mende en kiteteka. Cela m'avait surpris. Il avait dit qu'il n'avait jamais pardonné à Mobutu. C'est pourquoi il avait soutenu l'AFDL pour mettre fin à ce régime. Il avait dit que Lumumba était son ami, qu'ils s'étaient rencontrés à Nairobi, même si lui était moins âgé que Lumumba", a indiqué notre interviewé.
Cependant, renchérit la même source, le président ougandais a accusé les citoyens congolais d'être en partie responsables de leur malheur et des crises répétitives, qui secouent la RDC.
"Il avait dit que les Congolais n'aiment pas leur pays. Il les avait exhortés de l'aimer et d'avoir une idéologie forte s'ils veulent que la situation change au Congo", rapporte-t-on.
Par ailleurs, il a pointé d'un doigt accusateur les ressortissants de l'Ouest du pays de se montrer toujours complaisants quant à la question sécuritaire de l'Est en évitant d'en faire une préoccupation nationale.
Négocier avec le M23 à tout prix
À la demande de Félix Tshisekedi d'obtenir un appui de Kampala dans la neutralisation des groupes armés, le président ougandais s'est montré réceptif, précise-t-on.
Toutefois, Yoweri Museveni a souligné l'écart sur le plan opérationnel entre les ADF et le M23 qui mènent une guerre asymétrique pour l'un, et conventionnelle, pour l'autre.
Bien que disposé à maintenir son soutien à la RDC pour mettre fin aux velléités du terrorisme dans le Nord-Kivu et l'Ituri, à l'instar de ses pairs sous-régionaux, le chef de l'État ougandais avait exhorté la partie congolaise à engager des pourparlers directs avec le M23, qu'il considère comme un groupe armé congolais, qui s'est fait des alliés, notamment rwandais.
Il a estimé qu'en dépit de l'option militaire constamment défendue par le gouvernement congolais, la RDC devrait envisager des pourparlers avec la rébellion pour résoudre la crise, arguant que seules les armes n'allaient apporter la paix.
"Pour Museveni, le M23 est un groupe armé congolais. Il dit que même Félix Tshisekedi l'a toujours reconnu dans leurs forums des chefs d'Etat même s'il a toujours affirmé que le M23 est soutenu par le Rwanda. Alors, pour lui, Félix Tshisekedi devrait extraire les Congolais du mouvement et leur parler", explique notre source.
Au début très hermétique sur cet aspect, le rappelons-nous, Kinshasa a finalement accepté des pourparlers avec la rébellion sous la facilitation de l'émir qatari Tamin bin Hamad.
La solution est au sein de l'EAC
Alors que sur le terrain, l'option militaire montrait de plus en plus ses limites du côté congolais et que la voie diplomatique semblait dans l'impasse, Yoweri Museveni avait reproché à Félix Tshisekedi de s'être détourné de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC).
En effet, fin 2022, sur demande de Kinshasa, les troupes est-africaines s'étaient déployées dans le Nord-Kivu afin d'appuyer les FARDC à mettre fin à l'activisme du M23, qui avait réussi à s'emparer des pans entiers du territoire congolais dans le Rutshuru (Nord-Kivu) à ce temps-là.
Venus officiellement avec un mandat offensif, les contingents de l'EAC s'étaient par la suite résolus de ne pas attaquer les rebelles, mais de constituer une zone tampon entre les belligérants. Déçu de leur service, Félix Tshisekedi les avait sommés de quitter le pays en faveur de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
Mais, pour Yoweri Museveni, la décision de Kinshasa était une erreur. À l’en croire, la solution à la crise du M23 est à trouver au sein de la Communauté est-africaine et nulle part ailleurs.
Une position tranchée alors que les officiels congolais, y compris d'autres acteurs, accusent des États de l'EAC, notamment le Rwanda et l'Ouganda, voire le Kenya, de parrainer le M23.
"Pour lui, la grosse erreur que la RDC avait faite était de chasser l'EAC, parce que selon lui, les pays de l'EAC sont les plus proches du problème", a affirmé l'un des délégués congolais.
Début avril 2022, la RDC rejoignait la Communauté de l'Afrique de l'Est en vue de consolider les rapports diplomatiques avec les États membres, surtout pour faciliter la libre circulation des biens et des personnes dans la sous-région. L'enjeu sécuritaire dans l'Est avait certainement aussi guidé Félix Tshisekedi à solliciter cette adhésion, même si un an seulement après, Kinshasa a semblé prendre des distances avec l'organisation.
Un autre sujet abordé avec le président ougandais portait sur les arrestations, de part et d'autre, des pêcheurs ougandais et, surtout, congolais sur les lacs Édouard et Albert par les forces marines respectives.
Les 2 interlocuteurs avaient alors déploré les violations des limites lacustres et avaient convenu de la nécessité de maintenir une gestion bilatérale harmonieuse pour surmonter la situation.
En plus de Lambert Mende, chef de file, les députés du Nord-Kivu Carly Kasivita, Maguy Rwakabuba et Mbusa Machozi ou encore ceux de l'Ituri Iracan Gratien de Saint-Nicolas, Byaruhanga Utike, Ndjabu Floribert, Draza Atsule Jean-Claude ainsi que Bakabi Abusa Emmanuel du Haut-Uélé faisaient partie de cette délégation, qui a séjourné à Kampala du 12 au 18 novembre 2024.
D'autres personnalités présentes lors des échanges étaient Ngalu Kalala (le chargé d'affaires congolais en poste à Kampala), Muhozi Richie (agent à l'Assemblée nationale, proche de Vital Kamerhe) et Cyrille Mbugheki (ressortissant congolais ayant des entrées à la présidence ougandaise).
Isaac Kisatiro, à Butembo