T/ Quelle réponse stratégique au danger du discours séditieux de Kabila du 23 mai 2025 ?
Au-delà de la réaction spontanée, quelle réponse stratégique au danger subliminal du discours séditieux de Joseph Kabila du 23 mai 2025 ?
La culture comme levier de la résistance patriotique contre la balkanisation, moteur de l’affirmation de l’identité congolaise et de la consolidation de l’unité nationale menacée.
« Une Vision Stratégique Culturelle pour la République Démocratique du Congo »
Professeur IYOKA OTANGELA-N’Kumu Jean-Bedel
Docteur en Sciences Politiques, diplômé du Collège des Hautes Etudes de Stratégies et de Défense, Expert national en politiques culturelles et management des institutions culturelles, Conservateur des archives.
RESUME EXECUTIF
Il est incontestable que la dynamique du renversement de narratif sur la République Démocratique du Congo a été clairement amorcée depuis la prise de fonction par Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, en 2019. Cette dynamique, qui s’appuie fondamentalement jusque-là sur deux leviers, l’un diplomatique, l’autre communicationnel, donnent des résultats perceptibles aujourd’hui.
Au demeurant, il est essentiel de noter que pour que ces accomplissements, certes tangibles aujourd’hui, soient cristallisés aux fins d’infléchir durablement les défis existentiels auxquels est confronté la nation depuis trois décennies, il faut que l’Etat congolais opérationnalise à sa juste valeur le levier culturel ; le seul susceptible d’assurer l’amplification et l’appropriation populaire pérenne de l’ensemble des acquis réalisés et à réaliser.
En effet, la culture, définie comme « l'essence de l'identité d’une nation », constitue un atout stratégique insuffisamment exploité par la République Démocratique du Congo face aux tentatives tant internes qu’externes de sa déstabilisation et de sa balkanisation.
Face aux défis géopolitiques majeurs auxquels fait face la République Démocratique du Congo, notamment l’agression du Rwanda, l'instabilité récurrente dans l'est du pays et les divisions internes davantage exacerbées par les déclarations séditieuses de l'ancien président Joseph KABILA, une réponse stratégique d'envergure s'impose.
Cette réponse stratégique est une vision qui propose d'utiliser la richesse culturelle exceptionnelle du Congo, incarnée par le dynamisme remarquable des Congolais, son patrimoine artistique reconnu mondialement, ainsi que sa diversité linguistique vivifiant les 450 groupes ethniques, comme un levier fondamental de résistance patriotique et de consolidation de l'unité nationale. Cela, en même temps que cette richesse et ce dynamisme culturels sont susceptible de constituer un moteur économique de premier ordre.
La vision que nous proposons s'articule autour de trois piliers fondamentaux :
- La réaffirmation de l'identité congolaise authentique ;
- La mobilisation culturelle pour la cohésion sociale ;
- La projection de la « puissance douce » ou « soft power » congolaise sur la scène internationale.
Elle fonde sa base juridique sur l’article 5 de l’Ordonnance-loi n° 25/030 du 12 mars 2025 portant principaux fondamentaux relatifs à la culture et aux arts en République Démocratique du Congo qui stipule à juste titre, notamment, que : « le domaine culturel relève de la souveraineté nationale », qu’en conséquence : « la mise en œuvre de l’action culturelle est une priorité nationale. »
CONTEXTUALISATION ET ENJEU DE LA VISION
La République Démocratique du Congo traverse une période critique de son histoire contemporaine. La prise des villes de Goma et de Bukavu par le mouvement M23, soutenu par 3.000 à 4.000 soldats Rwandais selon les rapports des Nations Unies, a marqué une escalade sans précédent dans le conflit qui déchire le pays depuis trois décennies. Cette situation, unanimement condamnée par le Conseil de sécurité de l'ONU dans sa résolution 2773 adoptée le 21 février 2025, révèle l'ampleur de la menace qui pèse sur l'intégrité territoriale et la souveraineté congolaise.
Dans ce contexte déjà fragile, les déclarations de l'ancien président Joseph KABILA du 23 mai 2025 ont introduit une nouvelle dimension de crise. En dénonçant une « dictature » à Kinshasa et en s’installant quelques jours heures après son annonce à Goma, une ville contrôlée par le M23, KABILA a franchi une ligne rouge qui lève tout doute sur sa trahison et sa complicité avec les forces d'agression. Ces accusations, étayées par des témoignages sur ses contacts avec les dirigeants du M23, révèlent l'existence d'une stratégie de déstabilisation interne qui donne appui à l'agression externe.
Cette double menace, externe et interne, met en lumière la fragilité de l'unité nationale congolaise. Le pays, qui abrite plus de 450 groupes ethniques, fait face à un défi existentiel. Ce défi nous impose une préoccupation légitime : « comment préserver la cohésion de la nation face aux tentatives de balkanisation et aux divisions instrumentalisées par les forces hostiles ? »
L'analyse des déclarations de KABILA révèle une stratégie délibérée de démobilisation de l'élan patriotique. En remettant en question la légitimité des institutions légitimes dont il était censé représenter une caution vivante nonobstant leurs faiblesses, et en adoptant une posture conciliante envers le M23 mais bien pire, avec le Rwanda, l'ancien président contribue objectivement à affaiblir la résistance nationale face à l'agression rwandaise. Cette situation illustre parfaitement le paradigme établi par Amilcar CABRAL sur le rôle de la culture dans les processus de libération : « la résistance culturelle est la base de l'affirmation de l'humanité des gens et de la lutte pour la liberté », affirmait-il.
LA CULTURE COMME REPONSE STRATEGIQUE
Face à ces défis, nous nous convaincus que la culture congolaise émerge comme un levier stratégique fondamental.
Comparativement aux réponses purement militaires ou diplomatiques, l'approche culturelle offre trois avantages décisifs :
- Elle s'appuie sur la richesse exceptionnelle du patrimoine congolais, reconnu internationalement, notamment à travers la rumba congolaise, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2021 ;
- Elle permet de mobiliser l'ensemble des 450 groupes ethniques autour d'une identité commune transcendant les particularismes locaux ;
- Elle offre une alternative positive aux discours de division et de haine véhiculés par les forces de déstabilisation, dont Joseph KABILA s’est révélé être une porte-voix très audible.
La pertinence de notre approche trouve sa validation dans l'expérience historique des mouvements de libération africains. Comme l'a démontré Cabral dans le contexte de la Guinée-Bissau, « la culture n'est pas un artéfact esthétique, mais une expression de l'histoire, le fondement de la libération et un moyen de résister à la domination ».
OPPORTUNITES ET POTENTIEL DE TRANSFORMATION DE LA CULTURE
En dépit de nombreux auxquels est confrontée la culture congolaise, une analyse froide révèle également des opportunités significatives qui peuvent être mobilisées dans le cadre d'une stratégie culturelle ambitieuse. Ces opportunités peuvent globalement être résumées à trois :
1. Un dynamisme notable de la création contemporaine
La vitalité de la création culturelle contemporaine congolaise constitue un atout majeur. Des initiatives comme « Kinshasa Mboka ya Masano », événement de mode qui célèbre les 450 ethnies du pays, démontrent la capacité des acteurs culturels à innover tout en valorisant l'héritage traditionnel. Cette approche, qui consiste à « rendre hommage aux 450 ethnies de la RDC » à travers la mode contemporaine, illustre parfaitement le potentiel de synthèse entre tradition et modernité. Il en est de même de trois mécanismes de promotion culturelle institués dans l’Ordonnance-loi n° 25/020 du 12 mars 2025. Il s’agit de : l’organisation et la célébration rotative à la travers le pays de la journée nationale de la culture (article 24), l’institution et l’organisation de l’Action Culturelle de Base au sein des ETD (Article 25) et l’organisation de la coopération culturelle (article 33), ouvrant la voie à la création des Instituts ou Centres Culturels Congolais à l’étranger.
En outre, la créativité des jeunes artistes congolais, leur capacité à s'approprier les nouvelles technologies et leur ouverture sur le monde constituent un fort potentiel de ressources précieuses pour garantir une expression culturelle nationale résiliente.
Cette dynamique créative peut être canalisée vers des objectifs de cohésion nationale et de résistance culturelle, d’une part et vers des objectifs économiques très productifs, d’autre part.
2. Une reconnaissance internationale croissante
La reconnaissance internationale croissante de la culture congolaise offre des opportunités exceptionnelles de rayonnement et d'influence. L'inscription de la rumba congolaise au patrimoine de l'UNESCO constitue un précédent qui peut être étendu à d'autres expressions culturelles nationales. Cette reconnaissance internationale confère au Congo une légitimité culturelle qui peut être mobilisée dans les relations diplomatiques et les échanges internationaux.
La diaspora congolaise, aujourd’hui à sa troisième génération, de plus en plus dense et présente sur tous les continents, constitue un vecteur solide de diffusion culturelle et d'influence douce. Cette diaspora joue déjà et peut continuer de jouer un rôle crucial dans la promotion de l'image du Congo et dans la mobilisation du soutien international face aux agressions externes. A cet égard, l’impact symbolique du « concert solidarité Congo » en avril 2025 dernier est la juste démonstration de cet atout stratégique clé.
Il faut saluer à cet effet la perspicacité de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO lorsqu’il a nommé Ambassadeurs de la Culture congolaise quelques-uns de ces figures culturelles congolaise, parmi les artistes internationaux de première ordre. Au demeurant, une stratégie globale à cet égard doit être développée et mise en œuvre pour des objectifs de résultats plus ambitieux. Dans cette perspective, des indicateurs de performance, des délais de mise en œuvre et des ressources y afférentes nécessaires seront fixés.
3. Un potentiel de mobilisation populaire implacable
La culture congolaise possède un potentiel exceptionnel de mobilisation populaire. La capacité de la musique congolaise à rassembler les foules, à transcender les clivages ethniques et régionaux, et à créer un sentiment d'appartenance commune constitue un atout stratégique majeur. Cette capacité de mobilisation, déjà exploitée, devrait davantage être orientée vers des objectifs de résistance patriotique et de consolidation de l'unité nationale.
Au-delà de la musique, trois autres éléments culturels congolais sont essentiels dans la dynamique de résistance nationale. Il s’agit, d’une part, du sentiment de fierté identitaire nationale, acquis intangible la deuxième république, certes en essoufflement, mais dont les survivances demeurent évidentes. D’autre part, il s’agit des savoirs ancestraux et des valeurs cosmogoniques, socle du pouvoir des autorités traditionnelles, légataires légitimes de la préservation de cette identité légendaire. Enfin, il s’agit de l’héritage des mouvements religieux messianiques, dont l’Eglise Kimbanguiste constitue la manifestation la plus évidente et dont le déploiement extraterritorial et international, en fait un levier patrimonial substantiel.
L'attachement profond des populations à leurs traditions culturelles nonobstant les pressions de la modernisation témoigne de la résilience de l'identité culturelle congolaise. Cette résilience constitue un socle solide sur lequel peut s'appuyer une stratégie de résistance culturelle face aux tentatives de déstabilisation.
Ces quatre dimensions, coordonnés dans la mise en œuvre d’une vision stratégique nationale culturelle, représentent de manière incontestable un levier stratégique de premier ordre pour, à la foi organiser la résistance nationale, mais surtout, structurer la projection stratégique de la renaissance de la nation.
PRINCIPES DIRECTEURS DE NOTRE VISION STRATEGIQUE
A. Énoncé de la Vision
« Faire de la culture congolaise le socle inébranlable de l'unité nationale menacée, le levier de la résistance patriotique face aux tentatives de balkanisation, le moteur de la résilience de la nation, en mobilisant la richesse exceptionnelle des 450 groupes ethniques pour forger une identité congolaise moderne, inclusive et rayonnante sur la scène internationale »
Cette vision s'articule autour de trois dimensions complémentaires qui forment un ensemble cohérent et opérationnel :
- Dimension défensive : La culture comme bouclier contre les tentatives de déstabilisation et de division ;
- Dimension constructive : La culture comme ciment de l'unité nationale et de la cohésion sociale ;
- Dimension projective : La culture comme vecteur de rayonnement international et d'influence géopolitique.
B. Objectifs stratégiques
La vision stratégique que nous proposons s’assigne trois objectifs : le renforcement de la cohésion nationale, la consolidation de la résistance patriotique, le développement du rayonnement international du pays à la faveur du soft power culturel à développer.
1. Objectif de cohésion nationale
Le premier objectif stratégique vise à faire de la culture un instrument privilégié de cohésion nationale.
Cet objectif se décline en trois sous-objectifs opérationnels :
1) Le renforcement de l'identité nationale commune : Développer un sentiment d'appartenance partagé qui transcende les particularismes ethniques, régionaux et linguistiques. Cette identité commune doit s'appuyer sur les valeurs et les références culturelles partagées tout en respectant et en valorisant la diversité locale.
2) La promotion du dialogue interculturel : Créer des espaces et des mécanismes de dialogue entre les différents groupes culturels pour favoriser la compréhension mutuelle et prévenir les conflits intercommunautaires. Ces espaces de dialogue doivent permettre l'échange des savoirs, des pratiques et des visions du monde.
3) Le développement d'une citoyenneté culturelle : Former des citoyens conscients de la richesse de leur patrimoine culturel et capables de le défendre face aux agressions externes. Cette citoyenneté culturelle implique une connaissance approfondie de l'histoire et des traditions nationales ainsi qu'une capacité critique face aux tentatives de manipulation.
2. Objectif de résistance patriotique
Le deuxième objectif stratégique concerne la mobilisation de la culture comme instrument de résistance face aux tentatives de déstabilisation.
Cet objectif comporte également trois sous-objectifs, qui sont :
1) L’immunisation contre les discours de haine et de division : Développer les capacités de résistance des populations face aux narratifs de haine et de division véhiculés par les forces hostiles. Cette immunisation doit s'appuyer sur la promotion de valeurs culturelles positives et rassembleuses.
2) La mobilisation de l'élan patriotique : Utiliser les expressions culturelles pour renforcer l'attachement à la patrie et la volonté de défendre l'intégrité territoriale. Cette mobilisation doit s'appuyer sur les symboles, les récits et les pratiques culturelles qui expriment l'amour de la patrie.
3) La contre-offensive narrative : Développer une capacité de production de contenus culturels qui contrent efficacement les tentatives de désinformation et de manipulation. Cette contre-offensive doit utiliser tous les canaux de diffusion culturelle pour promouvoir une vision positive et unificatrice du Congo.
3. Objectif de rayonnement international
Le troisième objectif stratégique vise à utiliser la culture comme instrument de rayonnement international et d'influence géopolitique. Ses sous-objectifs opérationnels sont :
1) La promotion de l'image du Congo : Modifier les perceptions internationales du Congo en mettant en avant sa richesse culturelle et sa créativité. Cette promotion doit s'appuyer sur les réseaux culturels internationaux et la diaspora congolaise.
2) Le développement de partenariats culturels : Établir des relations privilégiées avec d'autres pays et organisations internationales à travers la coopération culturelle. Ces partenariats peuvent contribuer à renforcer la position diplomatique du Congo.
3) L’influence géopolitique : Utiliser la puissance douce culturelle pour influencer les décisions internationales en faveur du Congo, notamment dans les instances multilatérales et les organisations régionales.
Pour atteindre ces trois objectifs stratégiques, la vision que nous proposons se fonde sur cinq principes de mise en œuvre. La mise en œuvre de la vision s’articule sur quatre principaux axes d’intervention.
Les quatre axes stratégiques pourront être opérationnalisés sur la base de quatre recommandations qui ressortent des projets et initiatives concrètes permettant de matérialiser la vision.
L’ensemble de ces aspects sont détaillés dans le document intégral, déjà élaboré, que nous nous disposons de fournir aux Autorités si nos indications préliminaires retiennent leur attention.
CONCLUSION
L’élaboration de cette stratégie traduit notre interpellation citoyenne qui se fonde sur l’idée que l'urgence de la situation géopolitique actuelle ne doit pas conduire à négliger la dimension culturelle de la réponse stratégique. Au contraire, l’urgence sécuritaire à laquelle le Congo est confrontée doit inciter à accélérer la mise en œuvre de cette vision pour mobiliser rapidement toutes les ressources spirituelles et identitaires du peuple congolais face aux défis existentiels auxquels le pays est confronté.
Nous sommes convaincus que la mise en œuvre et le succès de cette stratégie culturelle va, non seulement contribuer à préserver l'unité et la souveraineté du Congo, mais aussi servir de modèle pour d'autres pays africains confrontés à des défis similaires, en ce moment précis où la République Démocratique du Congo exerce, qui plus est, un mandat au Conseil de Sécurité des Nations Unies. En démontrant que la diversité culturelle peut être un facteur de force plutôt que de faiblesse, le Congo peut contribuer à renouveler les approches de construction nationale en Afrique.
La culture congolaise, « essence de l'identité nationale », peut et doit devenir le socle inébranlable sur lequel se construira la résistance patriotique et se consolidera l'unité nationale. Cette transformation de la richesse culturelle en force géopolitique doit constituer l'enjeu majeur des années à venir pour la République Démocratique du Congo.
Fait à Kinshasa, le 06 juin 2025
Professeur IYOKA OTANGELA-N’kumu Jean-Bedel