Diplomatie de couloir : Genèse, définition et portée d’un outil diplomatique alternatif en Afrique [ Tribune ]

Mardi 8 juillet 2025 - 14:47
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Par Éric Kamba
Chercheur indépendant en relations internationales Fondateur du concept de diplomatie de couloir Fondateur du think tank CADA – Congo Action pour la Diplomatie Agissante.

Résumé:

Cet article présente pour la première fois de manière théorique et pratique le concept de diplomatie de couloir, également appelée diplomatie de coulisse, que j’ai élaboré et utilisé dans mes travaux sur la diplomatie parallèle. Ce modèle s’inscrit dans la tradition de la diplomatie informelle, mais en réactualise la portée dans les contextes de crise prolongée, de faillite institutionnelle et de pluralité d’acteurs non-étatiques.

Le concept est né de la pratique, enrichi par l’observation, et aujourd’hui proposé comme cadre d’analyse et d’action pour les chercheurs, diplomates alternatifs et acteurs de la société civile.

À travers une réflexion critique sur le cas de la République Démocratique du Congo (RDC), l’article démontre comment cette diplomatie de couloir peut devenir un levier d’influence, de plaidoyer et de transformation dans les relations internationales.

1. Introduction : Au-delà des chancelleries, l’émergence d’un nouvel espace diplomatique
La diplomatie, longtemps monopole exclusif des États, a vu son champ se transformer au cours des dernières décennies. Aux côtés de la diplomatie officielle se sont développées des pratiques moins visibles, mais parfois plus efficaces : dialogues interreligieux, initiatives citoyennes, médiations discrètes, négociations informelles. Si ces pratiques ont été souvent regroupées sous l’étiquette de « diplomatie parallèle » ou « informelle », elles manquent encore d’outils conceptuels adaptés à leur diversité.
C’est dans ce vide théorique que s’inscrit le présent article, en proposant un nouveau concept : la diplomatie de couloir — que je définis comme un ensemble d’actions discrètes, opportunes et non-institutionnelles menées dans les marges du pouvoir diplomatique pour influencer les décisions majeures.

2. Genèse d’un concept enraciné dans la pratique
Le concept de diplomatie de couloir a émergé progressivement à partir de mon expérience personnelle d'engagement pour la paix, la dignité et les droits humains en République Démocratique du Congo et dans la diaspora congolaise aux États-Unis. Dès 2016, à travers l’organisation CADA (Congo Action pour la Diplomatie Agissante), nous avons mené plusieurs actions de plaidoyer en dehors des canaux gouvernementaux classiques, notamment :
• Des rencontres avec des sénateurs américains pour dénoncer l’embargo sur les armes contre la RDC ;
• Des entretiens avec des diplomates et think tanks pour repositionner la RDC comme pays en guerre nécessitant des soutiens spécifiques ;
• Des interventions ciblées lors de forums internationaux (ex : Sommet USA-Afrique, forums religieux, conférences à l’ONU) pour sensibiliser sur les enjeux du conflit dans l’Est du pays.
Ces initiatives ont toutes été conduites dans les « couloirs » du pouvoir mondial, là où les grandes décisions se négocient à l’ombre des micros, là où se forgent parfois des consensus déterminants.

3. Définition et caractéristiques de la diplomatie de couloir
Je propose de définir la diplomatie de couloir comme suit :
Une forme de diplomatie discrète, transversale et opportuniste, exercée par des acteurs étatiques ou non-étatiques, dans des espaces non-officiels mais stratégiques (couloirs de conférences, hôtels diplomatiques, forums transnationaux), dans le but d’influencer, orienter ou soutenir des décisions majeures en matière de paix, de droits humains ou de développement.
Ses principales caractéristiques sont :
• L’informalité stratégique : elle ne remplace pas la diplomatie classique, mais en comble les lacunes ;
• La mobilité des acteurs : diaspora, leaders religieux, ONG, intellectuels, diplomates retraités, etc. ;
• La temporalité spécifique : elle se déploie souvent en amont ou en marge des grands événements diplomatiques ;
• La force du lien humain : elle mise sur la confiance, l’écoute et l’intimité relationnelle ;
• La visée transformative : elle ambitionne de modifier les rapports de pouvoir ou les priorités politiques.

4. Enracinement théorique et distinction d’avec d’autres formes de diplomatie
La diplomatie de couloir s’inscrit dans la lignée :
• De la track II diplomacy, qui implique des acteurs non-gouvernementaux dans la résolution des conflits ;
• De la diplomatie hybride (Hocking, 2005), qui combine plusieurs niveaux d’acteurs ;
• De la diplomatie de la société civile (Paffenholz, 2014), dans laquelle la base sociale participe au changement.
Mais elle s’en distingue en insistant sur le lieu (le couloir, le marge, l’entre-deux), la discrétion tactique, et le rôle de la diaspora engagée comme passerelle entre deux mondes.

5. Étude de cas : le plaidoyer de CADA contre l’embargo sur les armes à la RDC (2022)
En 2022, alors que le Conseil de sécurité maintenait l’embargo sur les armes visant la RDC, CADA s’est activement mobilisée à Washington pour dénoncer l’absurdité de cette décision, dans un pays agressé par des groupes soutenus de l’extérieur. Cette diplomatie de couloir a conduit à :
• Des rencontres confidentielles avec des sénateurs du Foreign Relations Committee ;
• L’invocation stratégique du Deuxième Amendement de la Constitution américaine pour justifier le droit de la RDC à se défendre ;
• Des échanges avec des diplomates africains et américains, en marge de la session de l’Assemblée Générale de l’ONU.

Ces actions n’ont pas été publiques, mais elles ont participé au changement de discours sur la situation de la RDC. La diplomatie de couloir a agi là où la diplomatie officielle a échoué.

6. Conclusion : Une diplomatie du réel, enracinée dans le terrain
La diplomatie de couloir n’est pas un slogan. Elle est née d’un besoin, consolidée par l’expérience, et aujourd’hui théorisée pour servir de référence. Elle est la diplomatie du réel : celle des marges qui transforment le centre, des invisibles qui éclairent les puissants. Elle appelle à repenser la diplomatie non comme un monopole d’État, mais comme une responsabilité partagée entre les peuples, les diasporas, les croyants, les intellectuels et les activistes.

Éric Kamba est chercheur indépendant en relations internationales et militant engagé pour la paix, la dignité humaine et la justice globale. Fondateur du concept de diplomatie de couloir et initiateur du think tank CADA (Congo Action for Active Diplomacy), il travaille depuis plusieurs années à la promotion d’une diplomatie citoyenne, informelle et transversale, particulièrement dans les contextes africains de post-conflit. Il intervient régulièrement dans les forums internationaux et auprès des institutions américaines sur les enjeux de la paix en Afrique centrale.

Référence :
Kamba, Éric. (2025). La diplomatie de couloir : Genèse, définition et portée d’un outil diplomatique alternatif en Afrique. Manuscrit fondateur, Washington D.C., CADA Publications

 

AfroPari Juillet 2025