
Présenté comme le grand bond numérique de la République démocratique du Congo, le partenariat public-privé conclu en 2025 avec Trident Digital Tech Holdings Ltd. au travers de sa filiale locale nouvellement enregistrée en RDC, société singapourienne cotée au NASDAQ, devait enfin doter les Congolais d'un système d'identité biométrique et numérique moderne, baptisé DRC Pass selon leur dossier.
Mais derière les communiqués officiels et la rhétorique modernisatrice, une autre histoire se dessine, celle d'une entreprise aux références douteuses, adoubée par l'Unité de Coordination des PPP (UC-PPP) via une procédure de gré à gré discutable, qui s'est immiscée au coeur d'une fonction régalienne, l'identité nationale numérique, sans jamais avoir prouvé sa compétence ni sa capacité à livrer un tel projet ailleurs.
L'ombre du gré à gré
Le Décret n23/38 du 26 octobre 2023 sur les PPP est explicite : le gré à gré ne doit être qu'une exception, réservé aux cas d'urgence ou de monopole technologique avéré. Rien de tel ici. L'identité nationale biométrique et désormais numérique est un chantier préparé de longue date, inscrit dans le Plan national du numérique Horizon 2025. Le marché, de surcroît, regorge de prestataires solides et expérimentés : d'Europe à l'Afrique, de l'Asie à l'Inde, de nombreux acteurs ont déja livré avec succès des systèmes nationaux d'identité.
Pourtant, I'UC-PPP a validé l'entrée de Trident par la voie expéditive du gré à gré, justifiant sa décision par des références internationales...difficile à retrouver.
Des références douteuses
Pour convaincre, Trident a avancé avoir déployé des projets d'identité au Nigéria, au Kenya, et participé au programme Aadhaar en Inde, le plus grand système biométrique du monde. Toutes ces affirmations semblent ne pas être vraies :
- En Inde, Aadhaar est administré exclusivement par YUIDAI (Unique Identification Authority of India) et ses prestataires certifiés. Trident n'y figure pas.
- Au Nigéria et au Kenya, aucun projet d'identité nationale, ni identité numérique signé Trident n'apparait dans les registres publiés ou les bases de données internationales.
- La confusion entretenue avec le Trident Group conglomérat textile et papetier indien sans lien avec l'identité numérique, frôle l'usurpation de notoriété.
En clair : la validation accordée par l'UC-PPP repose sur des éléments qui peuvent être considérés comme des mensonges documentés. Le NASDAQ : ce que cela signifie vraiment.
Trident met en avant son inscription au NASDAQ pour se donner une légitimité. Mais que recouvre ce sigle ?
Le NASDAQ (National Association of Securities Dealers Automated Quotations) est :
- Une bourse électronique : la deuxième plus grande place boursière du monde après le New York Stock Exchange (NYSE). Toutes les transactions y sont faites électroniquement, sans salle physique.
- Un marché spécialiste dans la technologie : il accueille la majorité des géants mondiaux de l’innovation (Apple, Microsoft, Amazon, Google/Alphabet, Meta, Tesla, etc.).
- Un indicateur économique clé : son indice composite reflète la santé de milliers d'entreprises notamment dans les secteurs innovants.
- Un lieu de levée de capitaux : les entreprises y entrent par une IPO (Introduction en Bourse) afin de lever des fonds auprès d'investisseurs mondiaux.
Être coté au NASDAQ signifie que toutes les informalions financières de Trident (revenus, pertes, capitalisation) sont publiques et accessibles aux investisseurs comme au grand public. Or, ces données montrent une société fragile : capitalisation plafonnant à 50 millions USD, pertes nettes supérieures à 8 millions USD en 2024, et chiffre d'affaires inférieur à 500.000 USD.
Autrement dit, Trident n'a ni la solidité financière ni l'historique opérationnel pour gérer une infrastructure nationale et sécuritaire de cette ampleur.
Une privatisation de la souveraineté
C'est la portée du contrat qui alarme les experts. Trident obtient une exclusivité sur le KYC (Know Your Customer), c'est-à-dire la gestion de l'identité numérique de tous les Congolais à travers leur application mobile appelée TRIDENTITY. Or, selon I'article 4 du Code du Numérique (2022), les services liés à la sécurité nationale et à la défense sont exclus du champ d'action des prestataires privés étrangers.
Pire : Trident cherche à obtenir des licences pour opérer le stablecoin Ripple USD (RLUSD) en Afrique. Le Congo se retrouve face à un scénario inédit : confier à un acteur privé étranger à la fois la biométrie des citoyens et la gestion de flux financiers numériques. C'est une simple privatisation directe de la souveraineté nationale.
ADN aux abonnés absents
L'Agence pour le Développement du Numerique (ADN) avait été créée pour accompagner et sécuriser la transition numérique du pays. Mais dans ce dossier, elle est restée silencieuse, incapable :
- d'imposer un véritable audit des partenaires,
- de proposer des alternatives crédibles,
- d'assurer que le principe de souveralneté numérique (article 77 du Code du Numérique) soit respecté.
Cet effacement de l'ADN laisse la porte ouverte à ce qui ressemble de plus en plus à une capture de l'État numérique par une société sans antécédents.
L'affaire RAM en toile de fond
Difficile de ne pas rappeler le fiasco du RAM, taxe sur les téléphones mobiles instaurée entre 2020 et 2022. Présentée comme une mesure de sécurité, elle s'était muée en machine à cash opaque, avant d'être annulée sous la pression populaire.
Le DRC Pass menace d'être un RAM 2.0, mais cette fois avec des conséquences autrement plus graves :
- L'identité nationale Numérique et biométrique ;
- La sécurité des citoyens ;
- E la souveraineté économique du pays.
Une arnaque de souveraineté nationale
En confiant les clés de l'identité nationale Numérique et biométrique à un prestataire sans légitimité, Ia RDC s'expose à :
- Une nullité juridique du contrat, obtenu par « fausse déclaration » et via une procédure non conforme au gré à gré selon la loi ;
- une dépendance structurelle à une société fragile et soumise au droit d'investisseur de marché public non forcement connue par la RDC ;
- Une vulnérabilité géopolitique majeure, dans un contexte régional déja explosif.
« C'est une arnaque de souveraineté nationale.On ne joue pas avec l'identité d'un peuple, encore moins sur la base de mensonges », résume un expert congolais.
Modernisation ou capture ?
À Kinshasa, l'affaire commence à diviser les institutions. Les partisans du projet y voient une opportunité de rattraper des décennies de retard administratif. Ses détracteurs dénoncent une capture numérique orchestrée par un prestataire étranger mais sans antécédents, transformant la RDC en terrain d'expérimentation.
Or, le rappel est clair :
- L'ONIP doit rester le seul organe mandaté pour gérer l'identité nationale, exactement comme la Banque Centrale est garante de la monnaie ;
- L'identité n'est pas un outil technologique ordinaire, c'est un instrument de sécurité et de souveraineté nationale ;
- Selon le Code du Numérique, le ministère de l'Intérieur doit aussi être consulté conjointement pour superviser et controler ses prérogatives.
Pour le président Félix Tshisekedi, qui avait promis de moderniser l'État, l'affaire Trident pourait bien devenir un désastre politique, symbole d'une gouvernance prête à céder les prérogatives vitales de la République en échange d'illusions de modernité par un acteur sans antécédents.
Tribune du journaliste I. Kapangala