
Médecins sans frontières ( MSF ) qui a mis en œuvre depuis 2019 une approche communautaire innovante à Salamabila pour assister les victimes de violences sexuelles dans la partie est de la RDC, en proie à l'insécurité causée par des groupes armés soutenus par le Rwanda, annonce son départ de cette ville de la Province du Maniema pour fin octobre 2025.
Bien avant de se retirer de la ville de Salamaliba,MSF a formé des agents en santé sexuelle et reproductive qui peuvent intervenir directement dans les villages pour apporter les premiers soins aux victimes de violences. Ces soignants ont établi un lien de confiance suffisant pour que plus de 80 % des patients soient pris en charge dans les 72 heures après l'attaque, ce qui leur a permis d'être protégées du VIH, des maladies et infections sexuellement transmissibles, d'éviter une grossesse non désirée et de recevoir une première aide psychologique.
D’après un communiqué de presse de MSF parvenu à notre rédaction ce jeudi 2 octobre, cette approche décentralisée est fondée sur l’action des Agents de Santé Reproductive (ASR), des femmes issues de la communauté, souvent elles-mêmes survivantes de viols. Elles sont formées pour offrir une prise en charge médicale et psychosociale rapide, confidentielle et gratuite au sein des communautés. En 2024, les trois quarts des cas ont été pris en charge par ces ASR, illustrant l’efficacité et la pertinence de ce modèle décentralisé.
« Cette fois, c’est la troisième fois. Ils m’ont encore trouvée dans la maison. J’étais avec mon enfant, qui est épileptique. Nous avons toutes les deux étés violées », témoigne une survivante prise en charge par MSF en 2025.
Ce communiqué de presse indique que depuis 2019, Médecins Sans Frontières a pris en charge 16 445 survivant·e·s de violences sexuelles dans la région de Salamabila, province du Maniema, en République Démocratique du Congo.
« La première fois, je rentrais du champ… Une ASR m’a trouvée en pleurs, m’a écoutée, m’a donné un médicament et m’a orientée vers l’hôpital. J’ai été soignée gratuitement », témoigne une autre survivante prise en charge par MSF.
À en croire MSF,cette fin des activités annoncée pour fin octobre 2025 est légèrement anticipée pour permettre à l’organisation de se concentrer sur la réponse aux urgences médico-humanitaires des populations les plus vulnérables, dans un contexte de besoins accrus, de diminution drastique des financements humanitaires et de crise dans l’est de la RDC.
« Nous considérons que les objectifs du projet sont atteints aujourd’hui. Après toutes ces années de présence continue, nous devons faire le difficile choix opérationnel en tant qu’organisation d'urgence, de continuer à déployer notre aide médicale là où les besoins sont le plus criants. Des besoins néanmoins à Salamabila, les acteurs nationaux et internationaux doivent agir et prendre le relai », indique Idrissa Campaore, Responsable des programmes MSF dans le Maniema.
MSF appelle donc à une mobilisation urgente des autorités, bailleurs et partenaires humanitaires pour assurer la continuité de la prise en charge holistique des survivant.e.s de violences sexuelles, incluant soins médicaux, soutien psychologique et accompagnement socio-économique.
« Le modèle mis en place à Salamabila est réplicable, efficace et humainement vital. Il ne doit pas disparaître avec le départ de MSF », ajoute Idrissa Campaore.
Le même communiqué indique que les victimes, qui ne reçoivent pas de traitement dans les 72 heures après leur agression, courent des risques d'infection du VIH, et dans les 120 heures, des risques de grossesse. Une prise en charge holistique est également essentielle pour assurer des soins de santé mentale et une protection d’urgence.
« Nous voulions faire en sorte que de plus en plus de femmes osent chercher des soins et, dans un contexte comme celui de Salambila, c'est une victoire. Aujourd’hui, beaucoup de femmes ayant subi un viol ont le courage de consulter. Parmi ces victimes, celles stigmatisées et rejetées par leur mari, sont nombreuses. Pour éviter cette double peine, MSF a également créé « l’école des maris » où elle a sensibilisé au moins 1520 hommes à un message crucial : un viol n’est pas une infidélité mais une violence subie. La méthode porte ses fruits. Peu à peu, nous avons vu des maris inciter leur femme à venir nous voir et même les accompagner, c’était inimaginable avant », explique Elodie Françoise, responsable médicale du projet.
Charles Bamawu, médecin chef de zone, redoute le retour à la case départ dans cette zone. Selon lui, une fois que MSF aura terminé ses activités, il y aura rupture sur la prise en charge curative, même sur la prise en charge psychosociale.
Linda Lusonso