
À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, Albert Zeufack, Directeur des opérations de la Banque mondiale pour la République Démocratique du Congo, le Burundi, l’Angola et Sao Tomé et Principe attire l’attention sur un enjeu majeur pour la République Démocratique du Congo pour une véritable inclusion sociale : celui de la création d’emploi de qualité.
De la croissance à l’inclusion : relever le défi de l’emploi en RDC
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’Afrique subsaharienne doit faire de la création d’emplois de qualité une priorité absolue pour répondre aux défis de sa croissance démographique. D’ici 2050, la population en âge de travailler augmentera plus rapidement que dans toute autre région en développement, avec plus de 620 millions de personnes supplémentaires sur le marché du travail. La République Démocratique du Congo (RDC) occupe une place centrale dans cette dynamique, juste derrière le Nigeria, avec près de 72 millions de personnes concernées. Ce défi est immense, mais il est aussi porteur d’opportunités. Il s’agit d’un impératif de développement, de stabilité et d’une urgence nationale qui doit mobiliser l’ensemble des décideurs publics.
Mais comment créer davantage d’emplois de qualité en RDC ? Comment permettre à ces millions de Congolais d’éviter le chômage et les emplois informels, souvent précaires et peu rémunérateurs ? La réponse commence par reconnaître une réalité préoccupante : malgré une hausse du PIB par habitant de 17% entre 2020 et 2024, le taux de pauvreté n’a reculé que marginalement, passant de 85 % à 81,1 %. La pauvreté est restée largement répandue et structurelle, car la croissance, tirée essentiellement par le secteur minier, n’a pas été suffisamment diversifiée ni inclusive.
Les données sur l’emploi confirment cette tendance : l’élasticité emploi-croissance en RDC est extrêmement faible. Sur la période 1990–2024, elle est proche de zéro (–0,01), et elle devient négative (–1,46) entre 2020 et 2024, indiquant que l’économie a continué de croître alors que l’emploi reculait. Ce modèle de croissance capitalistique, tiré par les mines et les infrastructures, génère peu d’emplois et renforce les inégalités.
La dernière édition de l’Africa Pulse, publication semestrielle de la Banque mondiale, propose plusieurs pistes pour relever ce défi : réduire les coûts liés à l’environnement des affaires, améliorer les infrastructures de base et renforcer la connectivité grâce à l’électricité, aux routes, au chemin de fer et au numérique, améliorer l’accès des entreprises aux capitaux, investir dans les compétences techniques, promouvoir l’utilisation des technologies numériques, et améliorer la gouvernance.
Le portefeuille de projets soutenus par la Banque mondiale, issu du Cadre de Partenariat Pays (CPP), s’aligne déjà sur ces recommandations. Toutefois, la RDC peut aller encore plus loin et adopter une approche encore plus audacieuse pour avoir un impact significatif à l’échelle. À travers des projets transformateurs comme le Programme de Développement Inga 3 (PDI3), le Corridor de Lobito et le corridor PACT reliant Mbuji-Mayi à l’est de la RDC, le pays pourra créer des emplois de qualité et stimuler la croissance du secteur privé. Ces initiatives ont le potentiel de transformer les écosystèmes économiques, en favorisant l’amélioration des infrastructures, la connectivité et l’investissement dans le capital humain.
Le PDI3 marque un tournant dans ce sens en investissant d’abord dans des activités qui permettront au pays de maximiser les bénéfices des futurs investissements. Il ne s’agit pas seulement de construire une infrastructure, mais de créer un environnement propice au développement économique. De même, le partenariat en cours entre la Banque mondiale et le Gouvernement congolais autour du projet Lobito vise à garantir que les provinces concernées et le pays tout entier en tirent profit. Ce projet doit devenir un catalyseur de diversification économique et de création d’emplois de qualité. Il incarne une rupture nécessaire avec le paradigme actuel, où la croissance est tirée par des secteurs capitalistiques et enclavés, comme les mines, qui génèrent peu d’emplois et tendent à renforcer les inégalités et les conflits. Lobito représente une opportunité unique de rompre avec le paradigme colonial de l’exploitation minière, en développant un écosystème qui favorisera le développement des zones économiques spéciales, l’essor des villes secondaires le long du rail, le renforcement des chaînes de valeur agricoles et la diversification de l’économie.
Parallèlement à cette approche ambitieuse, nous poursuivrons nos efforts pour accompagner le gouvernement dans la mise en œuvre de réformes structurelles visant à améliorer le climat des affaires. Nous renforcerons également notre soutien à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes. Les succès du Projet d’Appui au Développement des Petites et Moyennes Entreprises (PADMPME) nous encouragent à poursuivre cette dynamique avec le projet TRANSFORME, dédié à l’autonomisation des femmes entrepreneures et à la mise à niveau des PME pour la transformation économique et l’emploi. Ces initiatives visent à offrir aux femmes et aux jeunes un accès à la formation, au mentorat et au financement, afin de développer leurs entreprises, augmenter leur chiffre d’affaires et créer davantage d’emplois décents.
Il est donc urgent de changer de paradigme : la performance économique ne peut plus être mesurée uniquement par le PIB, mais par la capacité de la croissance à créer des emplois de qualité et à réduire la pauvreté. Reconnecter la croissance à l’emploi et au bien-être des populations doit devenir la priorité centrale du modèle économique congolais. C’est en adoptant une approche résolument ambitieuse, plaçant la création d’emplois au cœur de nos priorités, que nous pourrons relever le défi démographique qui se profile et contribuer de manière significative à la réduction de la pauvreté et à la création d’une plus grande prospérité en RDC et dans toute l’Afrique subsaharienne.
Albert Zeufack,
Directeur des opérations de la Banque mondiale pour la RDC