Ce que le peuple attend du Dialogue politique

Lundi 1 février 2016 - 10:58
Dialogue qui piétine, calendrier électoral jugé préalablement irréaliste par la majorité de la classe politique et invalidé par la Cour Constitutionnelle, tentatives de relance des Consultations-bis, déclarations continuelles de la Communauté Internationale appelant au respect de la Constitution et des délais constitutionnels dans l’organisation des élections présidentielles et législatives, soupçons de recours à la politique d’usure par le pouvoir  pour mettre tout le monde devant le fait accompli aux fins de justifier le «glissement», exigence formelle d’un facilitateur international pour une garantie de bonne fin par l’UDPS, l’Eglise catholique qui gronde, qui se déjuge ,dénonce les faibles décaissements d’argent en faveur de la CENI et consulte, des enlèvements et kidnappings des paisibles citoyens dans les territoires de Rutshuru et Nyiragongo, les incessantes tueries à l’EST du pays, le lancement du Front Citoyen 2016,les risques d’embrasement… Tout a été dit. Tout ou presque tout. Chacun des acteurs est convaincu de la justesse de sa cause et du monopole de détention de la vérité. Quelle sera l’issue de tout ce décor et du vraisemblable bras de fer entre la majorité présidentielle et l’opposition ? Quoique les approches soient antinomiques, tous semblent du moins reconnaître l’importance du dialogue pour arriver à organiser les élections dans un climat apaisé. Sinon, comme Léon de Saint Moulin le souligne : « Organiser les élections sans consensus électoral ne donnera pas de résultats satisfaisants. Ce sera une inondation électorale ». Le manque de consensus, l’indécision et le brouillard politique nous poussent à scruter les péripéties qui ont émaillé la prise de la Bastilles le 14 Juillet 1789 lors de la Révolution Française et qui sont considérées à juste titre à ce jour comme étant le pivot du début de la mutation de la politique française. RESPONSABILITE DE L’ENTOURAGE DU ROI LOUIS XVI Cette histoire nous révèle que l’entourage du roi Louis XVI était pour beaucoup dans cette mutation parce que, voulant à tout prix conserver ses avantages, il l’avait engagé dans un bras de fer avec l’Assemblée nationale issue des Etats Généraux. A la séance d’ouverture des Etats Généraux, les réformateurs furent amèrement déçus de constater qu’aucune allusion n’ayant trait à des réformes, ne fut faite dans l’adresse du roi et de ses collaborateurs. Au fur et à mesure que la situation évoluant, les positions se radicalisaient entre le roi et les députés du Tiers-Etat. Le 13 Juillet, le roi, sentant le danger imminent, choisit d’amasser des troupes autour de Paris et de Versailles. Il ne restait que cette mesure pour surchauffer les esprits. Cette initiative exacerba les passions. Un impromptu ingrédient s’invita : la rumeur. Pour le peuple, il fallait contrer le « complot aristocratique ». Le 14 Juillet commença par une simple émeute à Paris : le peuple, après avoir pillé les armuriers et l’Hôtel des Invalides dans la quête d’armes pour défendre la ville, finit par assiéger et prendre la Bastilles qui servait de prison d’Etat et de forteresse pour le dépôt d’armes. Le 20 Juin 1790, la tentative manquée de la  fuite du roi entraîna sa suspension par l’Assemblée législative. Le 21 Janvier 1793, le roi Louis XVI fut condamné à mort et guillotiné. Ce bras de fer aurait pu être évité si l’entourage du roi l’avait engagé sur la voie de la conciliation, du dialogue et du vrai compromis. CARACTERISTIQUE DE L’ENVIRONNEMENT POLITIQUE ACTUEL : ETAT POLICIER Aujourd’hui, la corruption, l’incurie,  les répressions, les assassinats, bref, toute l’artillerie des antivaleurs a refait surface et tend même à s’enraciner. Aujourd’hui, la RDC est devenue un Etat totalement policier. Même une manifestation pacifique respectant les règles du jeu et la loi, est déclarée illégale, car toute expression populaire même légitime, pour autant qu’elle contrarie le pouvoir, est impitoyablement réprimée, le but étant de rendre inefficace toute contestation ; Etat policier dans la mesure où les forces de l’ordre répondent à la non-violence par la violence. Human Rights Watch s’y mêle lorsqu’elle déclare : « Cette tendance de restriction à la liberté d’expression et d’atteintes à la sécurité de ceux qui expriment des opinions critiques concernant les actions du gouvernement, dénote un rétrécissement de l’espace démocratique susceptible d’affecter la crédibilité du processus électoral » Aussi, la paupérisation de la population, les difficultés d’approvisionnement en eau et en électricité, pourtant suffisamment exploitées dans le programme des cinq chantiers abandonné sans explication aucune, viennent aggraver la situation déjà précaire. Quand on sait que le devoir de tout pouvoir est de procurer les biens sociaux à la population, l’année 2010 proclamée année du social, a été l’année du calvaire du peuple. RESPONSABILITE DES THURIFERAIRES DE MOBUTU   L’histoire nous apprend que les thuriféraires du régime Mobutu l’ont renié et n’ont même pas eu la compassion d’assister à son enterrement. Pour autant que l’on sache, aujourd’hui, ce sont les mêmes thuriféraires qui entourent Monsieur KABILA, ceux-là mêmes qui étaient à la base de la désapprobation générale du régime Mobutu par le peuple. Pour leurs intérêts, ils semblent se résoudre à engager Monsieur KABILA dans la voie de la confrontation. Ils l’entrainent visiblement dans une épreuve de force politique contre les forces du changement et la Communauté Internationale. Sincèrement, le temps ne s’y prête pas pour une confrontation de quelque nature que ce soit. Il est temps pour Monsieur KABILA de faire une évaluation sans complaisance de son action politique et de l’évolution de la situation politique du pays. Il est temps pour Monsieur KABILA d’interroger l’histoire de ce pays afin qu’elle puisse dénombrer à son intention combien des courtisans de Mobutu étaient restés à ses côtés au départ de Nsele le 24 Avril 1990 lorsque sous la pression de l’UDPS et du peuple, Mobutu proclamait, la mort dans l’âme, sous les larmes, le multipartisme politique et syndical, bref la démocratie multipartiste. Plaise au ciel qu’il retienne qu’ils étaient dans leur majorité passés  sans transition et sans gène aucune, de la courtisanerie à l’opposition radicale, de Nsele à la douzième rue Limete. L’AVENEMENT DE KABILA ET SES PROMESSES LORS DE SON INVESTITURE S’il était donné à  Monsieur Kabila de se souvenir de son discours d’investiture de 2001 afin d’évaluer avec objectivité son action politique s’il en a eu une, peut-être que la raison pourra lui revenir pour orienter autrement la phase actuelle dominée par la question du dialogue et prendre, en âme et conscience, une  décision conséquente. A moins d’une trahison de notre mémoire, lors de son avènement au pouvoir, Monsieur Kabila, s’était engagé vis-à-vis de la Communauté aussi bien nationale qu’internationale :
  1. à pacifier le Congo (c.-à-d. mettre fin à la guerre),
  2. à unifier le pays,
  3. àle conduire vers les élections pour que le peuple se choisisse librement ses dirigeants.
  4. A quitter le pouvoir après la transition.
A-t-il atteint ou réalisé ces objectifs ? La question est posée et reste ouverte. Sauf erreur de jugement de notre part, rien ne semble apparemment pas avoir marché tel qu’il l’avait ambitionné.
  1. Quand on considère l’insécurité persistante à l’Est du pays ( massacres récurrents des paisibles citoyens), l’instabilité politique et les diverses répressions des manifestations pacifiques sans omettre les violations relevées dans le rapport du Bureau Conjoint des Nations-Unies sur les Droits de l’Homme opérées à Kinshasa, au Nord-Kivu au Sud-Kivu, au Kasaï Oriental et dans l’ex-Katanga dans lequel il est fait état du règne d’un climat de terreur envers tous ceux qui ne sont pas inscrits dans la logique de la Majorité Présidentielle, peut-on honnêtement soutenir que le pays est pacifié ?
Une paix des armes, une paix  bâillonnée, est-elle une paix garantie ?
  1. Si le pays est demeuré unifié, tout le monde est unanime pour reconnaître que c’estpar la seule volonté unanime et souveraine du peuple congolais qui a eu un goût amer de la fausse libération du 17 Mai 1997 qui en réalité n’était qu’une occupation du pays par le Rwanda, l’Ouganda et leurs alliés.
Sinon, l’agression du 2 Août 1998 aurait été aussi un succès. Aujourd’hui le BCNUDH (Bureau Conjoint des Nations-Unies sur les Droits de l’Homme) soutient avoir réuni des éléments de preuves d’une tentative de déstabilisation à grande échelle de la RDC estimant ainsi que la démocratie elle-même est en danger. Fallait-il que ce soit cette institution onusienne qui tire cette sonnette d’alarme ?
  1. Toutes les élections organisées sous le régime Kabila sont unanimement considérées comme des élections chaotiques, des holdups électoraux. C’est ainsi que perdure la crise de légitimité qui aurait dû être résorbée par les élections de 2011 mais, qui se trouve accentuée et l’UDPS, à bon escient, propose de rediscuter de cette question qui continue de se poser en RDC.
  2. A ce jour, Monsieur Kabila a continué et continue, imperturbable, à exercer le pouvoir.
Aussi, par son silence, il demeure énigmatique sur la fin de son « deuxième mandat » qui bientôt arrive à terme et qui suscite interrogations et interprétations diverses. Pendant ce temps, le bateau MP a pris l’eau : le G7 a donné le ton. Somme toute, la tendance générale observée au sujet du processus électoral en cours, est au respect de la Constitution et des délais constitutionnels dans l’organisation des élections présidentielles et législatives autrement dit, pas de troisième mandat pour Monsieur Kabila ; ce qui ne semble pas être la vision de la majorité présidentielle. Pendant ce temps, Saïd Djinnit déclare qu’ «  il n’est pas question pour la Communauté Internationale de venir encourager ni soutenir un schéma qui conduirait à la violation de la Constitution », emboitant le pas à tous les envoyés spéciaux en RDC et dans la région des Grands Lacs Entretemps, la réconciliation, voulue et souhaitée par tous entre TSHISEKEDI et KABILA, s’est effritée avec le message de Monsieur KABILA du 28 Novembre dernier suivi de son ordonnance convoquant le dialogue qui a suscité la méfiance entre les deux personnalités. Sur un autre chapitre, l’aventure du programme des cinq chantiers comme susmentionné a été un échec cuisant au point que personne ne veut se risquer de l’évoquer. Aussi, le problème de la facilitation en amont comme en aval du dialogue en soulève un autre : celui de l’hypothèque oui ou non de la souveraineté Eden Kodjo, à peine désigné par la Commission Africaine pour tenter de redémarrer le dialogue qui peine à commencer, divise déjà la classe politique congolaise qui se demande si l’omission de la mention « respect de la Constitution » dans la mission d’Eden Kodjo est volontaire ou délibérée. Sa récusation est à redouter. LA SOUVERAINETE EN QUESTION   Subtilement aussi en ce qui concerne le dialogue, le camp du pouvoir évoque la thèse de la souveraineté nationale pour faire obstruction à l’implication permanente de la Communauté Internationale dans le dialogue. Nous le leur concédons. Nous ne refusons pas que « la souveraineté soit le pouvoir suprême reconnu à l’Etat qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance internationale, où il n’est limité que par ses propres engagements ». Notre pays n’évolue pas en vase clos. Il évolue dans un système d’indépendance dans l’interdépendance. En signant l’Accord-cadre du 24 Février 2003, La RDC a ouvert ainsi une brèche qui fait que l’Union Africaine et les Nations-Unies, fort des  Résolutions subséquentes 2098, 4147 et 2211 du Conseil de sécurité se trouvent interpellées pour venir à la rescousse de la RDC. Cet Accord d’Addis-Abeba, soit dit en passant, dressait un tableau sombre de la désarticulation des institutions nationales du pays avant d’en proposer les remèdes (la démocratie, les réformes des institutions et la réconciliation) à travers le dialogue entre parties prenantes congolaises. Lorsque les collaborateurs de Monsieur KABILA l’ont engagé à signer cet Accord-cadre devant ses pairs africains et la Communauté Internationale, ils reconnaissaient ipso facto les failles du système et tacitement  l’incapacité des Congolais à trouver seuls les solutions aux problèmes internes congolais. C’est cela le sens à donner aux bons offices des Résolutions du Conseil de Sécurité. Cette signature a engagé Monsieur KABILA  devant ses pairs et la Communauté Internationale. Il a pris ces engagements au nom de la République autrement dit au nom de toutes les parties prenantes congolaises au conflit et/ou concernées par la crise. L’UDPS en insistant sur la médiation internationale ne fait qu’exploiter les termes de cet engagement dans lequel la RDC a accepté de limiter sa souveraineté. Ils auraient dû dire : quand aux problèmes internes de la RDC en sa qualité de garant de la Nation, le Président s’emploiera à consolider la démocratie et à réformer les institutions de la République, avec le concours de toutes les parties prenantes congolaises, il n’y aurait pas à redire. Même son ordonnance du 30 Novembre se justifierait. Mais tel que libellé, l’implication de la Communauté internationale est, on ne peut plus indiscutable. LES ACCORDS ET LA LIMITATION DE POUVOIR   A titre illustratif de la limitation des pouvoirs de la RDC dans ses engagements:
  1. Le gouvernement, dans le cadre du programme PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) avait obtenu l’effacement des dettes. Avec cet alignement dans ce programme, des milliards de dollars qui auraient dû être payés, sont gérés aujourd’hui par devers le Congo dans ce sens que le Congo n’a pas voix au chapitre dans l’allocation de cet argent ni dans les opérations d’engagement, de liquidation et d’ordonnancement des dépenses. Ce sont des institutions qui choisissent par devers notre pays les secteurs dans lesquels l’argent sera destiné. N’est-ce pas une limitation de pouvoir consécutive à cet engagement ?
Au lieu d’en avoir des remords et de la retenue pour avoir hypothéqué une partie du pouvoir, le gouvernement avait scandaleusement surpris plus d’un : non seulement qu’il s’en vantait mais il s’en félicitait et s’en réjouissait.
  1. En ce qui concerne le dialogue, l’argument de la sauvegarde de la souveraineté nationale soutenu mordicus par la mouvance présidentielle a été battu en brèche sur Top Congo par le Porte-parole de l’UDPS, Monsieur Bruno TSHIBALA.
Il s’est posé la question de savoir si la RDC était moins souveraine qu’en 2001 lorsqu’elle avait laissé le soin à Monsieur Ketumile Masire de régenter et de jouer pleinement un rôle permanent lors de la tenue des assises  du Dialogue Inter-congolais de Sun City dans toutes ses phases : de la mise sur pieds du Comité préparatoire à la signature de l’Accord Global et Inclusif en passant par la fixation du lieu de sa tenue, son format et son ordre du jour. Ce rôle moteur joué par Masire coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui invoquent tendancieusement et  à tord la souveraineté. C’était bien le dialogue entre Congolais pour trouver des solutions  congolaises aux problèmes congolais et non  pour trouver des solutions onusiennes, occidentales ou orientales congolaises. PRISE DE CONSCIENCE DU PEUPLE Les choses ont bien évolué au Congo. Les élections de 2016 s’annoncent plus difficiles et moins manipulables  que celles de 2006 et 2011. Déjà, ca bouillonne dans le peuple. Les esprits se surchauffent. A l’exemple des pères fondateurs de l’UDPS, le Congolais a déjà pris conscience de son destin est déterminé à venir à bout de toute velléité de dictature, d’injustice et d’antivaleurs. Sa docilité apparente n’est qu’un leurre. C’est un arbre qui cache la forêt. Cela s’est avéré au grand jour les 19, 20 et 21 Janvier 2015. Ce peuple est une « Eau dormante, mangeuse d’hommes ». Je crains que, comme dans la France de 1789, un inquiétant ingrédient ne vienne s’improviser et s’inviter dans l’arène politique : la moindre étincelle. C’est pour cela que nous avons scruté de bonne foi et avec tout amour patriotique l’histoire de la Révolution française. LES MERITES DE L’UDPS Tout le monde est unanime pour reconnaître les mérites de l’UDPS et de son Chef Etienne THISEKEDI qui ont réussi à conscientiser le peuple congolais sur ses droits. Ce mérite est d’avoir joué un rôle primordial dans la conscientisation du peuple à ne pas avoir peur et à savoir défendre ses droits en acceptant d’affronter les imposteurs quel qu’en soit le prix. On voit mal comment l’UDPS qui a mené un combat héroïque si conscientisant, puisse se permettre à sa vente aux enchères politiques et que  le peuple si éveillé et si conscientisé, puisse fermer l’œil sur une quelconque irrégularité et se dédire de son message clairement exprimé lors des manifestations de Janvier 2015. QU’ATTEND ALORS LE PEUPLE ? Tout compte fait, les manifestations du peuple congolais de janvier 2015 pour contrer le conditionnement préalable de l’organisation des élections au recensement de la population sont encore fraîches dans la mémoire. Elles traduisent, à elles seules, l’intransigeance du peuple contre toute tentative à violer l’esprit et la lettre de la Constitution et plus précisément dans ses clauses verrouillées par l’article 220 de la Constitution. Il serait dès lors imprudent pour la classe politique de chercher à occasionner la réédition de l’exploit susmentionné du peuple qui causerait encore une fois de plus de pertes inutiles en vies humaines et qui pourrait emporter toutes les illusions politiques tant nous savons tous que, même les météorologues les plus avisés ne sont pas parvenus à prévenir l’ampleur des  dégâts que causerait chaque passage de l’ouragan c.à.d. qu’on ne se fasse pas d’illusion, personne ne peut augurer avec exactitude que l’on puisse toujours  s’en sortir indemne de toutes les tempêtes. Il y en a d’imprévisibles qui finissent par secouer et emporter au-delà de toutes les  précautions prises. Le peuple attend de la classe politique qu’elle dégage un consensus pour un processus crédible dans le respect de la Constitution et des délais qu’elle prescrit. Les mêmes causes produisant les mêmes les effets, tout glissement quelles qu’en soient les raisons invoquées, risque d’être voué à l’échec.   Fait à Kinshasa, le  20 Janvier 2016 Bruno NTUMBA-KAYEMBE Cadre de l’UDPS