Crise politique : l’impossible référendum de Mova

Lundi 6 juin 2016 - 09:39

4 Juin. Une date historique pour les intellectuels congolais. Il y a quarante-sept ans, une marche pacifique des étudiants de Kinshasa (Université Lovanium, Ecole Nationale de Droit et d’Administration, Institut Pédagogique National, Institut des Bâtiments et des Travaux Publics, Institut Supérieur d’Architecture, Institut National des Arts et Institut Supérieur du Commerce) était réprimée dans le sang par l’Armée Nationale Congolaise.

Partis de leurs établissements respectifs pour converger vers la place de la Gare, les étudiants furent pris en étau au Rond Point Victoire où l’armée tira à balles réelles sur les colonnes qui descendaient l’avenue Kasa-Vubu, fauchant de nombreuses vies humaines et emportant les corps vers une destination inconnue.

Sans manifester le moindre remords, le planificateur des tueries s’adressa à la Nation le soir pour accuser les étudiants d’être au service de la Chine populaire, une « prévention » qui lui permettait, en pleine guerre froide,  de bénéficier de la bienveillance de ses protecteurs occidentaux.

En mémoire de ces victimes et du traumatisme causé à des milliers de leurs camarades survivants, des démarches ont été faites avec insistance pour que la journée du 4 juin  soit célébrée au plan national comme étant celle de la prise de conscience de la jeunesse congolaise de sa place au sein de la société nationale.  Mais jusqu’à ce jour, ces démarches sont restées lettre morte. Même quand on a procédé à tour de bras à la débaptisation des avenues de la capitale, ce sacrifice suprême a été superbement ignoré.

Le 4 juin 2016 nous a remémoré ce triste épisode de la vie nationale.
Mais il nous a rappelé aussi l’anniversaire de naissance du Président
Joseph Kabila. A tous ceux qui l’avaient oublié, le parti politique
PPRD s’est chargé de le faire savoir en organisant samedi une marche
de la paix destinée à souligner le rôle et la mission de son autorité
morale.
En clôture de cette marche dont vous trouverez par ailleurs le
reportage dans cette édition, le Secrétaire Général du PPRD, Mova
Sakanyi, s’est adressé à la foule et à travers elle, à tout le pays
ainsi qu’aux partenaires extérieurs, pour révéler que sa famille
politique était prête à suivre l’exemple du Congo-Brazzaville et du
Rwanda en organisant un référendum populaire.
Si elle n’a pas surpris les observateurs attentifs de la scène
politique congolaise, l’annonce d’Henri Mova a néanmoins plongé les
analystes dans la perplexité. Comment peut-on en arriver là ?
L’organisation d’un référendum implique l’existence d’un fichier
électoral et des moyens financiers. Tout le monde sait que ce fichier,
de l’aveu même de la famille politique du Chef de l’Etat, n’existe
pas. Sur quelle base va-t-on donc consulter les citoyens congolais ?
L’autre question qui mérite d’être posée est celle de savoir qui va
organiser un tel référendum ? La CENI ? Si oui, sur quelles bases
travaillera-t-elle ?  Les documents officiels élaborés par notre
centrale électorale et mis à la disposition des Congolais et des
partenaires extérieurs sont sans équivoque : la mission est
impossible.
La Ceni affirme qu’elle a besoin de 432 jours pour refaire le fichier
électoral et elle a besoin pour cela d’un milliard deux cents
quatre-vingt-cinq millions de dollars (1.285.000.000 $US). Elle
justifie ce délai et ces  besoins financiers par la situation générée
par la dernière réforme administrative qui l’oblige à installer 77.000
bureaux de vote dans  145 territoires, 6095 groupements, 471 secteurs,
263 chefferies, 366 communes pour une masse d’électeurs estimée à
40.901.135.
Le Congo-Brazzaville et le Rwanda sont des petits pays. Ils ont
certainement des administrations qui fonctionnent mais ils n’ont ni la
dimension ni les problèmes que connaît la RDC. Prendre exemple sur eux
pour tenter de faire marcher les adversaires politiques n’est pas une
meilleure stratégie. A moins de nous dire que les administrateurs des
territoires vont jouer le rôle de grands électeurs pour un référendum
bouclé à l’avance, on ne voit pas en quoi l’annonce du Vélodrome de
Kintambo peut contribuer à la résolution de la crise. Par ailleurs, la
question des ressources financières reste de brûlante actualité. Le
gouvernement de la République se trouve en ce moment devant les
députés et sénateurs à qui il demande de délester les prévisions
budgétaires de 2016 d’un montant de deux milliards de dollars devenus
irréalisables au niveau des structures réalisatrices des recettes de
l’Etat ? Alors, où trouver le milliard qui manque à la CENI ?
Qu’à cela ne tienne.  Au-delà des ambitions des uns et des autres, le
salut de la nation recommande à chacun de nous de mettre de l’eau dans
son vin en se dirigeant vers le point d’intersection d’idées au lieu
de s’en éloigner. C’est cela le réalisme politique.
LP