Dialogue national : les intellectuels tirent les leçons de l’histoire congolaise

Mercredi 16 décembre 2015 - 06:10

En 55 ans d’indépendance, la RDC a connu une vingtaine de dialogues à portée nationale, soit 4 dialogues chaque décennie. A la lecture de l’histoire, l’issue de ces échanges entre Congolais s’est soldée globalement par un échec. L’expérience étant la somme des échecs, les intellectuels apportent une lumière scientifique quant à la réussite du dialogue convoqué par le Chef de l’Etat.
Le dialogue national politique à venir serait-il celui de la dernière chance ? En tout cas, du succès ou de l’échec des pourparlers attendus entre Congolais déterminera durablement la conception qu’aura désormais le peuple des négociations entre forces vives de la nation dans l’optique de résoudre une crise politique.
La conférence-débat, organisée le samedi 12 décembre 2015 à la paroisse Notre Dame de Fatima par l’Asbl Conscience nationale Congolaise (CNC), en partenariat avec l’ICREDES et le groupe de presse Le Potentiel & Radio Télé 7, a permis, à plus d’un Congolais, d’éclairer sa lanterne sur ce qui fait qu’un dialogue, conférence, colloque, conclave  ou concertation, de portée nationale, puisse réussir ou échouer.
Sous le thème général « Dialogue national : défis et leçon à tirer », un panel de trois professeurs d’université a cogiter en vue d’aider la nation congolaise à tirer les leçons du passé et maximiser les chances de réussite du prochain dialogue politique. Le professeur Mutamba Makombo, en tant qu’historien, a centré son intervention sur « le dialogue en RDC à travers l’histoire ». Le professeur Kabongo Malu, Philosophe, a, quant à lui, planché sur « le dialoguisme congolais ou l’incapacité à construire un Etat viable au cœur de l’Afrique ». le professeur, François Mukoka Nsenda, directeur Exécutif de l’ICREDES (Institut congolais de recherche en développement et études stratégiques), a lui a apporté son expertise en tant que politologue sur la thématique générale.
Retraçant l’histoire des dialogues en RDC, le professeur Mutamba mMkombo est remonté à la veille de l’indépendance pour expliquer toutes les rencontres que les Congolais ont connues. Il s’est attardé aussi bien sur le contexte, les objectifs, la qualité des participants, le lieu, la durée que l’issue des différentes rencontres que les Congolais ont eu. Recensant une vingtaine des conférences à portée nationale depuis 1960 jusqu’à la Conférence nationale souveraine, l’historien congolais a donné son verdict : globalement les pourparlers entre Congolais se sont soldés par un échec chaque fois que les conditions concourant à l’inclusivité, à l’objet, à la qualité et à la sécurité des participants, au lieu et à la durée de la rencontre n’étaient pas réunies.
Tirant les leçons de l’histoire, MutambaMakombo a alerté l’opinion nationale que la réussite du dialogue national politique convoqué par le Chef de l’Etat dépendra de son caractère inclusif, de la composition des membres participants, du cadre (selon qu’il est rassurant pour tous les participants), des garanties de sécurité à assurées aux participants, de la clarté de l’ordre du jour (de quoi va-t-on parler ?), de la durée qui doit être optimale, du rôle de médiateur, de l’application des résolutions arrêtées à ces assises et même du front commun que le Congolais pourraient faire face aux intérêts supérieurs de la nation.
« Il n’est pas question aujourd’hui d’un unanimisme moutonnier. Mais les personnes appelées au dialogue doivent penser à la restauration de notre dignité bafouée. Elles doivent être soucieuses de l’intérêt général et de notre souveraineté. Elles ne doivent pas trahir le Congo. Je forme le vœu que ce dialogue nous aide à bâtir un pays plus beau qu’avant, et assurer sa grandeur », a conclu le professeur Mutamba Makombo.
Déficit de conscience historique et nationale
Le deuxième intervenant, le philosophe Kabongo Malu, a, lui, dénombré 5 cycles de dialogues dans l’histoire congolaise avec plus de 20 rencontres formelles. Cependant, malgré la récurrence de ces dialogues, il constate que les Congolais ne sont pas parvenus à renforcer ni institutions républicaines ni la souveraineté nationale encore moins à assurer leur développement. C’est ce qu’il appelle le « dialoguisme », des dialogues reccurents mais infructueux.
Il soutient le prochain dialogue pour autant qu’il soit celui de la dernière chance. « Ça  doit être un dialogue de la dernière chance, où on doit lever des grandes orientations pour sauver cette nation, tant sur le plan culturel que politique. Que les participants reconnaissent que la démocratie fonctionne avec les institutions capables de résoudre les problèmes majeurs du pays », a dit Kabongo Malu. Avant de s’interroger :

« Nous sommes en droit de nous interroger pourquoi les autres pays dans le monde n’ont pas eu autant de dialogues et de négociations en dehors des institutions pour renforcer la démocratie et la nation. Dialogue et dialoguisme sont-ils bon ou mauvais pour le peuple et pour le développement ? ».
Partant de ces questionnements, Kabongo Malu lâche une évidence: « il n’y a pas dialogue si les partenaires ne sont pas en mesure de se mettre à la place des uns et des autres ; d’inter-changer leur places pour comprendre les positions des uns et des autres et surtout si tous ne disent pas la vérité rien que la vérité. Parce qu’il n’y a que la vérité qui libère. Ce dialogue de vérité, de consensus, le peuple en produit une ou deux fois seulement dans la vie d’une nation ».
Prenant l’exemple des américains avec la Convention de Philadelphie et de la révolution française qui ont été des dialogues fondateurs et salutaires pour ces nations, le conférencier s’est demander : « Comment en est-on arrivé à ces faillites récurrentes qui font que des hommes et des institutions se réunissent très souvent pour parler, loin des institutions et de la loi fondamentale, des problèmes de la RDC ? ».
Il explique que les dialogues infructueux sont la résultante des faillites humaines et institutionnelles. Et ces faillites découle de l’absence de la conscience historique et nationale dans le chef des Congolais. « Sans conscience nationale il n’y a ni Etat ni Nation ni Développement. », a déclaré Kabongomalu. Et de paraphraser Cheik Anta Diop « un peuple sans conscience nationale est une population », en comparaison à une nation.
Prendre le destin en main
Analysant les positions minimalistes des pro-dialogues et celles maximalistes des anti-dialogues, le professeur François Mukoka Nsenda, directeur Exécutif de l’ICREDES en conclue que « l’impasse est totale ».  Et de dire : « nous sommes dans une situation de crise. Même si le dialogue pouvait se tenir, il y a des risques que l’on revienne à la case départ, on risque de plonger dans la même crise que celle que nous connaissons actuellement ». Pour ce politologue, « l’assemblée (Ndlr : l’auditoire) est en droit d’anticiper les choses de manière à préconiser des scenarii de manière à sortir de la crise et d’éviter ce que la professeur Kabongo a appelé le dialoguisme ».
Faisant la synthèse de la matinée de réflexion, Freddy Mulumba, vice-président du Groupe de presse Le Potentiel et Radio Télé 7, a appelé le congolais à prendre leur destin en main. « La RDC n’est pas n’importe quel pays. C’est un produit de la mondialisation. Quand le monde bouge, la RDC bouge aussi. Très souvent, les intellectuels oublient cette donne. Après avoir dominé le monde pendant cinq siècles, l’Occident est en perte de vitesse.

Ainsi, face aux mutations internationales, les intellectuels doivent éclairer le peuple congolais pour éviter le pire à notre nation. Car, l’Occident en faillite n’attend que la RDC implose pour venir concrétiser son projet de balkanisation », a-t-il exhorté. Terminant son propos, Freddy Mulumba a appelé le peuple congolais à demeurer « lucide ».