Tribune - Coltan: tentative de sauvetage de la SMB par le BSP suite aux morts de Kisura (Moïse Musangana)

Jeudi 16 juillet 2020 - 11:34
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Coltan: tentative de sauvetage de la SMB par le BSP suite aux morts de Kisura
 

Une attaque meurtrière à la grenade a fait trois morts parmi les creuseurs miniers artisanaux ce 26 juin dans le village de Kisura (Nord-Kivu) en pleine concession de la SMB (Société Minière de Bisunzu) connue sous le nom de PE 4731. Survenue après le nouvel accord conclu à la mi-mai entre cette dernière et la COOPERAMMA (Coopérative des Artisans Miniers de Masisi), cette énième tuerie en rajoute ainsi au compteur-incidents de cette société minière de plus en plus en défaut du devoir de diligence de l’OCDE avec comme conséquence sa marginalisation dans le commerce international. Et dans une tentative de sauvetage, le BSP (Better Sourcing Program), géré par le RCS Global basé à Berlin et qui retrace désormais les minerais de la SMB, voudrait jouer à la couverture de son partenaire en effrayant aussi bien les autorités congolaises que les consommateurs finaux du coltan si jamais celui-ci était exclu des chaînes d’approvisionnement.

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Dr. Nicholas Garrett

Co-Fondateur de BSP,
Chief Executive Officer (Directeur Général)

 

Chassé le naturel, il revient au galop. C’est ce qu’il convient de retenir de la SMB dont la réputation est connue en matière d’exploitation du coltan en RDCongo. Plusieurs ONG, syndicats des mineurs, services publics de l’Etat, voire les experts de l’ONU, s’en sont faits l’écho. Ayant opéré jadis à l’ombre du mouvement armé RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) devenu depuis lors parti politique et bénéficié de ses faveurs, telle l’acquisition d’une portion de la concession de SAKIMA comme butin de guerre, en l’occurrence le PE 4371, cette entreprise minière n’a jamais ménagé un effort pour œuvrer en marge du devoir de diligence de l’OCDE. Ses activités sont toujours caractérisées par des violations massives des droits humains et, de temps en temps, par l’insolvabilité vis-à-vis des exploitants artisanaux miniers qui, au travers de leurs syndicats, entre autres la COPERAMMA, s’avèrent impuissants afin de faire aboutir leurs revendications, voire leurs dossiers pendants devant la justice. Que des morts ! En atteste l’homicide ce 26 juin de trois personnes suite à une attaque à la grenade en pleine concession de la SMB couverte par le PE 4731, plus précisément dans le village de Kisura, secteur de Rumbaya, dans le Nord-Kivu. Les membres de la COOPERAMMA accusent les éléments de la police engagés par la SMB comme responsables de ce énième forfait en faisant usage d’une force excessive, ce que nie bien sûr cette dernière au travers de ses chiens enragés. Ce n’est pas la première fois que cette entreprise se comporte de la sorte. Début juin 2019, par exemple, la police des mines à son service a été accusée d’avoir tiré sur les creuseurs clandestins, faisant également trois morts et plusieurs blessés. Ce qui avait donné lieu à des manifestations populaires à la cité de Luhoho.

Compteur-incidents toujours en marche

Dernier en date, le crime de Kisura vient de faire tourner une fois de plus le compteur-incidents de la SMB. Ce qui fait un trop-plein et irrite les consciences. Il intervient un mois après la conclusion d’un nouvel accord pour une période de 6 mois entre cette dernière et la COPERAMMA sous le patronage de M. David Kamuha, Ministre provincial en charge des Mines et finances. Selon le communiqué final rendu public le 15 mai dernier au terme des discussions entre les deux parties, les convives avaient convenu d’étudier et d’adopter sous l’encadrement de l’autorité provinciale des mécanismes et modalités de collaboration entre elles, de poursuivre les activités minières dans le respect de la loi, de renforcer la traçabilité, la lutte contre la fraude et la contrebande minière sous toutes leurs formes dans le périmètre couvert par le PE 4731. Elles se sont engagées également à poursuivre le dialogue pour promouvoir un climat de paix sociale dans ledit périmètre, éviter toute communication susceptible de ternir l’image de la chaîne d’approvisionnement, redynamiser et rendre opérationnel le comité de suivi des activités minières dans la concession.

Qui est à la base de cet incident ? Les uns et les autres se rejettent la responsabilité comme indiqué ci-haut. Toutefois, il sied de noter que, excédée par les pratiques rétrogrades de la SMB, la COPERAMMA en était arrivée à adresser un mémo au Président Félix Antoine Tshisekedi l’année dernière. Elle accusait son partenaire, entre autres, de retards répétitifs allant jusqu’à trois mois dans le paiement des lots des minerais lui fournis, tricherie et rabais du pourcentage de la teneur des minerais, fixation unilatérale de prix à payer sans tenir compte du prix sur le marché, menaces aux creuseurs et aux propriétaires des puits, militarisation des sites miniers, incitation de policiers et militaires à la commission des actes répréhensibles par la loi (arrestations arbitraires, tortures, menaces de mort, coups et blessures, assassinats). Somme toute, de graves violations des droits de l’homme. Ces faits ont été confirmés par l’ITSCI (Initiative Internationale sur la Chaîne d’approvisionnement en Etain) par courrier du 09 août 2019 adressé à son Administrateur-Gérant, Ben Ngamije Mwangachuchu, frère d’Edouard Mwangachuchu Hizi, son vrai patron. Voulant ainsi masquer ses multiples incidents l’exposant gravement par rapport au devoir de diligence, la SMB dut prétexter les prix exorbitants pratiqués par l’ITSCI dans le retraçage des minerais pour embrasser le BSP.

Le BSP embarrassé

Le récent incident de Kisura est une goûte d’eau qui risque de faire déborder le vase. Le BSP en a conscience. Il opère ainsi, au travers de RCS Global, une fuite en avant en alarmant aussi bien les autorités congolaises que les parties prenantes internationales sur le risque encouru si jamais la SMB était coupée des chaînes d'approvisionnement suite à l'insécurité qui pourrait s’aggraver davantage autour de sa mine de coltan. Et RCS Global de renchérir, ainsi que le rapporte Reuters, qu’«un désengagement de l'achat de minerais du PE 4731, ou de l'arrêt des activités minières, serait extrêmement préjudiciable à la sécurité dans la région et pourrait aggraver les tensions, comme cela s'est produit en 2018 lorsque l'activité minière a été temporairement suspendue». Il souhaite donc vivement l'engagement du Gouvernement congolais et des consommateurs finaux, parce que bénéfique pour faire avancer les tensions sous-jacentes vers la résolution.

Dans sa tentative de sauvetage de la SMB, l’institution allemande clame sur tous les toits que son partenaire était en train de mettre en œuvre une série d'actions correctives pour répondre aux préoccupations concernant la chaîne d'approvisionnement après l'incident. Il s'agit, notamment, de former la police des mines au respect des principes volontaires en matière de sécurité et de droits de l'homme, de dialoguer avec les organismes provinciaux et de demander le soutien des autorités nationales. Mais, ce n’est pas la première fois que la société d’Edouard Mwangachuchu Hizi prend de tels engagements. C’est une récidiviste, si ce n’est pas cela son éthique. Seule compte l’exploitation du coltan à n’importe quel prix humain et seul semble aussi compter pour le BSP l’approvisionnement du marché international en ce minerai stratégique et ce, quel qu’en soit le coût.

 

(Lire aussi à ce sujet les articles “Traçabilité du coltan en RDC : le BSP balance entre le business et les règles” et “Coltan : connexion avérée de la SMB avec des mouvements rebelles et groupes armés”)