Arrêt CIJ : RDC vs OUGANDA Avis critique de Me Michel LION
RETROACTES
Le 23 juin 1999, Me Michel LION se rend au Greffe de la Cour Internationale de Justice à La Haye pour y déposer trois requêtes introductives d’instance contre l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Ces deux derniers pays n’ayant pas accepté la compétence obligatoire de la CIJ, ils déclinèrent cette compétence plutôt que de venir s’expliquer sur leur rôle devant la Cour.
Par contre, aucun problème de compétence ne pouvait être soulevé par l’Ouganda qui avait accepté la compétence de la CIJ depuis 1963.
L’objectif de la RDC était de faire trancher un différend relatif à des « actes d’agression armée perpétrés par l’Ouganda sur le territoire de la RDC en violation flagrante de la Charte des Nations Unies et de la Charte de l’UA ».
Me Michel LION fut désigné par le Président Laurent Désiré KABILA comme AGENT de la RDC devant la Cour, assurant ainsi une lourde responsabilité.
La requête déposée était accompagnée en annexe par deux Livres Blancs rédigés par le Ministre des droits humains SHE OKITUNDU reprenant déjà en détail les atrocités commises par les troupes ougandaises couvrant la période du 2 août 1998 au 30 avril 1999.
Une procédure en extrême urgence fut diligentée dès le 20 juin 2020 pour dénoncer l’implication de l’armée ougandaise à Kisangani qui se battait contre l’armée rwandaise dans le but de s’accaparer les richesses du pays occupé, à savoir la RDC.
Cette action fut un succès sur le plan juridique, une ordonnance étant prononcée le 20 juillet 2020, alors qu’en parallèle, sur le plan politique l’ONU prenait une résolution dans le même sens.
Ce n’est en définitive que le 19 décembre 2005 que la CIJ prononça un arrêt sévère contre l’Ouganda rencontrant tous les arguments de la RDC tels que présentés dans la requête introductive.
Si la RDC pouvait être très satisfaite de cet arrêt, celui-ci invitant les parties à s’entendre sur le montant des dommages subis par la RDC et par ailleurs sur le fait que l’Ouganda avait introduit des demandes reconventionnelles contre la RDC par suite de l’attaque par la population de son Ambassade à Kinshasa et des dommages subis par ses diplomates.
La Cour réservait ainsi à statuer sur les dommages si les parties n’arrivaient pas à un accord.
ET ENSUITE :
Me Michel LION n’intervient plus, le poste d’AGENT ayant tout naturellement été confié à l’Ambassadeur en poste à La Haye, S.E. Jacques MASANGU.
Il n’empêche qu’il émet un avis très critique sur le suivi de la procédure depuis 2005 à 2022 ayant suivi pas à pas l’évolution du dossier.
C’est ainsi qu’entre 2005 et 2015, plusieurs réunions se sont tenues entre les parties congolaises et ougandaises à Entebbe, Kinshasa et Johannesburg.
Il est important de souligner que la demande d’indemnisation réclamée par la RDC a été fixée dans un premier temps à vingt trois milliards cinq cents millions d’USD (23.5 milliards $).
Ce chiffre, tout à fait démesuré, représente trois fois le budget de l’Etat de la RDC pour l’exercice 2021 qui était de 7 milliards d’USD.
En parallèie à cette demande astronomique de la RDC, l’Ouganda proposait cent cinquante millions d’USD, tous dommages confondus (150 millions $).
Dans ces conditions, aucun rapprochement entre parties ne pouvait être envisagé même si la RDC a « réduit » par la suite ses prétentions à 13,5 milliards d’USD, et enfin à 11,350 milliards USD, chiffre présenté in fine à la CIJ.
L’on ne peut que regretter cette position de la RDC qui l’a certainement déforcée devant les quinze membres de la CIJ par manque de sérieux.
Comme on le sait, la CIJ a dans son arrêt du 9 février 2022 retenu un chiffre global pour tous les préjudices subis par « des individus et communautés congolaises » de trois cent vingt-cinq millions d’USD (350 millions $) et ce sans aucun, intérêt, la Cour faisant valoir qu’elle « a tenu compte du passage du temps ».
Et ce n’est pas tout : la Cour accorde au surplus des facilités de paiement à l’Ouganda, soit le paiement en cinq ans par tranche annuelle de 65 millions USD à partir du 1er septembre 2022. Ce n’est que dans la mesure où l’Ouganda ne respecterait pas ces échéances que des intérêts à 6 % s’appliqueraient automatiquement.
L’élément essentiel retenu par la Cour est le « manque de preuves » alors que la RDC a eu tout le loisir en 20 ans de peaufiner ces dossiers.
A la réflexion, ce montant de 325 millions USD à payer par tranches correspond approximativement à la somme de 150 millions USD proposée par l’Ouganda après l’arrêt de 2005 assorti d’un intérêt de 5 % !
Enfin, la Cour décide que les frais de procédure restent à charge de chacune des parties.
A ce sujet, très habilement, lors des dernières plaidoiries l’AGENT de l’Ouganda a informé officiellement la Cour que son pays renonçait à sa réclamation pour ses dommages propres alors que l’arrêt de 2005 avait reconnu deux demandes reconventionnelles de l’Ouganda recevables. Ce point a pesé sur la demande de la RDC de mettre tous les frais de justice à charge de l’Ouganda.
C’est dès lors assez hypocrite de la part de l’Ouganda de réagir en faisant valoir que l’arrêt de la CIJ est « injuste et erroné » et de plus l’Ouganda se verrait retirer tout financement du FMI et de la BM si elle ne respectait pas l’arrêt.
S’il y a eu de la démesure dans les prétentions de la RDC, l’on peut également remarquer que celle-ci s’est manifestée dans le nombre de défenseurs désignés par la RDC au nombre de trente et un (« avocats », « conseils », « conseillers » et « assistants »).
A noter qu’en début de procédure, l’équipe de Me Michel LION était composée de 8 personnes.
Enfin, la RDC s’est engagée à ce que « les indemnités dues par l’Ouganda seront réparties de manière équitable et effective entre les victimes du préjudice sous la supervision de la société civile et d’experts internationaux ». C’est une très bonne mesure qui ira dans le prolongement d’indemnités très modestes que le gouvernement congolais a avancé à certaines victimes.
Quant à poursuivre « pénalement » ies responsables des exactions commises contre la population comme le suggère certains commentaires de l’arrêt, il ne faut pas croire un seul instant de songer à prendre de telles mesures 20 ans plus tard.
CONCLUSIONS
La procédure devant la CIJ a été anormalement longue : de 1999 à 2022 soit 23 ans.
Si l’on parcourt les différents communiqués de la CIJ, à trois reprises les dates fixées pour plaidoiries ont été reportées à la demande de la RDC provoquant de graves perturbations quant à l’organisation de la Cour qui à chaque fois convoque 15 magistrats de 15 nationalités différentes venant du monde entier et qui se retrouvent à La Haye devant une audience blanche...
De plus, en soutenant dans leur mémoire et plaidoiries des montants d’indemnités irréalistes, la RDC s’est déforcée et n’a pas donné une image avantageuse vis-à-vis de la Cour.
Comme précisé dans le présent avis, l’Ouganda s’en sort comme grand gagnant au vu des faibles montants qu’il doit impérativement régler à la RDC.
L’on peut également relever qu’à cause de la longueur de la procédure, la plupart des magistrats ayant siégé lors de l’arrêt de 2005 ne sont plus en poste et sont remplacés par d’autres, provoquant une cassure dans le dossier.
L’arrêt du 9 février 2022 est définitif, aucun appel n’étant envisageable et par le fait même il lie les deux parties.
Fait à Bruxelles, le 14 février 2022.
Me Michel LION
Avocat au barreau de Bruxelles