Selon une étude réalisée par le Réseau Africain du Secteur de Sécurité (ASSN) en partenariat avec le Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et de la Justice (RRSSJ), environ 70% des prisonniers interrogés considèrent la prison de Makala comme un lieu de terreur.
Les résultats de cette recherche, axée sur les perceptions des prisonniers sur le centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (prison de Makala), ont été présentés lors d'une conférence publique qui s'est tenue ce jeudi 28 décembre 2023 à Kinshasa.
L'étude, menée par le professeur Oscar Shamba Bemuna, chercheur au centre de recherche en sciences humaines, et présentée par Me Tati Mantima Haris, assistant à l'école de criminologie de l'Université de Kinshasa, met en évidence une diversité de perceptions parmi les détenus, qui dépendent des conditions sociales de chaque prisonnier, de son statut social et de ses projets de vie.
Les entretiens et observations effectués dans la prison de Makala révèlent qu'elle est perçue comme un lieu de dépersonnalisation, où diverses techniques de mortification sont pratiquées. C'est également un endroit marqué par de nombreuses privations, telles que le manque de nourriture, d'espace de couchage adéquat et d'activités de loisirs, ce qui contribue à l'instauration d'une solidarité carcérale asservissante.
Par ailleurs, cette étude souligne que certains prisonniers ayant commis des crimes considèrent cet établissement pénitentiaire comme un lieu de sécurité, craignant les représailles à l'extérieur, tout comme les sans-abri. Environ 20% des prisonniers interrogés ont admis préférer être à l'abri des poursuites intentées par les victimes ou leurs familles après avoir commis des crimes. Pour certains détenus ayant des connexions ou des réseaux à l'extérieur, la prison est même perçue comme une destination touristique symbolisant l'affirmation de soi et un refuge.
Parallèlement, cette recherche met en évidence que la prison représente une opportunité pour certains détenus qui ont réussi à occuper des postes de responsabilité dans le gouvernement informel. Pour d'autres, notamment les membres de gangs (Kuluna) et les voleurs ayant des liens de réciprocité avec leurs pairs à l'extérieur, la prison est perçue comme un lieu d'accueil et de repos. L'étude révèle également que 90% de la population carcérale considère la prison de Makala comme un endroit où règne la loi du plus fort.
Les investigations ont également souligné l'absence de structures de rééducation et de réinsertion, telles que des formations professionnelles, éducatives et universitaires. Ainsi, la prison de Makala apparaît comme un lieu de perte de temps, en particulier pour les jeunes détenus, bien que certains la considèrent comme un lieu de retraite, de méditation et surtout de prise de conscience. Il en résulte que plus de 80% des prisonniers ressentent la privation de liberté comme une souffrance.
Suite à ces constatations, plusieurs recommandations ont été formulées pour humaniser cet établissement pénitentiaire. Il s'agit notamment de revoir la loi sur le régime pénitentiaire, d'améliorer le traitement du personnel pénitentiaire en augmentant son effectif, de supprimer ou réorganiser la gouvernance informelle et les collectes non réglementées, d'institutionnaliser des peines alternatives, d'éliminer les différences de traitement entre les prisonniers, de créer des structures de rééducation et de responsabilisation des détenus (structures d'autogestion carcérale) et de mettre en place des formations professionnelles et des ateliers pour occuper la main-d'œuvre carcérale.
« Nous avons adopté une approche de travail qui consistait tout d'abord à écouter les prisonniers afin de comprendre leur perception de leurs conditions de vie, de leurs droits et de leur mode de vie, etc. En réalité, nous avons donné la parole aux prisonniers. À travers leurs témoignages, nous avons saisi comment interagir avec les autorités pour influencer les politiques publiques en faveur de ces détenus. Lorsque nous examinons les résultats de cette étude, nous prenons conscience que la prison de Makala n'est pas seulement un lieu de privation de liberté, mais aussi un lieu où de nombreux droits sont bafoués. Des problèmes de santé, de logement, de surpeuplement, etc., y sont présents. Il est évident que ce centre de rééducation ne doit plus contribuer davantage à la promiscuité plutôt qu'à la création d'un environnement propice au changement », a commenté Emmanuel Kabengele, coordonnateur national du RRSSJ.
Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme Just Future (JF), financé par le gouvernement des Pays-Bas. Elle a impliqué des enquêtes menées pendant près de deux mois auprès des prisonniers de la prison de Makala, du 15 mai au 30 juin 2023.
Merveil Molo