«En tant que chefs d’Etat, lors d’une réunion, nous avons demandé : le M23, les membres de ce groupe sont-ils des Rwandais ou des Congolais ? Et la RDC nous a dit : Ce sont des Congolais. Fin du débat. Si ce sont des Congolais, comment est-ce que cela devient un problème du Rwanda ? Comment est-ce que cela devient un problème de Kagame ? La crise sécuritaire dans l’Est de la RDC et les tensions actuelles entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame ne pourront se résoudre que par une solution congolaise».
C’est en ces termes que le président kényan William Ruto s’est confié à Jeune Afrique et The Africa Report en marge de l’Africa CEO Forum 2024 tenu les 16 et 17 mai à Kigali, soit six jours avant sa visite d’Etat aux USA où il a été reçu en grande pompe ; son pays étant compté comme une des clés alliées des Américains sur le continent africain où la Chine et la Russie sont de plus en plus présentes. Vraisemblablement, ces termes constituaient les prémices de son plaidoyer dans le Bureau ovale pour Paul Kagame, dont Washington a, sous un verbe assez haut, dénoncé tout récemment, et ce pour la énième fois, le soutien aux rebelles du M23 et exigé le retrait de ses troupes de la RDC.
Le président kényan ne s’en est pas caché lors de la conférence de presse conjointe tenue avec son homologue américain à la Maison Blanche le 23 mai. Pince-sans-rire, il a déclaré qu’il n’y a pas de solution militaire dans l’Est de la RDC et toute possibilité d’une solution dans ce sens est à écarter. Il a, de ce fait, annoncé le début du dialogue entre les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda et le pouvoir de Kinshasa auprès duquel il avait dépêché son ministre des Affaites étrangères pour voir comment commencer, d’ici peu, ledit dialogue sous le processus de Nairobi.
Le raccourci de Ruto, un partenaire indigne de confiance
A Washington, ainsi qu’il en avait déjà donné le ton quelques jours à Kigali, le président William Ruto a joué au relai du narratif de son allié Paul Kagame, dont le fonds de commerce est connu et ne convainc plus quasiment personne à travers le monde, même si la communauté internationale, principalement les grandes puissances occidentales avec en tête les USA et le Royaume Uni, se montrent complaisantes et se réservent de toute sanction à l’endroit du Rwanda qui a envahi un pays souverain à l’instar de la Russie. Le successeur de Uhuru Kenyatta a, ce faisant, utilisé un raccourci, à l’image de l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, pour occulter la vérité dans le but de vouloir disculper le tyran rwandais de toutes les accusations portées contre lui comme envahisseur de la RDC opérant sous le label du M23, une fabrication sortie des laboratoires rwandais à l’exemple de l’AFDL, du RCD et du CNDP. La rwandalisation du M23 étant plus qu’avérée, Kigali a une nouvelle trouvaille : l’AFC avec Corneille Nangaa, ancien président de la CENI, une nouvelle marionnette dont le M23 sert de plateforme.
Si par absurde, la crise à l’Est de la RDC est une affaire congolo-congolaise, les membres du M23 étant des Congolais comme le soutient bien le président William Ruto, qu’est-ce qui justifie alors la présence des troupes rwandaises sur le sol congolais depuis des lustres et le soutien militaire rwandais aux soi-disant Congolais ? L’on évoquera sans doute les FDLR dont le fantôme hante le maître de Kigali ! Comment donc la crise sécuritaire dans l’Est de la RDC et les tensions actuelles entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame pourront se résoudre par une solution congolaise ? De quoi donc se mêle Paul Kagame s’il n’est pas tuteur des rebelles congolais ?
La démarche du président kényan procède d’une absurdité dans une absurdité. Il se fait à la fois aveugle et étourdi et pense ainsi déchirer et jeter dans la poubelle de l’histoire tous les rapports documentés de l’ONU et d’autres organismes internationaux relevant l’implication de Kigali dans la guerre qui déstabilise le Congo depuis 30 ans avec plus de 10 millions de morts et plus de 5 millions de déplacés internes qui ploient sous une crise humanitaire innommable, sur fond des pillages systématiques des richesses du sol et du sous-sol congolais. Il est donc inadmissible que le numéro kényan simplifie un conflit aussi complexe en ignorant délibérément les implications régionales et internationales qui exacerbent la crise.
Ce n’est pas moins un mépris à l’endroit de la RDC dont Nairobi, qui y a déjà acheté des banques, voudrait tirer aussi des grands profits sous les aisselles des grandes puissances qui sous-traitent certains pays africains pour leurs intérêts en Afrique, pourquoi pas dans le monde. L’envoi des 200 policiers américains en Haïti n’est pas moins une sous-traitance américaine dans ce pays. Il en va aussi du Rwanda, désormais sous-traitant des demandeurs d’asile en Grande Bretagne, au Mozambique pour le compte de la France. Il n’est pas un secret que Maputo s’avère un grain de sable dans l’engrainage de la Force de la SADC en RDC dont, le Kenya, entre autres, active l’échec.
Point de doute. Le Kenya travaille à l’affaiblissement de l’Etat congolais. En effet, l’instabilité de la partie orientale du Congo ouvre grandement la porte aux pillages des ressources de cette partie de la République et permet à tous les prédateurs de se servir sans scrupules. Le président William Ruto est donc un partenaire indigne de confiance de la RDC. La manière dont son pays a conduit la mission de la Force de l’EAC, qui a finalement quitté le sol congolais sur demande insistante des autorités congolaises, est très éloquente. Dans ce contexte, l’on se demande comment peut-il piloter avec objectivité le processus de Nairobi. A son avènement au pouvoir, il avait déjà choisi son camp en rappellant les troupes de son pays avant de se raviser.
La nouvelle géopolitique américaine en Afrique sous le prisme de la Chine et de la Russie
La guerre que se mènent les USA et la Chine, voire la Russie, a des répercussions sur la politique africaine des USA. Tout indique que Washington regarde les pays africains au travers de leurs relations avec la Chine et la Russie. Il voit ainsi dans certains pays, notamment le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda, des clés alliées sur le continent où l’empire du milieu et le pays des tsars sont de plus en plus présents. Ce qui est une grande inquiétude par ces temps de transition énergétique où la course à l’approvisionnement des minerais critiques et stratégiques est effrénée. Et la RDC, avec Félix Tshisekedi à la tête, ne semble pas rassurer.
En effet, l’interview accordée par le président congolais à la chaîne française LCI lors de sa visite d’Etat fin avril en France a ressemblé à un test de psychanalyse sur ses intentions sur les rapports avec la Chine et la Russie. Ce média a retourné les questions dans tous les sens pour appréhender les vrais sentiments de Félix Tshisekedi envers les Chinois et les Russes. Droit dans ses bottes, il ne les a pas traités avec mépris. Il y a donc à craindre que les USA et d’autres puissances occidentales voient la RDC à travers le prisme de la Chine et de la Russie.