Trêve humanitaire à l’Est : la RDC doit se forger une posture diplomatique, une indépendance d’actions face aux enjeux volatiles de ce moment imprévisible (Tribune d'Éric Kamba)

Jeudi 11 juillet 2024 - 12:21
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L’Est de la RDC connaît une trêve humanitaire depuis le 5 juillet à minuit, heure locale. Consécutive à la chute de Kanyabayonga, elle court jusqu’au 19 juillet, soit 4 jours après les élections rwandaises. Permettre le retour volontaire des personnes déplacées, soulager les souffrances des populations vulnérables et mettre en place les conditions nécessaires à une désescalade plus large, c’est ce qu’en attendent les Américains. Mais, ce retour des déplacés est utopique, car rien n’exclut la reprise des hostilités. Pis encore, pour ne pas attiser les tensions régionales, les USA s’opposent au soutien complet de l’ONU à la Mission de la SADC en RDC pour appuyer les FARDC à combattre le M23 soutenu par les RDF. De ce fait, la RDC est appelée à se forger une posture diplomatique, une indépendance d’actions face aux enjeux extrêmement volatiles de ce moment imprévisible et à ne plus tomber dans le piège des trêves humanitaires et des simulacres de cessez le feu qui ont toujours permis aux ennemis de terminer leurs tristes tâches. Tel est le réajustement de la position du CADA (Congo Action pour la Diplomatie Agissante) qui avait plaidé dans un premier temps pour un cessez-le-feu immédiat et général en lieu et place de la trêve humanitaire proposé par les Etats-Unis.

Ce n’est pas la première fois que les USA initient un cessez-le-feu en rapport avec le conflit à l’Est de la RDC. Le 11 décembre 2023, à 9 jours de la tenue des élections générales congolaises, ils avaient annoncé de la même manière une trêve. Conclue pour 72 heures, elle s’était étendue à une dizaine de jours. Et des combats intenses avaient repris aussitôt après les élections qui se sont tenues le 20 décembre 2023.

Huit mois plus tard, soit le 05 juillet 2024, ils sont à nouveau à la manœuvre. Cette fois-ci à la veille des élections générales qui se tiennent ce 15 juillet au Rwanda. Sans conteste, Paul Kagame, dictateur et roi tentant de s’habiller aux richesses de son voisin, va l’emporter comme d’habitude avec un score à la soviétique (99,0 %).

Courant jusqu’au 19 juillet, soit quatre jours après les élections rwandaises, cette trêve humanitaire est justifiée par la situation humanitaire désastreuse dans le Nord-Kivu. Elle tient aussi de l’expansion récente des combats qui ont débouché sur la chute de Kanyabayongo, localité stratégique donnant accès au Nord de la province du Nord-Kivu.

Les Américains sont d’avis que cette trêve a des atouts : permettre le retour volontaire des personnes déplacées, soulager les souffrances des populations vulnérables et mettre en place les conditions nécessaires à une désescalade plus large des tensions dans l’Est du Congo. Mais, leur démarche suscite bien de questions parmi des esprits rationnels, équilibrés et avertis : craindrait-on un mouvement de perturbations des élections au Rwanda à partir de la RDC ? Et de quelle manière étant donné que la probabilité du débordement des hostilités dans l’Est du Congo vers le Rwanda est vraiment infime ?

En effet, depuis 30 ans que dure ce conflit, l’histoire ne retient quasiment pas d’attaques contre le Rwanda à partir du Congo. C’est plutôt le pays de Patrice Lumumba qui paie le lourd tribut. Le Rwanda y a délocalisé sa guerre.

Washington aurait-il aussi anticipé sur l’exacerbation des souffrances des populations après la chute de Kanyabayonga, suivie de la progression fulgurante de la coalition RDF/M23 vers les agglomérations populeuses de Lubero, Beni et Butembo ? Dans tous les cas, limiter le plus possible des dégâts sur le plan humain dans un conflit qui n’en fit pas depuis trente ans est plus que souhaitable. Mais l’offre américaine, alléchante soit-elle, n’est qu’un pis-aller. C’est juste un petit moment de répit pour ces populations qui vivent un martyre et qui ne savent plus à quel saint se vouer.

Qu’adviendrait-il après la fin de cette trêve ce 19 juillet ?  Tout sauf un miracle. Et l’expérience a démontré que les agresseurs de la RDC ont toujours profité de ces moments pour consolider les positions acquises, se réorganiser et voler des conquêtes en conquêtes. Ce énième cessez-le-feu constitue-t-il un point de départ pour la mise en place des conditions nécessaires à une désescalade plus large des tensions dans l’Est du Congo ? Ce n’est pas évident. Washington s’est opposé ce 08 juillet devant le Conseil de sécurité au soutien complet de l’ONU à la Mission de la SADC en RDC (SAMIRDC) sollicité par l’UA et la SADC pour appuyer l’armée congolaise à combattre les rebelles du M23 soutenus par l’armée rwandaise. Il en a appelé à un soutien limité, sous prétexte de ne pas attiser les tensions régionales.

En d’autres termes, l’on trouve des aménagements pour le Rwanda qui, le cas échéant, resterait un épouvantail. Raison sans doute pour laquelle les USA n’entrevoient que la solution politique dans ce conflit. Ce qu’a rappelé récemment le président angolais Lourenço, médiateur dans ledit conflit, à son retour d’Abidjan. Prudent, le gouvernement congolais revoit la copie et ses forces sur le terrain sont vigilantes afin de parer à toute éventualité.

Dans ces conditions, le retour volontaire des personnes déplacées envisagé par les Américains est une absurdité. C’est une façon de demander aux victimes de se livrer à leurs bourreaux qui, entre-temps, ont pris possession de leurs terres et les administrent à leur guise.

Un contexte géopolitique peu favorable au Rwanda

La chute de la localité de Kanyabayonga n’explique pas à elle seule l’initiative des Américains. Encore moins les élections au Rwanda. Le contexte géopolitique dans lequel elle survient nécessite ainsi un décryptage.

De un, la prochaine présidentielle américaine s’annonce catastrophique pour les démocrates dont le candidat, en l’occurrence Joe Biden, n’est pas en point.  Sa prestation au rabais lors du débat avec son challenger Donald Trump a plongé son camp politique dans l’angoisse au point que des voix se lèvent pour exiger son retrait de la course à la Maison Blanche. Le retour de Trump est donc envisageable. Souverainiste, il a déjà annoncé ses couleurs pour mettre fin à la guerre en Ukraine et inquiète les mondialistes américains, plus proches des démocrates, dont Paul Kagame est l’outil indiqué dans les pillages systématiques des ressources de la RDC (Charles Onana, 2023).  

De deux, la reconfiguration politique en France à la suite des élections législatives anticipées va impacter sûrement la politique étrangère. Ce qui va, à coup sûr, relativiser le soutien du président français à son homologue rwandais.

De trois, la suspension de l’assistance annuelle militaire de 20 millions d’euros au profit du Rwanda par l’Union européenne est une indication que Paul Kagame n’a plus droit à un chèque en blanc outre la Méditerranée. Certains pays sont en train de retrouver la raison eu égard aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui se poursuivent en RDC.

De quatre, l’annulation annoncée du projet d’expulsion de migrants vers le Rwanda par le nouveau premier ministre britannique Keir Starmer est un coup d’estocade porté contre Paul Kagame. La réorientation de la politique étrangère de Londres envers le Rwanda est en marche. De même que son débranchement du cordon de la bourse britannique qui lui a donné droit à des pactoles à l’instar de 280 millions USD touchés en rapport avec l’expulsion de migrants et dont Kigali n’envisage pas du tout le remboursement.

De cinq, une fois de plus, le récent rapport du groupe d’experts onusiens sur la RDC vient de confirmer la présence active des milliers de soldats rwandais aux côtés du M23 sur le sol congolais. L’Ouganda est aussi accusé d’avoir ouvert son territoire à la coalition RDF-M23 et mis à sa disposition des renseignements. Même si l’Ouganda s’en défend, il reste que son appui à cette force est un secret de polichinelle. La chute de Bunagana en est une illustration.

De six, la cession des terres au Rwanda par le Congo-Brazzaville passe de plus en plus mal. Le PCT (Parti Congolais du Travail), le parti présidentiel, s’est invité dans ce dossier et a échangé à cet effet avec le Sénat. La reconsidération de cet accord est de plus en plus probable. Ce qui priverait Kigali d’une base avancée dans ce pays pour attaquer la RDC en traversant le fleuve Congo et éventuellement conforter les milices monbondo qui opèrent dans la périphérie de Kinshasa.

Point de doute. L’horizon s’obscurcit sur un pays manipulateur qui a falsifié à la baisse le taux de pauvreté pour bénéficier des récompenses de bonne gestion. Il perd progressivement son aura dont l’éclat n’était que de l’or plaqué. La communauté internationale est ainsi prise dans son propre piège et peine à reconsidérer sa position envers ce pays, à la limite voyou.

Les USA loin de lâcher Paul Kagame, défenseur de leurs intérêts en Afrique

Depuis l’avènement de Félix Tshisekedi au pouvoir, Paul Kagame perd en influence en RDC. Aussi, la diplomatie agissante menée par la RDC a, dans une certaine proportion, entamé son prestige sur le plan international.

Malgré des récriminations dont il est de plus en plus l’objet, les USA restent son plus grand soutien. Le président Bill Clinton avait trouvé en sa personne, souligne Charles Onana, le nouveau défenseur des intérêts des Etats-Unis en Afrique.

En effet, la région des Grands Lacs africains, avec les potentialités inestimables de son sous-sol ainsi que sa position centrale sur le continent africain, figure en bonne place dans la shopping list des stratèges de Washington. Et la RDC est en première position à cause d’énormes opportunités économiques qu’elle offre. Pays solution en rapport avec la transition énergétique, il est plus convoité que jamais, voire par la Russie, au point d’être un facteur de la guerre que les USA, y compris les autres pays occidentaux, livrent à la Chine.

Avec une politique d’approvisionnement basée sur la diversification des sources sous-tendue, notamment, par le développement des partenariats et des IDE (Investissements Directs Etrangers), dit le professeur Raphaël Matamba de l’Université de Kinshasa, la Chine s’est ancrée dans de nombreux pays et a consolidé sa part quant à la production desdites matières et s’en est adjugée même le contrôle sur le plan mondial, contraignant ainsi à la dépendance vis-à-vis d’elle aussi bien les Européens que les Américains. Par exemple, en RDC qui détient 50 % des réserves mondiales en cobalt, c’est la Chine qui tient quasiment toute l’exploitation industrielle, laissant celle artisanale aux autres. L’on pourrait donc comprendre les pressions tous azimuts exercées par les USA sur la RDC afin de déloger la Chine qui, contre toute attente, y a raffermi sa position en acceptant de payer 7 milliards USD supplémentaires dans le cadre des contrats dits chinois.  

Dans cette situation, Paul Kagame semble avoir été la personne, si on en croit à Charles Onana, indiquée pour accepter de livrer le Congo-Zaïre à l’appétit des «investisseurs étrangers» ou des mondialistes américains sans que cela ne soit trop visible. L’agression rwandaise par des Congolais masqués en constitue la voie par excellence.

La RDC à la croisée des chemins

La RDC est à un tournant décisif. Elle a l’obligation de faire un choix en ce moment précis où la géopolitique semble tourner en sa faveur. La marche du M23 n’est-elle pas semblable à celle de l’AFDL. Aussi, le perfide Corneille Nangaa n’a pas l’étoffe de l’ultra nationaliste Laurent-Désiré Kabila.

C’est à la RDC de se forger une posture diplomatique, une indépendance d’actions face aux enjeux volatiles de ce moment imprévisible. Sur fond, bien entendu, de la restructuration de l’armée dont le commandement semble accuser des failles sur le terrain, non sans oublier la disharmonie qui caractériserait les rapports entre l’Etat-major général des FARDC, la Maison militaire du chef de l’Etat et le Ministère de la Défense.

Au-delà de tout, il appartient en dernier ressort au président Félix Tshisekedi de donner une véritable impulsion et d’engager les FARDC, les volontaires de la nation, ainsi que les alliés de la SADC pour en terminer une fois pour toutes avec cette guerre qui n’en finit pas depuis 30 ans. Aussi la RDC devra-t-elle éviter de tomber une fois de plus dans les simulacres des trêves humanitaires et des cessez-le-feu qui ont toujours permis aux ennemis de terminer leurs tristes tâches.

Des signaux forts sont donc attendus. Surtout sur le plan de la gouvernance en menant une lutte acharnée contre la corruption, le détournement des deniers publics et l’impunité. Le vrai casting au sein du Cabinet du président Félix Tshisekedi et la mise en train du gouvernement sont aussi escomptés. C’est à ce prix notamment que le président de la République va susciter une forte adhésion du peuple non seulement à ses actions, mais aussi pour résister à la forte pression extérieure.  

Éric Kamba, Geo-Strategist, coordonnateur de CADA

 

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