
La Journée mondiale de la liberté de la presse du 03 mai a été célébrée en RDC alors que le pays est en proie à une guerre d'agression orchestrée par le Rwanda, laissant une partie de son territoire sous occupation. Cette triste réalité place les professionnels des médias congolais face à un dilemme complexe, oscillant entre leur devoir d'informer et leur sentiment patriotique face à une menace existentielle.
Dans un entretien accordé à 7SUR7.CD, le journaliste congolais, lauréat du Prix Africain 2009 de la Liberté de la Presse et journaliste d'investigation basé dans l'Est du pays, a évoqué les défis déchirants auxquels sont confrontés ses confrères.
Selon lui, lorsque les villes de Goma et de Bukavu sont tombées entre les mains du M23/AFC, des journalistes se sont retrouvés pris au piège, partagés entre la fuite, la collaboration forcée ou le maintien d'une couverture risquée. L'aide apportée par des organisations de défense des journalistes, bien que louable, a parfois semblé sélective et arbitraire, exacerbant le sentiment d'isolement de certains, a-t-il déploré.
À l'en croire, certains journalistes formés par des organisations occidentales à considérer leur profession "au-dessus du patriotisme" se sentent aujourd'hui désarmés face à la brutalité du conflit et à la nécessité de défendre leur patrie par les mots alors que la guerre menée contre la RDC n'est pas uniquement militaire ; elle est également économique, financière, médiatique, technologique, culturelle, idéologique, écologique et religieuse.
Pour lui, dans cette arène complexe, la compétition médiatique s'intensifie, chaque journaliste étant théoriquement libre de choisir son camp, ses opinions, et même de relayer le discours de l'agresseur.
"Ce marché de l'information en temps de guerre est particulièrement vulnérable à la désinformation et à la manipulation. Les fausses nouvelles se propagent avec une rapidité déconcertante, obscurcissant la vérité et complexifiant davantage la tâche des journalistes soucieux d'informer avec exactitude. Il est alarmant de constater que de nombreux journalistes congolais peinent encore à identifier les motivations profondes de l'agression rwandaise, certains étant même amenés à croire que le problème réside en leur propre leadership national. La persistance de l'idée que le journalisme transcende le patriotisme contribue également à cette confusion", a-t-il dit à 7SUR7.CD
Nicaisse Kibel Bel soutient que la presse congolaise se trouve ainsi tiraillée entre la simple transmission d'informations et un enracinement profond dans la réalité complexe du conflit. À l'en croire, une véritable "déconstruction des jugements établis" (débiasing) s'avère indispensable pour permettre aux journalistes de démêler les fils de la désinformation et de comprendre les objectifs réels des agresseurs.
Ce journaliste primé en 2009 à Durban en Afrique du sud par CNN par le "prix africain de la liberté de la presse" exhortait les médias du monde entier à examiner objectivement la situation en RDC et à dénoncer les agendas cachés des puissances étrangères. Son cri du cœur, à la fois celui d'un professionnel de l'information et d'un patriote, pointait, selon lui, la solitude de ceux qui, armés uniquement de leur plume, tentent d'alerter sur la tragédie en cours.
Face à une guerre d'agression, Nicaisse Kibel Bel rappelle que le journaliste congolais est confronté à un impératif moral : celui de défendre la vérité pour défendre sa nation car la neutralité à tout prix, prônée dans des contextes pacifiques, se révèle ici une posture délicate, voire dangereuse.
David Lupemba, à Goma