
Lors de l’audience solennelle marquant la rentrée judiciaire 2025-2026, ce samedi 18 octobre 2025, le procureur général près la Cour constitutionnelle, John Prosper Moke Mayele, a axé sa mercuriale sur « la problématique du contrôle de constitutionnalité des décisions juridictionnelles par la Cour constitutionnelle ».
Il a mis en lumière la tendance de la Cour constitutionnelle de la RDC à élargir ses compétences au-delà de ce que prévoient l’article 162, alinéa 2, de la Constitution, ainsi que les articles 43 et 48 de la loi organique nᵒ 13/026 du 15 novembre 2013. Selon lui, la Cour s’est progressivement octroyé la compétence de contrôler la constitutionnalité des décisions judiciaires.
Une évolution jurisprudentielle progressive
S’appuyant sur plusieurs arrêts, le PG Moke Mayele a rappelé que la Cour constitutionnelle avait d’abord admis la possibilité d’examiner certains actes législatifs en dehors des cas explicitement prévus par les textes, avant d’étendre sa compétence au contrôle de constitutionnalité des décisions de justice.
Il a souligné que la Cour suprême de justice — puis la Cour constitutionnelle — avait justifié cette extension par le pouvoir régulateur du juge constitutionnel. En citant le professeur Louis Favoreu, le PG a expliqué que ce pouvoir permet au juge constitutionnel non seulement d’assurer la conformité des lois à la Constitution, mais aussi d’organiser, corriger et stabiliser le fonctionnement des pouvoirs publics, d’arbitrer les conflits de compétences et de garantir le respect des principes constitutionnels.
Un fondement dans l’État de droit et la protection des libertés
« La Cour justifie l’extension de sa compétence en se fondant sur l’idéal de l’État de droit découlant de l’article premier de la Constitution et sur la protection des droits et libertés individuels », a martelé le PG John Prosper Moke Mayele.
Toutefois, cette posture suscite un vif débat au sein des milieux juridiques. En effet, les décisions de justice devenues irrévocables acquièrent l’autorité de la chose jugée. D’où une question fondamentale : comment une telle décision peut-elle encore être attaquée en justice ? Le contrôle de constitutionnalité des décisions judiciaires constituerait-il alors une nouvelle voie de recours créée par la Cour constitutionnelle ?
Le contrôle de constitutionnalité : un instrument de protection, non une nouvelle voie de recours
Répondant à ce questionnement, le PG Moke Mayele a précisé que la requête en inconstitutionnalité des décisions judiciaires devant la Cour constitutionnelle ne constitue pas une instance nouvelle.
Selon lui, il s’agit à la fois d’un instrument de protection de l’ordre constitutionnel, autrement dit du bloc de constitutionnalité, et d’un instrument spécifique de protection des droits fondamentaux.
«Loin d’être une nouvelle voie de recours, le contrôle de constitutionnalité des décisions de justice est un instrument spécifique de protection des droits fondamentaux », a-t-il insisté.
Pour le PG, le contrôle des actes juridictionnels par les juridictions constitutionnelles élargit le champ de leur supervision afin d’assurer la soumission des institutions publiques aux normes constitutionnelles. Ce mécanisme permet ainsi à la Cour constitutionnelle de veiller à ce que les juridictions inférieures appliquent la Constitution telle qu’elle-même la détermine.
Un phénomène observé dans d’autres pays
Procédant à une comparaison internationale, le procureur général a démontré que cette évolution jurisprudentielle n’est pas propre à la RDC. Plusieurs pays, a-t-il souligné, ont intégré ce type de contrôle dans leurs textes constitutionnels, confirmant qu’il s’agit d’une tendance mondiale du droit constitutionnel contemporain.
Avant de conclure sa mercuriale, le PG Moke Mayele a insisté sur la nécessité de maintenir un encadrement strict de ce contrôle de constitutionnalité, assorti de conditions de recevabilité rigoureuses. L’objectif, selon lui, est d’éviter toute dérive vers une révision généralisée du contentieux judiciaire.
L’enjeu pour la Cour constitutionnelle, a-t-il expliqué, réside dans la recherche d’un équilibre entre l’efficacité du contrôle constitutionnel et le respect du principe de l’égalité des compétences, condition indispensable à la crédibilité et à la légitimité de la justice constitutionnelle en RDC.
Un appel au législateur
En conclusion, le procureur général John Prosper Moke Mayele a appelé le législateur à formaliser le contrôle de constitutionnalité des décisions judiciaires. Cette formalisation, a-t-il précisé, permettrait d’éviter la paralysie de la Cour par des requêtes abusives et de prévenir l’insécurité juridique pour les bénéficiaires des décisions de justice.
ODN