CPI : Bemba entre l’enfer et le paradis

Vendredi 14 novembre 2014 - 12:44

On s’achemine inexorablement vers l’issue de cette affaire judiciaire qui a fait couler pas mal d’encre et de salive et qui oppose depuis six ans l’ancien vice-président de la RDC et la Procureure près la Cour Pénale Internationale ainsi que les familles des victimes de Bangui. Après le réquisitoire de la Procureure suivi avant-hier de la déposition du délégué des victimes, la défense de Jean-Pierre Bemba a plaidé hier et l’affaire a été prise en délibéré par la chambre siégeant pour « un verdict dans une période raisonnable » a indiqué la juge présidente Mme Sylvia Steiner à la fin de l’audience d’hier.

Arrêté à Bruxelles en juillet 2008 et immédiatement transféré à la Haye en exécution d’un mandat d’arrêt lancé par M. Luis Moréno Ocampo, alors procureur de l’époque, le procès de Jean-Pierre Bemba ne s’est ouvert qu’en novembre 2010.

Bemba poursuivi comme «chef militaire »

On se trouve donc devant deux thèses opposées. L’une provenant de l’accusation considère l’ancien vice-président non pas comme auteur ou co-auteur mais en tant que « chef militaire » en vertu du principe « de responsabilité du commandant ». Selon la procureure près la CPI, Jean-Pierre Bemba avait le contrôle effectif de ses miliciens en Centrafrique et ceux-ci avaient violé « tout ce qui se trouvait sur leur chemin, tué et pillé la population civile ». Des crimes de guerre et contre l’humanité, a conclu l’accusation.

Bemba n’a jamais mis pieds à Bangui

Pour la défense, il a été établi que le leader du MLC n’a jamais mis ses pieds à Bangui tout au long des affrontements entre l’armée régulière centrafricaine et les éléments de la rébellion commandés par François Bozize. En ce moment-là, il se trouvait à Sun City en Afrique du Sud pour participer aux travaux des négociations politiques inter congolaises. Tous les spécialistes militaires appelés comme experts à la barre de la CPI lors de ce procès ont affirmé que l’on ne peut pas commander une armée à partir de Gbadolite et de Sun City.

En clair, Jean-Pierre Bemba n’a pas pu garder « le contrôle opérationnel effectif de ses miliciens qui ne faisaient pas partie de l’armée régulière et qui se trouvaient dans un autre pays », a indiqué Me Kate Gibson, l’une des avocates de Jean-Pierre Bemba. Avant de préciser que dès que ces éléments de l’armée du MLC ont débarqué sur le Beach de Bangui, ils avaient été placés sous le commandement de l’Etat Major Général centrafricain qui leur avait remis des armes et munitions ainsi que des tenues de l’armée centrafricaine. Ce sont des officiers de l’armée régulière centrafricaine qui avaient été chargés de les conduire partout sur le territoire de ce pays pour traquer les rebelles de François Bozize. Ces miliciens du MLC se battaient aux côtés de l’armée centrafricaine et des contingents venus de Tripoli pour sauver le régime légal et légitime d’Ange-Félix Patassé en butte à la rébellion dirigée alors par le général François Bozize et « si tous les contingents au sein d’une coalition internationale suivaient les ordres de leurs propres chefs, ce serait le chaos » a-t-elle souligné. En ajoutant « qu’il n’existe aucune preuve d’un ordre venant de M. Bemba vers ses troupes en Centrafrique et les thèses de l’accusation ne sont que des hypothèses ».

De même, au cours de l’instruction de cette affaire en audiences publiques, des officiers supérieurs centrafricains se sont succédé à la barre pour confirmer que M. Bemba n’a jamais mis ses pieds à Bangui et que ses troupes avaient été placées sous le commandement de l’Etat Major Général de l’armée centrafricaine pendant toutes les opérations de ratissage de la capitale. Ce faisant, comment Bemba pouvait-il savoir ce qui se passait à Bangui ? Comment et pourquoi le procureur près la CPI n’a jamais lancé des mandats d’arrêt à charge des officiers supérieurs centrafricains, libyens, des responsables politiques du gouvernement légal de M. Ange-Félix Patassé et toute autre personne qui avait été mêlée de près ou de loin à ces atrocités ? Notamment le général François Bozize dont les éléments ont été reconnus coupables de ces atrocités selon des témoignages concordants des médias périphériques et des activistes des droits de l’homme opérant en Centrafrique dont notamment un avocat tué dans un accident bizarre alors qu’il enquêtait dans les territoires du Nord et du Centre de la RCA sur les exactions attribuées aux éléments de la rébellion de François Bozizé.

Jurisprudence de la CPI

Il ya deux ans, la Cour Pénale Internationale avait rendu un arrêt acquittant le Congolais Matthieu Ngudjolo, ancien chef de milice dans l’Ituri, pourtant poursuivi pour crimes de guerre et contre l’humanité. Les juges ont considéré que le suspect n’avait pas été présent sur les lieux des crimes lui attribués, il se trouvait au contraire dans un centre de santé comme infirmier pour assister des femmes à accoucher. Il s’agit-là d’une jurisprudence qui va se retourner contre l’accusation et déjà cas similaires ont été soulevés au Tribunal Pénal International sur le Rwanda et en ex-Yougoslavie.

F.M.