Croisade internationale contre les violences sexuelles: le plaidoyer de Jeannine Mabunda

Jeudi 7 avril 2016 - 15:38
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Lutter contre les violences sexuelles en RDC Par  Jeanine Mabunda

 

La République Démocratique du Congo (RDC) émerge d'un héritage de conflits – le plus meurtrier du monde depuis la Seconde Guerre mondiale.

 

Cette longue période d'instabilité a permis un cycle de violence où le viol a été utilisé comme une arme pour terroriser, subjuguer et contrôler. Les auteurs de crimes opéraient impunément, tandis que l’État   et les structures sociales communautaires s'effondraient.

Suite à la défaite des forces rebelles de M23 en 2013 et à un retour à la paix qui s’en est suivi, la RDC a actuellement l'opportunité et la responsabilité de lutter contre les violences sexuelles. Ceci a terni notre identité et donné lieu à l'étiquetage du pays comme étant la « Capitale mondiale du viol ».

Les congolais sont disposés à récupérer leur image nationale définie en termes de potentiel du pays et non par le poids de son passé violent. En juillet 2014, le Bureau du Président de la République a créé mon bureau, chargé de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement des enfants, nommant ainsi un Représentant Personnel à sa tête.

 

Notre mission consiste à prioriser des interventions, étant donné les nombreuses demandes émanant de notre population et l'immensité de la RDC. Nous avons résolu de mettre l'accent sur plusieurs domaines prioritaires, notamment sur la lutte contre l'impunité, le recours aux systèmes de justice civile et militaire, la prestation de services aux victimes, l’autonomisation des femmes et des filles et l’établissement d’une tolérance zéro pour ce qui concerne les violences sexuelles à l’intérieur de nos frontières.

Aujourd’hui, nous constatons la réalisation des résultats, au fur et à mesure de leur traçabilité, et tel que documenté par les Nations Unies (ONU) et d'autres organisations.

Le rapport préliminaire du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les violences sexuelles dans les zones de conflits fait état d'une baisse de 50 % dans l’ensemble des cas de violences sexuelles en RDC depuis 2013 ; le rapport complet devrait être rendu public au mois de mai. Un récent monitoring judiciaire national mené par le gouvernement a constaté que 2 414 cas de viols avaient été enregistrés par des tribunaux civils en 2015, soit une baisse de 19,7 % par rapport à 2014.

 

Une réduction encore plus spectaculaire a été notée dans le nombre des cas enregistrés par des tribunaux militaires, soit une réduction de 34 % au cours de la même période. Ces chiffres sont encore trop élevés, mais des progrès sont en cours de réalisation, et nous continuons à perfectionner et à standardiser les méthodologies en vue d’une collecte et analyse de données plus exactes.

On a dénombré 135 condamnations à travers le système judiciaire militaire pour les cas de viols perpétrés en 2014, et 111 condamnations en 2015, y compris les condamnations d'officiers militaires de haut rang. Ces chiffres sont faibles par rapport aux 15.352 incidents liés aux violences sexuelles enregistrés par le gouvernement en 2013 seulement, dont les Nations Unies estiment que 29 % étaient commis par la sécurité nationale et les acteurs étatiques.

 

Cependant, nous savons que la lutte contre l'impunité doit partir du sommet. Cette lutte exige la volonté politique en vue de tenir chaque personne responsable, peu importe sa fonction, et quel que soit son rang.

Pour faire face aux demandes de justice dans le secteur civil, des audiences foraines ont été déployées avec l’appui du gouvernement national et local ainsi que des acteurs privés, y compris les ONG. L'an dernier un tribunal mobile s'est rendu à Bunia, une région isolée le long de la frontière ougandaise. Après plusieurs jours de délibérations, la Cour a obtenu des condamnations pour 46 auteurs de viols et de violences sexuelles.

Des programmes novateurs comme celui-ci visent à relever les nombreux défis logistiques en matière de justice dans un grand pays aux infrastructures limitées.

En ce qui concerne les enfants soldats, entre 2003 et 2015, 46 087 enfants ont été retirés de l’armée et des groupes armés en RDC. Actuellement, il existe des projets partout dans le pays, mis en œuvre en coordination avec de nombreux partenaires, visant la réinsertion sociale et économique des ex-enfants soldats et victimes de violences sexuelles.

 

Nous espérons vivement que l'ONU retirera la RDC de la liste, confirmant ainsi que les enfants ne sont plus engagés dans des conflits armés en RDC.

Dans le cadre de notre stratégie globale, la RDC a accordé la priorité à l'éducation et mis en place des politiques structurelles agressives à l'appui de l'éducation des filles. Nous œuvrons  à construire 1 000 nouvelles écoles chaque année et des améliorations significatives ont été enregistrées dans l'indice de parité entre les genres. Plus de 17 millions d'enfants sont aujourd'hui scolarisés en RDC, contre 7 millions il y a quatre ans.

 

Au-delà des chiffres, les citoyens marginalisés, particulièrement les femmes et les filles, doivent recouvrer leurs droits. L'an dernier, avec l’appui de l'ONU Femmes et du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), une campagne intitulée Briser le Silence ! a été lancée, afin d’amorcer un dialogue national sur les violences sexuelles et permettre aux victimes de s'exprimer.

La campagne vise à changer le comportement social, à favoriser la tolérance zéro pour les violences sexuelles, tout en accordant au peuple congolais, en particulier aux jeunes, une voix pour reconquérir leur pays.

Récemment, l'ONU a signalé une augmentation inquiétante des allégations d'abus sexuels portées contre ses Casques bleus, avec 69 plaintes déposées l'année dernière contre les troupes de 21 pays, opérant dans 10 différentes missions de l'ONU.

 

Vingt soldats de la RDC font actuellement face à des accusations de crimes qui auraient été commis en République Centrafricaine. Ils ont été rapatriés vers la RDC pour y subir un procès. La Cour Militaire de Garnison de la Gombe a entamé ses poursuites contre les militaires le 28 mars.

Tous les cas de violences sexuelles sont horribles. Ces actes, commis par ceux qui devraient assurer la protection des plus vulnérables, sont particulièrement flagrants.

La RDC tiendra ses casques bleus responsables, de la même manière que nous poursuivons notre plus grande lutte contre l'impunité. Nous sommes prêts à servir d'exemple dans la lutte mondiale contre les violences sexuelles et à tirer des leçons sur comment nous, en tant que communauté des nations, n'avons pas réussi à préparer nos casques bleus à être protecteurs.

Enfin, nous sommes prêts à offrir des leçons apprises dans notre croisade contre les violences sexuelles dans un environnement fragile de post-conflit, permettant ainsi aux autres de pouvoir tirer des enseignements de nos expériences acquises. Certes, la RDC ne fait que commencer à gratter la surface. Cependant, des progrès sont mesurés, et c'est vrai.

 

 

Cet article a été publié pour la première fois en anglais, dans « This is Africa », une publication de Financial Times, Ltd. 

http://www.thisisafricaonline.com/News/Fighting-sexual-violence-in-the-DRC?ct=true