En deux ans, Ebola a fait officiellement 11 315 morts. L’Alliance du vaccin (Gavi) va financer la recherche pour un vaccin contre Ebola. Sans financement public, les laboratoires se détournent des maladies concernant les patients les plus pauvres.
L’épidémie d’Ebola a servi de leçon à la communauté internationale. Quelques jours après l’annonce de la fin de l’épidémie en Afrique de l’Ouest, Gavi, l’Alliance du Vaccin a annoncé la signature d’un partenariat avec le laboratoire pharmaceutique Merck pour accélérer la recherche d’un vaccin contre le virus.
« Les souffrances causées par l’épidémie d’Ebola ont constitué un électrochoc pour la communauté internationale de santé publique », a déclaré Seth Berkley, directeur exécutif de Gavi. « Face aux nouvelles menaces, il faut trouver des solutions adaptées, et notre accord de financement avec Merck, totalement innovant, nous permettra d’avoir une longueur d’avance en cas de nouvelles épidémies ».
Contrat d’achat anticipé
L’Alliance du vaccin, financé en grande partie par les gouvernements des pays développés, des fondations et le secteur privé, a conclu un contrat d’achat anticipé de 5 millions de dollars avec Merck
Le laboratoire devra en contrepartie mettre à disposition 300 000 doses du vaccin d’ici mai 2016 pour faire face à une éventuelle recrudescence de l’épidémie, sous réserve d’homologation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : Gavi pourrait commencer à l’acheter pour créer un stock d’urgence dans l’éventualité de futures épidémies.
Dans un second temps, le laboratoire américain devrait soumettre une demande d’autorisation de mise sur le marché d’ici la fin 2017.
Le virus Ebola, ou fièvre hémorragique Ebola, est une maladie qui contamine les êtres humains et les primates par le sang ou les liquides biologiques d'un animal infecté, généralement un singe ou une chauve-souris. Il n'est pas encore prouvé que la contamination se déroule également par l'air dans un environnement naturel. La maladie est mortelle entre 50 et 90 % des cas.
Plus de 11 000 morts
La période d'incubation dure généralement entre 8 et 10 jours, mais peuvent osciller aller de 2 à 21 jours. Aucun traitement spécifique au virus Ebola n'existe à l'heure actuelle, mais des vaccins expérimentaux ont été testés durant l’épidémie au Libéria, un des pays les plus touchés.
En deux ans, l'épidémie a fait officiellement 11 315 morts pour 28 637 cas recensés à travers dix pays, dont l'Espagne et les États-Unis. Ce bilan, sous-évalué selon l'OMS, est supérieur à toutes les épidémies d'Ebola cumulées depuis l'identification du virus en Afrique centrale en 1976.
Le développement d’un vaccin contre Ebola s’annonce d’autant plus urgent qu’au lendemain de la fin de l’épidémie d’Ebola, annoncée par l’Organisation mondiale de la Santé, un nouveau cas a été confirmé en Sierra Leone le 15 janvier.
« Nous sommes à un moment critique de l’épidémie d’Ebola alors que nous passons de la prise en charge des cas et des patients à la prise en charge du risque résiduel de nouvelles infections », a déclaré hier le Dr Bruce Aylward, Représentant spécial de l’OMS pour la riposte à Ebola. « Nous prévoyons de nouvelles résurgences et nous devons nous y préparer. »
L’annonce du partenariat a été saluée par Médecin sans Frontières (MSF). Mais l’ONG restera vigilante sur le prix final des vaccins, une variante fondamentale pour que ces derniers soient utilisés dans les pays en développement.
« Nous voulons comprendre comment Gavi et Merck fixeront un prix, surtout à long terme, ainsi qu’une confirmation que le prix final sera proche des coûts de production , a indiqué Manica Balasegaram, directeur général de la Campagne d'accès aux médicaments de Médecins sans Frontières
« Étant donné les investissements publics et philanthropiques dans le vaccin, nous espérons que Merck ira à l’encontre de la tendance des entreprises pharmaceutiques et sera le plus transparent possible sur les contributions, le financement de la R&D, les subventions au développement et la structure tarifaire du vaccin rVSV-ZEBOV. Les donateurs publics et philanthropiques ne devraient pas payer deux fois pour la recherche et le développement de ce vaccin », a-t-elle poursuivi.
Une recherche en déliquescence sur les maladies des pauvres
L’épidémie d’Ebola a cependant mis en lumière certains dysfonctionnements du système de recherche sur les maladies touchant les populations pauvres.
En effet, les premières étapes de développement d’un vaccin contre Ebola ont été franchies il y a plus de dix ans. Mais les épidémies ont généralement affecté des zones rurales des pays en développement et ont systématiquement été maitrisées, rendant ainsi le vaccin non prioritaire pour les laboratoires.
« Gavi joue un rôle crucial pour la santé publique en s’assurant que personne ne manque de vaccin suite à un dysfonctionnement du marché », a reconnu le Dr Ngozi Okonjo-Iweala, Président du Conseil de Direction de Gavi. « Notre devoir nous impose de faire en sorte que personne ne soit exclu de la vaccination sous prétexte qu’il n’est pas né au bon endroit, ou qu’il ne peut pas payer ».
L’exemple d’Ebola n’est pas isolé. « La tuberculose est un autre exemple de l’échec de ce modèle de recherche qui laisse de côté les maladies de la pauvreté», explique Bruno Rivallan de Global Health Advocate.
« En 40 ans, seules deux nouvelles molécules ont été mises sur le marché par les laboratoires. Donc les traitements de cette maladie très présente dans les pays en développement n’évoluent pas, alors qu’on voit l’apparition de tuberculoses multi résistantes », déplore-t-il.
« Le modèle de recherche et développement sur les maladies liées à la pauvreté est complètement brisé car il est lié au profit et qu’il n’y a pas d’incitation spécifique sur les maladies des populations pauvres ou spécifique aux pays en développement », regrette Bruno Rivallan.
Cette absence de modèle incitatif (subvention, prix pour l’innovation, déductions fiscales, garantie d’achat, etc.) va être en partie compensée par le partenariat entre Gavi et Merck sur Ebola.
« Mais, Ebola doit être pris comme une leçon sur la création de nouveaux modèles de recherche pour les maladies de la pauvreté, et non comme une solution ponctuelle à cause de la panique autour de cette maladie », explique Bruno Rivallan. « Car s’il y avait eu ces modèles incitatifs, peut-être qu’il y aurait eu des molécules efficaces disponibles dès le début de l’épidémie ».
Contexte
La Commission européenne et les États membres ont promis de donner plus d'un milliard d'euros à la lutte contre Ebola. Le Conseil a également nommé un coordinateur spécial : Christos Stylianides, commissaire chargé de l'aide humanitaire.
Des laboratoires mobiles, des spécialistes du travail humanitaire et des experts des maladies infectieuses dangereuses ont été déployés dans la région.
Les 280 millions d'euros de l'appel à projets lancé par la Commission et l'industrie pharmaceutique européenne seront attribués dans le cadre de l'Initiative en matière de médicaments innovants (IMI).
Le programme-cadre pour la recherche et l'innovation, Horizon 2020, participera à hauteur de 140 millions d'euros et les 140 millions d'euros supplémentaires proviendront des entreprises pharmaceutiques de la Fédération européenne des associations de l'industrie pharmaceutique (FEAIP).
La recherche en question comprendra des essais cliniques de grande ampleur sur de possibles vaccins dans les pays touchés par Ebola, ainsi que l'élaboration de tests diagnostiques rapides et de nouvelles approches pour la fabrication et la distribution des vaccins.