La CPI: une justice à deux vitesses

Mardi 2 février 2016 - 05:37

Plusieurs échos venant d'Afrique mettent en cause la partialité de la Cour pénale internationale (CPI), dont les poursuites privilégient les responsables politiques et militaires issus de ce continent.
L'ouverture jeudi 28 janvier 2016 du procès de l'ex-président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, et de son ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, relance cette polémique qui perdure et tend à accréditer la thèse selon laquelle la CPI mènerait « une chasse raciale » ou serait carrément  « raciste ».
La CPI est-elle vraiment impartiale dans le choix de ses cibles ? Cette question est récurrente dans les débats sur le bien-fondé de la création de cette juridiction. Et bon nombre d'élites africaines fustigent une justice « sélective », « impérialiste » ou « néocoloniale », c'est selon.
Depuis son entrée en fonction en juillet 2002, cette Cour chargée, selon son préambule, de « juger les crimes qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine », dont 123 Etats ont ratifié le statut, n'a jusqu'ici mené des enquêtes et lancé des procédures que dans huit pays, tous du continent noir.
Certaines individualités africaines voient, dans les poursuites dirigées contre elles, une forme de harcèlement qu'elles qualifient sans détour de « raciste ».
Ainsi, le 29 juin 2012, lors du sommet de l'Union africaine à Malabo(Guinée équatoriale), le président de la Commission de l'Union africaine de l'époque, Jean Ping , avait dit:
« On a l'impression que la Cour pénale internationale ne vise que les Africains. Cela signifie-t-il que rien ne se passe  par exemple au Pakistan, en Afghanistan, à Gaza, en Tchétchénie? Ce n'est pas seulement en Afrique qu'il y a des problèmes. Alors pourquoi n’y a-t-il que des Africains qui sont jugés par cette Cour?
ESPOIRS DEÇUS
La création de cette Cour par le Traité de Rome en 1998 avait pourtant fait naître d'immenses espoirs car, pour la première fois, une instance permanente et universelle de la justice internationale devenait réalité.
Malheureusement, tous les pays n'ont pas ratifié ce Traité parce qu'ils craignent de devoir rendre des comptes. La Russie, la Chine, les Etats-Unis, la quasi-totalité des pays arabes et Israël rejettent cette juridiction.
Certes, la Cour peut être saisie par le Conseil de sécurité de l'ONU. Mais, les bourreaux bénéficiant de la protection d'un ou de plusieurs des cinq membres permanents du dudit Conseil et ne risquent pas grand-chose.
MAILLON FAIBLE
L 'Afrique est le maillon faible de la CPI: toutes les procédures se sont  concentrées sur le continent noir.
Les inculpés sont évidemment nombreux: Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé (Côte d'Ivoire), Omar Al Bashir (Soudan), Uhuru Kenyatta (Kenya), Jean-Pierre Bemba Gombo (RDC)... pour ne citer que les plus célèbres.
Le procès de Laurent Gbagbo devant la CPI est sidérant: est-il le seul responsable de la crise post-présidentielle de 2010 qui avait fait 3000 morts en Côte d'Ivoire ? Les affidés au service de son adversaire, Alassane Ouattara ,et leurs miliciens, n'ont-ils pas commis des massacres? Pourquoi ne sont-ils pas inquiétés concernant cette affaire?
Qui est derrière le complot ayant entrainé la chute de Laurent Gbagbo? Comment expliquer la participation des soldats français à son arrestation?
La très respectée magistrate gambienne, Fatou Bensouda, feint d'ignorer les réponses aux questions que le commun des mortels connaît assez bien. C'est désolant!
Il est juste de croire que certaines de ses décisions sont politiquement teintées. Veut-elle plonger Gbagbo et Blé Goudé? A-t-elle de preuves solides contre eux? On attend alors qu'elle prouve leur culpabilité.
Le président soudanais, Omar Al Bashir, s'est retrouvé être, depuis 2009, le premier chef d'Etat en exercice poursuivi pour « crime contre l'humanité » puis pour  « génocide » au Darfour.
C'était un grand coup symbolique. Il eut  cependant un effet opposé à celui recherché, décrédibilisant encore un peu plus cette instance qui n'avait les moyens de faire appliquer ses mandats d'arrêt. Pis, cela a encore un peu plus conforté la position de l'homme fort de Khartoum, perçu comme victime de l'Occident par de nombreux pays africains et arabo-musulmans.
Un homme qui a continué à parader aux sommets de l'Union africaine, comme à ceux de la ligue arabe ou de l'Organisation de la conférence islamique. Le 1er septembre 2015, il était reçu à Pékin par le président chinois, Xi Jinping, qui l'a salué comme  « un vieil ami du peuple chinois ».
REFORMER LA CPI
La partialité de la CPI à l' encontre de l'Afrique n'est plus à prouver. Fatou Bensouda est sûrement consciente que le « zèle » de cette institution a causé le désamour de l'Afrique à son égard.
Une grande partie des dirigeants africains, dont certains se trouvent dans le viseur de la procureure, agitent d'ailleurs la menace d'un retrait de la CPI si des réformes nécessaires ne sont pas conduites au sein de cette instance sensée être une Cour internationale.
Le fait que les pays les plus puissants du monde ne fassent pas partie de la CPI remet en cause sa crédibilité. C'est une justice à deux vitesses qui pose problème.
Certains Etats se réservent d'ailleurs le droit de présenter ces réformes et si elles ne sont pas acceptées, ils n'auront pas d'autre choix que de reconsidérer leur adhésion à la CPI.
Le départ des pays africains serait sans aucun doute un séisme qui ne sera pas sans conséquence sur l'existence même de cette institution déjà critiquée dans de nombreux procès dont celui de Laurent Gbagbo actuellement en cours à la Haye.

 

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