L’Avis de la Cour suprême de justice qui déblaie le terrain

Mardi 24 mars 2015 - 08:19

Monsieur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA, élisant domicile au cabinet de Maître DJETA PEME KINYAMA et associés, sis 8, Boulevard Lumumba, quartier Funa, 1ère rue, commune de Limete à Kinshasa ;
DEMANDEUR EN INCONSTITUTIONNALITE
CONTRE :
1 Le SENAT ayant son siège au Palais du peuple dans la commune de Lingwala à Kinshasa ;
2. La Commission Electorale Nationale Indépendante, en sigle, CENI, siège social situé sur Boulevard du 30 Juin, dans la commune de la Gombe à Kinshasa.
DEFENDEURS EN INCONSTITUTIONNALITE
Par sa requête en inconstitutionnalité datée du 22/04/2013 et reçue au greffe de la Cour de céans le 23/04/2013, Monsieur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA, agissant par ses conseils, Maîtres DJETA PEME K1NYAMA et KITHINGA KANYAMA, avocats au barreau de Kinshasa/Gombe saisit la Cour de céans en ces termes :
« A Monsieur le Premier Président de la Cour suprême de justice « à KINSHASAIGOMBE
« Monsieur le Premier Président, Conseil attitré de Monsieur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA et agissant pour son compte avons l’honneur de vous saisir sur requête en inconstitutionnalité pour refus par le SENAT de réintégrer Monsieur NGINAYEVUVU LUBAMBA Gaston, et par la CENI de réorganiser les élections dans le délai pour combler le siège vacant.
« A cet effet, il nous revient de vous exposer à titre de motivation ce qui suit :

1. FAITS
Lors des élections sénatoriales de 2006, Monsieur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA a été aligné et élu Sénateur avec comme suppléants Monsieur MULATU PUATY Jean Marie (1) et Monsieur NDONGALA MAYIVANGWA Raoul (2) par le Parti Politique « ARC » dans la province du Bas-Congo Son Excellence, Monsieur MBATSHI MBATSHA, Gouverneur en son temps, de la province du Bas-Congo, nomma comme Ministre provincial, ‘Honorable Sénateur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA ce dernier sera remplacé au Sénat conformément à la loi par son premier suppléant Monsieur MULATU PUATY Jean Marie, qui lors des élections législatives de Novembre 2011 sera aligne et élu pour le compte de ARC député a l’Assemblée Nationale où il siège jusqu’ à ce jour.
Malheureusement le deuxième suppléant Monsieur NDONGALA MAYIVANGWA Raoul, qui devrait en principe remplacer l’honorable Député National Monsieur MULATU PUATY Jean Marie au Sénat, décéda en date du 30/05/2011, et que depuis la préférence et l’option pour l’Assemblée Nationale de l’Honorable MULATU PUATY Jean Marie, le siège conquis par l’ARC et Monsieur Gaston NGINAYEVUVU LUBAMBA au Sénat est resté vide.
Cependant, le constat est que, non seulement le bureau du Sénat n’a eu à informer la Commission Electorale Indépendante de la vacance du siège à son sein, mais aussi celle-ci n’a jamais organisé les élections en vue de suppléer ce vide, et cela malgré la demande tant verbale qu’écrite de Monsieur NGINAYEVUVU LUBAMBA Gaston adressée respectivement à l’honorable Président du Sénat et à Monsieur le premier vice-président de la CENI (voir copie de la demande en annexe).

II.DROIT
a) Forme :
Attendu que l’article 162 de la Constitution, à son alinéa 2, dispose : « toute personne peut saisir la Cour Constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire ».
Attendu qu’en cas d’espèce, la Cour est saisie sur requête introduite par Maîtres DJETA PENE KINYAMA et KITHJNGA KANYAMA, avocats au barreau de Kinshasa/Matete et Gombe, porteurs d’une procuration spéciale dûment signée par Monsieur NGINAYEVUVU LUBAMBA Gaston
Attendu que le précité agit en sa qualité de premier ancien « occupant et bénéficiaire du siège vacant avant qu’il soit nommé « Ministre provincial par le Gouverneur MBATSHI MBATSHA.
b) fond
Attendu que l’article 110 révisé de la Constitution en vigueur en République Démocratique du Congo, précise qu’à la fin de tout mandat incompatible à celui du député national et du sénateur, la personne en cette situation peut réintégrer son siège au sein de l’institution concernée ;
Attendu que l’article 211 de la Constitution en vigueur et I’article 2 de la loi n° 006/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielles législatives provinciales, urbaines, municipales et locales donnent pouvoir à la Commission Electorale Indépendante d’organiser les élections à tout niveau et d’en assurer la régularité ;
Attendu que Monsieur NGINAYEVUVU LUBAM8A, par le canal de ses conseils, avait saisi officiellement le bureau du Sénat dans sa lettre n° CMD/023/03/013 dont l’objet portait sur sa réintégration au Sénat.
Attendu que jusqu’à ce jour, le bureau du Sénat n’a réservé aucune suite, laissant ainsi le siège vacant au préjudice de la population du Bas-Congo ;
Attendu que le requérant avait pris personnellement audience avec le Premier vice-président de la CENI au sujet d’envisager la réorganisation des élections sénatoriales en vue de combler cette vacance.
Qu’en réponse à cette demande, le premier vice-président de la CENI conclut que son institution est dépourvue des moyens tant matériels que financiers pour ce faire ;
Qu’à cet effet, l’application des dispositions de l’article 110 révisé de la constitution en vigueur consacra la réintégration demeure la seule possibilité réelle et envisageable pour combler ladite vacance.
Qu’in fine, au regard de toutes ces motivations et dispositions « légales soumises à l’examen de la Cour
IL PLAIRA A CELLE-CI :
- Dire recevable et amplement fondée la présente requête ;
- Déclarer inconstitutionnel le refus du bureau du Sénat d’accorder au requérant sa réintégration, et de la CENI d’organiser les élections sénatoriales en vue de combler cette vacance ;
- Ordonner la réintégration de Monsieur Gaston NGIKAYEVUVU LUBAMBA au sein du Senat ;
A l’impossible de la réintégration, ordonner à la CENI d’organiser dans un bref délai les élections pour le siège vacant, Et ce sera justice.

Pour le requérant
Maître KITHINGA KANYAMA DJETA PEME KINYAMA
Par ordonnance prise par le Premier Président de cette Cour en date du 13/05/2013, le Conseiller MWANGILWA fut désigné en qualité de rapporteur et par celle du 09/02/2015, la cause fut fixée à ‘audience publique du 23/02/2015
Par exploits séparés et datés du 12/02/2015 de l’huissier MBOYO BOLILI de cette Cour, notification à comparaître à l’audience publique du 23/02/2015 fut donnée au Senat et à la CENI ;
A l’appel de la cause à l’audience publique du 23/02/2015, Maître KITHINGA Alaise, avocat au barreau de Kinshasa/Gombe comparut volontairement pour le demandeur, tandis que le Sénat et la CENI ne comparurent pas, ni personne pour eux, bien que régulièrement notifiés ;
La Cour déclara la cause en état d’être examinée et accorda la parole à
- d’abord au Conseiller MASANI qui donna lecture du rapport de son collègue MWANGILWA sur les faits de la cause, l’état de la procédure ainsi que les moyens soulevés par les parties ;
- ensuite à Maître KITHINGA Alaise, qui déclara n’avoir pas des observations orales à faire ;
- enfin, au Ministère public, représenté par l’Avocat général de la république NYANDU qui donna lecture de l’avis écrit de son collègue MUPIER, dont le dispositif est ainsi conçu.

Sur ce, la Cour prononça l’arrêt suivant :

ARRET
Par requête déposée le 23 avril 2013 au greffe de la Cour suprême de justice, Monsieur NGINAYEVUVU LUBAMBA Gaston, demandeur en inconstitutionnalité, agissant par les avocats DJETA PENE KINYAMA et KITHINGA KANYAMA, porteurs d’une procuration spéciale, sollicite de cette Cour de constater l’inconstitutionnalité, dans le chef du Sénat, refusant de le réintégrer en son sein en qualité de sénateur élu et dans celui de la Commission électorale nationale indépendante, CENI en sigle, refusant de réorganiser les élections dans le délai légal pour combler le siège vacant à la suite de l’élection de Monsieur MULATU PUATY Jean Marie son premier suppléant à l’Assemblée nationale et du décès de Monsieur NDONGALA MAYIVANGWA, son deuxième suppléant.
A l’appui de sa requête, le demandeur invoque le moyen unique d’inconstitutionnalité subdivisé en deux branches et tiré respectivement de la violation des articles 211 et 110 de la Constitution telle que modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo.
Développant ce moyen, il expose que lors des élections sénatoriales de 2006, il était aligné et élu sénateur sur la liste du parti ARC dans la province du Bas-Congo avec comme premier et deuxième suppléants respectivement Messieurs MULATU PUATY Jean Marie et NDONGALA MAYFVANGWA Raoul.
Quelques temps après, poursuit-il, il était nommé ministre provincial et était remplacé au Sénat par son premier suppléant qui, lors des élections du mois de novembre 2011, était élu sur liste du même parti comme député national où il siège pour le moment à l’Assemblée nationale. Et le deuxième suppléant qui devait normalement le remplacer au Sénat décéda le 30 mai 2011.
Depuis lors, Monsieur MULATU PUATY continue à siéger en qualité de député à ‘Assemblée nationale et le siège au niveau du Sénat où il était élu reste vacant jusqu’à ce jour et ce, en dépit de plusieurs réclamations qu’il a adressées au président du Sénat ainsi qu’à la Commission nationale indépendante pour organiser un nouveau scrutin et combler ce vide.
Selon lui, le silence mis par le Sénat pour répondre à ses réclamations constitue en en point douter son refus de respecter Constitution alors que la modification apportée e celle-ci pendant la législature en cours permet a un Sénateur de reprendre son mandat dès que cesse la fonction incompatible. Il en appelle au strict respect de cette disposition qui doit s’interpréter sans discrimination a I’égard de tous.
Pour conclure, il sollicite que la Cour suprême de justice siégeant comme Cour Constitutionnelle déclare le refus du Sénat empêchant d’accéder à sa requête de le réintégrer en son sein en qualité de Sénateur comme constitutif de la violation de l’article 110 de la Constitution.
Examinant sa compétence, la Cour relève que certaines prescriptions de la Constitution sont des directives et ne nécessitent pas d’actes d’exécution, il s’agit des obligations, interdits, incompatibilités Toutes les directives constitutionnelles doivent être respectées et contrôlées dans leur exécution. C’ est la conséquence même de l’Etat de droit dont la Cour constitutionnelle est la gardienne et aussi la justification de la capacité pour la Cour constitutionnelle d’être saisie de la vérification des prescriptions qui ne se traduisent pas en actes ou normes.
De ce point de vue, la Cour constitutionnelle est compétente pour annuler des normes, et pas des propos, actes matériels, attitudes ou omissions contraires à la Constitution mais elle peut en connaître néanmoins lorsqu’il s’agit de violation par désobéissance constitutionnelle,
Tel est le cas en l’espèce où le Sénat n’entend pas se soummettre au prescrit de l’article 110 de la Constitution.
Examinant le moyen unique comportant deux branches soulevé par le requérant, la Cour statue sur la deuxième branche en ce que le Sénat, par son refus, n’a pas réintégré le demandeur en qualité de Sénateur élu en son sein alors que l’article 110 de la Constitution modifié par l’article 2 de la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains de ses articles en ses alinéas 1, 2 et 3 prévoient entre autres que « le mandat de député national ou de Sénateur prend fin par l’acceptation d’une fonction incompatible avec le mandat de député ou de Sénateur ».
Aux termes de cette disposition, lorsqu’un député national ou un Sénateur est nommé à une fonction incompatible avec l’exercice de son mandat parlementaire, celui-ci est suspendu.
Il reprend de plein droit son mandat parlementaire après la cessation de cette fonction incompatible.
Tel est le cas du demandeur dont le mandat de Sénateur était suspendu à la suite de sa nomination comme membre du gouvernement provincial, fonction politique incompatible avec le mandat de parlementaire.
Maintenant qu’il n’est plus ministre provincial cette fonction incompatible a cessé d’exister et conformément au prescrit de l’article 110 sus invoqué, le Sénat a l’obligation de le reprendre sans autres formalités.
La persistance du refus du Senat a ne pas reprendre Je, requérant dans ses fonctions en son sein, constitue une violation d’article visé au moyen qui sera, de bon droit, déclaré fondé.

C’EST POURQUOI :
La Cour suprême de justice, toutes sections réunies, siégeant comme Cour Constitutionnelle
Le Ministère public entendu ;
- Reçoit la requête et la dit fondée ;
- Déclare inconstitutionnel le refus du Sénat de réintégrer Monsieur NGINAYEVUVU LUBAMBA Gaston en son sein ; Dit n’y avoir pas lieu au paiement des frais d’instance
La Cour s ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 Mars 2015 à laquelle siégeaient les magistrats BOMWENGA MBANGETE, Président de chambre, MASANI. MIKOBI, NTAMBWE, MWANGILWA, MWANGA et KAPAMVULE, Conseillers, avec le concours du Ministère public représenté par l’Avocat Général de la République MIKOBI MINGA et avec l’assistance de Madame Sylvie MANGES.

 

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